C’est le jour J ! Tous les candidats des voies générale et technologique passent l’épreuve écrite de français ce vendredi 13 juin 2025, de 8 heures à 12 heures. Au programme : analyse fine d’un texte ou dissertation pour les généralistes ; contraction et essai pour les technologiques Pour chacun des sujets, tu trouveras dans cet article une proposition de corrigé.
Corrigé du bac de français 2025, voie générale – Commentaire de texte
L’auteur : qui est Barbey d’Aurevilly ?
Pour commencer, nous te proposons une biographie succincte de l’auteur de ce texte, afin de l’inscrire dans un contexte historique et littéraire. Bien évidemment, ces éléments n’étaient pas attendus dans le cadre de ta production écrite.
Jules Barbey d’Aurevilly (1808–1889) est une figure singulière et paradoxale de la littérature française du XIXe siècle. Né à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Normandie, dans une famille de petite noblesse royaliste, il reste profondément marqué par ses origines aristocratiques et provinciales. D’abord proche des idéaux libéraux dans sa jeunesse, il se convertit au catholicisme dans les années 1840, ce qui influencera durablement sa vision du monde et sa production littéraire. Il devient alors un fervent défenseur de la monarchie, de l’Église et de l’ordre ancien, tout en adoptant un style de vie provocateur et dandy, inspiré par Byron, qu’il admire profondément. Ce mélange de conservatisme moral et de modernité littéraire fait de lui un auteur profondément ambivalent, qui cultive le paradoxe et le mystère.
Barbey d’Aurevilly se distingue surtout comme prosateur (un auteur qui écrit en prose), romancier et nouvelliste, mais aussi comme critique littéraire acéré, notamment dans ses articles publiés dans Le Constitutionnel ou Le Pays. Il défend des écrivains comme Balzac ou Baudelaire, tout en refusant le naturalisme de Zola qu’il juge immoral et réducteur. Sa propre œuvre romanesque est marquée par une fascination pour le péché, le destin, la passion destructrice, le mystère et le surnaturel, dans un univers où la morale catholique est omniprésente, mais toujours confrontée à des forces obscures, souvent intérieures et psychologiques.
Parmi ses œuvres majeures, on peut citer Une vieille maîtresse (1851), Les Diaboliques (1874) — recueil de nouvelles sulfureuses — et surtout L’Ensorcelée (1854), qui inaugure sa « trilogie normande », aux côtés de Le Chevalier Des Touches (1864) et Un prêtre marié (1865). Dans L’Ensorcelée, inspiré d’une légende locale, Barbey mêle réalisme régional, croyances populaires et fantastique religieux. Il y raconte l’histoire tragique de Jeanne Le Hardouey, une jeune femme mariée, fascinée par un prêtre défroqué (religieux, religieuse ou ecclésiastique qui a renoncé à son état ecclésiastique), devenu fou. Le roman explore les ravages de la passion et le poids du mal, sur fond de paysages désolés et de superstitions rurales.
Ainsi, Barbey d’Aurevilly occupe une place à part dans le paysage littéraire du XIXe siècle. À contre-courant des grands courants réalistes et naturalistes de son époque, il développe une œuvre à la croisée du romantisme noir, du fantastique catholique et du roman d’analyse psychologique, où les forces obscures de l’âme humaine et la dimension spirituelle du mal prennent une importance capitale. À travers ses romans, il fait de la Normandie une terre de légendes, de mystères et de drames intérieurs, profondément ancrée dans la mémoire collective et dans l’imaginaire. En cela, on peut le rapprocher de son contemporain Maupassant, avec ses écrits souvent sombres et empreints de fantastique inquiétant, notamment dans ses nouvelles, par exemple dans « Le Horla » (1886).
Introduction
Publié en 1854, L’Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly s’inscrit dans un courant littéraire mêlant réalisme, romantisme noir et fantastique. Cet extrait fait partie de l’objet d’étude « Le roman et le récit du Moyen-Âge au XXIème siècle ». Dans ce roman, l’auteur dresse un portrait de la Normandie à travers une prose dense et lyrique, souvent traversée par les superstitions populaires et une impression d’inquiétude. L’extrait proposé, tiré du début du roman, décrit la lande de Lessay, un lieu désert, inhospitalier et redouté, situé entre La Haye-du-Puits et Coutances. Loin d’être une simple description paysagère, ce passage s’impose comme un véritable préambule au mystère.
L’auteur y déploie une écriture suggestive, dans laquelle la description du réel devient un tremplin vers l’imaginaire. À travers les craintes et les croyances des habitants, le lieu acquiert une épaisseur presque surnaturelle : la lande semble habitée, presque hantée. Ce paysage devient donc le reflet d’une peur collective, mais aussi une allégorie du mal, et un espace propice au surgissement du fantastique.
Dès lors, il convient de se demander comment Barbey d’Aurevilly parvient à transformer un paysage normand en décor fantastique, chargé d’angoisse et de mystère.
Pour répondre à cette question, nous verrons dans un premier temps comment l’auteur donne une matérialité réaliste à un lieu vide et hostile (I), avant d’analyser la manière dont l’imaginaire populaire peuple cette lande de peurs et de rumeurs (II), pour enfin montrer comment l’écriture elle-même opère un glissement progressif vers le fantastique (III).
I. Une terre normande désertique et oppressante : la précision du réel au service de l’étrange
A) Une précision géographique trompeuse
Tout d’abord, Barbey d’Aurevilly commence par inscrire son récit dans un cadre géographique réaliste, ce qui contribue à donner une illusion de vérité. Il cite des lieux concrets : « la Haye-du-Puits » (ligne 1), « Coutances » (ligne 1), « Saint-Sauveur-le-Vicomte » (ligne 8). Cette toponymie ancre le décor dans une Normandie identifiable, connue des lecteurs contemporains.
Mais cette précision, loin de rassurer, accentue l’étrangeté. Le réalisme est ici un piège d’apparence : la terre décrite ne semble appartenir à aucun monde familier. L’évocation d’une région connue rend le contraste avec l’inhumanité du paysage encore plus saisissant.
B) Un espace vide, inhospitalier, rejetant l’homme
Le lieu est décrit comme totalement désert : « on n’y rencontrait ni arbres, ni maisons, ni haies, ni traces d’homme ou de bêtes » (ligne 2). Cette anaphore en « ni » souligne l’absence absolue de vie. Le paysage est inhabité, voire inhabitable : c’est un « désert normand » (ligne 1), formule oxymorique tant le terme « désert » semble incompatible avec la Normandie rurale.
Le sol lui-même devient répulsif : « poussière » (ligne 3), « argile détrempée » (ligne 3). Ces termes sensoriels insistent sur l’hostilité physique du terrain. L’homme ne peut ni y vivre, ni y circuler aisément.
De plus, le dernier paragraphe évoque un paysage maléfique, notamment à travers l’évocation de « singulières apparitions » (ligne 25) qui rappellent des présences inexpliquées, voire de spectres, comme si le lieu appartenait à des puissances infernales. Cette simple tournure crée par conséquent un effet de distance et de mystère : on ne sait qui parle, mais on sait que l’on craint.
II. Une atmosphère oppressante nourrie par les peurs collectives et les récits populaires
A) La lande, miroir des angoisses paysannes
La suite du texte montre que cette lande suscite une peur largement partagée. Barbey insiste sur la peur commune : « on s’associait plusieurs pour passer la terrible lande » (ligne 12), ou encore « les hommes […] avaient passé seuls à Lessay de nuit ou de jour » (lignes 14-15). La terreur est telle qu’on ne peut la traverser seul — preuve de la force de l’imaginaire collectif.
Dans cette perspective, on peut aussi mentionner la mobilisation de personnages historiques et presque mythiques, en l’occurrence « Du Guesclin » (ligne 90), un personnage historique ayant vraiment existé, mais que l’on peut se figurer comme un spectre et qui ajoute à la confusion entre réel et fantastique.
De plus, ce ne sont pas des nobles ou des citadins qui prennent peur, mais les paysans, les « charretiers » (ligne 24), c’est-à-dire des gens à qui l’on peut attribuer une certaine robustesse, que l’on peut également percevoir comme endurcis, et qui vivent au contact de la nature. Leur frayeur prend alors valeur de vérité : si eux-mêmes se méfient du lieu, c’est qu’il y a quelque chose de profondément inquiétant dans cette lande.
B) Des récits d’attaques et de violences qui renforcent la peur
La rumeur nourrit la crainte : « on parlait vaguement d’assassinats » (ligne 16). L’adverbe « vaguement » démontre là encore la forte incertitude qui pèse sur l’atmosphère générale du récit : rien n’est jamais certain ni avéré. Le conditionnel est omniprésent : « il aurait été difficile » (ligne 17), « on aurait poussé des cris » (ligne 22). Cette incertitude traduit l’ambiguïté du danger, ni prouvé, ni réfuté — ce flou rend la peur encore plus puissante.
Finalement, la phrase « un vaste silence aussi étendu que tous les cris qu’on aurait poussés dans son sein » (ligne 22) illustre parfaitement cette tension entre le visible et l’invisible, l’absence et la présence. Le silence ici est sourd, inquiétant, et évoque non pas la paix, mais la mort ou l’oubli. La lande devient un lieu de disparition, où l’on craint d’être englouti.
III. Du réel au fantastique : la lande comme espace d’hallucination et de hantise
A) Une terre « vivante » et malveillante
Progressivement, le texte bascule dans un registre symbolique et fantastique. Le paysage devient presque personnifié. Lorsqu’on lit que « la lande de Lessay était le théâtre des plus singulières apparitions » (ligne 25), on comprend que l’espace se fait scène de l’irruption du surnaturel. Le lexique employé (« théâtre », « apparitions », « imagination » (ligne 25)) renvoie au registre gothique, où les lieux sont autant d’ombres et de présences.
L’idée que « l’imagination continuera d’être, ici longtemps, la plus puissante réalité qu’il y ait dans la vie des hommes » (ligne 29) donne à la représentation mentale plus de force que la réalité matérielle. Cela participe pleinement du mécanisme du fantastique, où l’on doute constamment de ce qui est vrai ou inventé.
B) La peur devient tangible dans le corps humain
En outre, Barbey termine son passage par une scène frappante : « le pied de frêne […] tremblait dans la main du plus vigoureux gaillard » (lignes 30-31). Cette image, très concrète, montre à quel point la terreur atteint le corps. Le contraste entre la virilité du charretier et son tremblement involontaire accentue l’intensité de la peur. Ce détail anecdotique devient hautement symbolique : la terreur est tellement forte qu’elle dompte la force physique.
L’expression « il y revenait » (ligne 25) — vague, indéfinie — ajoute une dernière touche de mystère, amplifiée par la mise en forme du texte elle-même, avec l’emploi de l’italique destiné à accentuer cette expression. Qui revient ? Un mort ? Un spectre ? Une malédiction ? L’ambiguïté est laissée volontairement ouverte, et c’est ce non-dit qui installe le malaise propre au fantastique, où le doute ne se résout jamais.
C) L’omniprésence de la mort
Pour finir, il convient de mentionner un thème qui jalonne l’ensemble de l’extrait : celui de la mort, présente partout. Cette dernière plane au-dessus des personnages évoqués et de l’environnement décrit. Cela se manifeste avec le champ lexical de la mort, avec les termes « assassinats » (ligne 16), et la menace (« bandits » (ligne 21), « danger » (ligne 27), « sinistre et menaçant » (ligne 28), « attaque nocturne » (ligne 30).
Conclusion
À travers ce tableau initial de la lande normande de Lessay, Jules Barbey d’Aurevilly ne se contente pas de planter un décor : il façonne un univers mental et mythique. Le paysage, d’abord réel et concret, devient progressivement territoire de peur, de légende et d’irrationnel. Le récit nous entraîne dans une lente montée de l’angoisse, nourrie à la fois par la rudesse du lieu et par les récits collectifs qui le hantent.
En cela, Barbey s’inscrit dans une tradition littéraire héritée du romantisme noir et annonce le fantastique moderne. Son écriture fait dialoguer la matière sensible du réel avec l’irruption troublante de l’imaginaire, dans une prose où chaque mot semble résonner d’un écho ancien.
Ainsi, cette lande, plus qu’un simple décor, devient le cœur battant d’un roman d’ensorcellement, un lieu où le visible n’est qu’un voile posé sur l’invisible — là où commence précisément le mystère du fantastique.
Dissertation – Sujet A
Œuvre : Pierre Corneille, Le Menteur
Parcours associé : mensonge et comédie
Selon vous, dans la comédie Le Menteur, l’art du mensonge est-il toujours maîtrisé ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur Le Menteur, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Introduction
Le mensonge est au cœur de nombreuses comédies classiques, tant il constitue un ressort dramatique efficace pour déclencher des quiproquos, faire rire et révéler les travers humains. Dans Le Menteur, comédie en cinq actes écrite par Pierre Corneille en 1644, le personnage de Dorante multiplie les inventions pour séduire et se faire valoir, déclenchant une série d’événements imprévus. Si le mensonge semble au départ être un art maîtrisé, servant à construire une image flatteuse et à séduire, il devient peu à peu incontrôlable, source de désordre et de confusion. Dans ce cadre, il était possible – et conseillé – de convoquer des exemples tirés des pièces de Molière, qui emploie également le mensonge comme outil pour faire passer des messages, ou encore Marivaux, au programme du baccalauréat de français lors de la session précédente.
Nous nous demanderons donc si, dans cette pièce, l’art du mensonge reste toujours sous le contrôle de celui qui le pratique. Dans un premier temps, nous verrons comment Corneille met en scène un menteur virtuose, capable de manipuler la réalité avec brio ; puis nous analyserons la perte de maîtrise progressive de Dorante sur ses mensonges ; enfin, nous montrerons que Le Menteur utilise cette perte de contrôle pour questionner à la fois les enjeux sociaux du mensonge et la nature même du théâtre.
I. Un mensonge d’abord virtuose, comique et séduisant
Au début de la pièce, Dorante apparaît comme un personnage plein de panache, dont le mensonge est une forme de mise en scène de soi. Dès sa première apparition, il charme son valet Cliton, mais aussi le public, par son aisance verbale et sa capacité à construire un récit mensonger convaincant. Il se présente comme un soldat valeureux revenu de la guerre, alors qu’il n’a jamais porté l’uniforme. Il affirme :
« J’ai tué plus d’un homme ; j’ai gagné des batailles ; j’ai fait des prodiges ! » (Acte I, scène 2)
Ce discours flamboyant, bien que mensonger, révèle son don pour l’improvisation théâtrale. Dorante utilise le langage pour se grandir, séduire Clarice, et se forger une identité idéale. Son talent est tel qu’il parvient à tromper même les plus méfiants, jusqu’à faire croire à ses fables les plus extravagantes.
Ce talent pour le mensonge fait aussi de Dorante une figure comique, à l’image du baron de L’Avare de Molière ou de Scapin dans Les Fourberies de Scapin. Le spectateur, complice de ses mensonges, en savoure les effets et attend avec amusement les conséquences des quiproquos qu’ils provoquent. Le rire naît ici du contraste entre ce que le spectateur sait (la vérité) et ce que les personnages ignorent. À ce stade, le mensonge est donc maîtrisé et productif : il fait rire, séduit, amuse, et construit une comédie de l’illusion brillante.
II. Une maîtrise illusoire : le menteur pris à son propre piège
Mais ce jeu avec le réel finit par dépasser Dorante. Très vite, ses mensonges deviennent incontrôlables et provoquent des situations qu’il ne peut plus maîtriser. La source principale de ce chaos est le quiproquo amoureux : en confondant Clarice et Lucrèce, Dorante croit séduire l’une alors qu’il plaît à l’autre. Ce malentendu se complique lorsqu’il annonce à Clarice qu’il va épouser Lucrèce, croyant toujours qu’elle est la première. Ce décalage entre les intentions et les actes est au cœur du comique de situation.
Sa maladresse est d’ailleurs soulignée par son valet Cliton, personnage lucide et terre-à-terre, qui lui fait remarquer :
« Un menteur, monsieur, doit avoir bonne mémoire. » (Acte III, scène 1)
Cette réplique souligne la limite de l’art du mensonge : il exige une cohérence totale, une vigilance constante. Dorante, emporté par sa propre invention, oublie ses versions précédentes, s’embrouille, et s’attire la suspicion d’Alcippe, le prétendant jaloux de Clarice. Le menteur devient donc victime de ses propres affabulations : il ne ment plus par stratégie, mais par habitude, et ses récits s’écroulent.
La comédie bascule alors dans une forme de satire : le spectateur rit toujours, mais d’un personnage qui perd pied, qui se ridiculise malgré lui. Le retournement comique est complet : le brillant menteur devient le dindon de sa propre farce. Cela illustre l’idée que le mensonge, s’il dépasse certaines limites, devient destructeur et dangereux.
III. Le mensonge comme reflet d’une société d’apparences et comme miroir du théâtre
À travers la figure de Dorante, Corneille propose une réflexion plus profonde sur le mensonge dans la société et sur le rôle du théâtre lui-même. Le XVIIe siècle est une époque marquée par les apparences, l’importance de l’honneur, et les codes de bienséance. Dorante, en cherchant à se valoriser par le mensonge, reflète une société où l’image compte autant que la réalité, où l’identité sociale se construit parfois sur le paraître.
En cela, Le Menteur n’est pas seulement une comédie légère : elle interroge les limites de la représentation. Dorante joue un rôle, invente une fiction, comme un acteur sur une scène. Il illustre cette frontière fragile entre le théâtre et la vie réelle. En ce sens, Corneille semble tendre un miroir au spectateur : le mensonge de Dorante est aussi celui du comédien, du dramaturge, de l’art dramatique lui-même.
Enfin, la résolution de la pièce — le repentir de Dorante et le pardon — montre que Corneille, tout en critiquant les excès du mensonge, reste fidèle à la tradition comique : le désordre est réparé, la morale est sauve, et le théâtre retrouve son équilibre. Le mensonge, s’il n’est pas toujours maîtrisé, est au moins corrigé.
Conclusion
Le Menteur de Corneille met en scène un art du mensonge d’abord maîtrisé, comique et séduisant, qui devient progressivement incontrôlable et risqué. Le personnage de Dorante, en virtuose de la parole, illustre l’ambiguïté du mensonge : il peut valoriser, divertir, séduire, mais aussi tromper, blesser et se retourner contre son auteur. À travers ce jeu complexe, Corneille propose une comédie riche en rebondissements, mais aussi une réflexion sur la nature même du théâtre et de la société. Le mensonge, loin d’être toujours maîtrisé, devient un révélateur des failles humaines, mais aussi un outil puissant au service du comique et de la critique sociale.
Dissertation – Sujet B
Œuvre : Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour
Parcours : les jeux du cœur et de la parole
Les personnages s’affrontent-ils sérieusement dans On ne badine pas avec l’amour ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur On ne badine pas avec l’amour, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Introduction
On ne badine pas avec l’amour, comédie dramatique en trois actes écrite par Alfred de Musset en 1834, met en scène des retrouvailles amoureuses entre deux jeunes gens, Perdican et Camille, dans un cadre aristocratique. Dès le titre, l’auteur nous alerte sur la fausse légèreté de ce que l’on croit pouvoir traiter comme un simple jeu : l’amour. Loin d’être une aimable comédie romantique, la pièce est un drame psychologique dissimulé derrière une apparente légèreté, un combat entre le cœur, la parole, l’orgueil et les illusions.
Les personnages s’affrontent dans un jeu de dupes qui, au fil des actes, se mue en un véritable drame sentimental. Ainsi, il convient de se demander si ces affrontements sont simplement des jeux amoureux superficiels ou s’ils relèvent d’un combat intérieur et sincère.
Nous verrons d’abord que les personnages se livrent à un badinage amoureux teinté d’humour et de manipulation, avant d’observer que ces jeux s’intensifient en un affrontement douloureux et destructeur. Enfin, nous montrerons que la pièce porte en elle une morale tragique : l’amour n’est pas un jeu sans conséquences.
I. Des affrontements déguisés : le badinage et les jeux du cœur
A) Un univers en apparence léger
La pièce s’ouvre dans un univers familier, celui d’un petit village aristocratique, dominé par le Baron et marqué par l’attente d’un mariage arrangé. Perdican revient dans son village natal, auréolé de ses succès universitaires. Camille, sa cousine, a été élevée dans un couvent. Les retrouvailles entre les deux jeunes gens sont attendues avec espoir par leur entourage… mais déjouées dès le départ par leur attitude : chacun joue un rôle.
Perdican, dans un premier temps, tente de séduire Camille par des paroles flatteuses et joueuses :
« Voilà donc ce que c’est qu’un couvent ! on y apprend à déchirer des cœurs. » (Acte I, scène 3)
Camille, quant à elle, répond avec froideur et mystère, s’abritant derrière sa foi religieuse. Ces échanges instaurent un climat de tension ironique : les personnages se testent, se défient, se provoquent, sans jamais dire ce qu’ils ressentent réellement.
B) La parole comme masque
La parole devient une arme. Les personnages utilisent la rhétorique et l’ironie pour se protéger de leurs propres émotions. Ils s’affrontent sans violence physique, mais par le biais d’un duel verbal qui révèle leur orgueil.
Camille, influencée par les discours misogynes des religieuses, voit dans les hommes des êtres manipulateurs. Perdican, vexé, contre-attaque avec cynisme :
« Les femmes veulent être aimées et non comprises. »
À travers de telles formules, il banalise les blessures sentimentales, renforçant la fausse légèreté du badinage amoureux.
Ce jeu verbal fait illusion : le spectateur peut croire à une simple comédie. Pourtant, cette mascarade dissimule déjà une tension grandissante.
II. Des affrontements profonds, violents et destructeurs
A) Des blessures cachées qui explosent
La deuxième partie de la pièce montre que les affrontements entre Camille et Perdican dépassent le simple jeu d’amour. L’ironie devient blessante, la manipulation devient vengeance. Le cœur des personnages, d’abord dissimulé, s’exprime par des gestes de plus en plus brutaux.
Perdican, profondément blessé par le rejet de Camille, décide de se venger en séduisant Rosette, la jeune paysanne candide. Il utilise Rosette non pas par amour, mais comme instrument pour blesser Camille :
« Ce n’est pas vous que j’aime, c’est Rosette. » (Acte II, scène 5)
Cette phrase, cynique, marque une véritable violence qui s’attaque directement aux sentiments. Camille, de son côté, tente de cacher son trouble, mais la jalousie l’envahit. Elle pousse Rosette à lire la fausse lettre, la conduisant indirectement à une grande souffrance.
B) La tragédie silencieuse de Rosette
Rosette, symbole de l’innocence amoureuse, est le personnage sacrifié de ce duel. Elle, qui ne joue pas, devient la victime des jeux de langage et des luttes de pouvoir. Sa mort hors scène, dans un silence dramatique, fait basculer la pièce dans le registre tragique.
Le silence devient alors révélateur de la gravité des actes : la fin de la pièce, où Camille reste muette face au désespoir de Perdican, révèle une tension dramatique intense. Le jeu amoureux a laissé place à un affrontement fatal, où aucun des deux protagonistes ne gagne.
« On ne badine pas avec l’amour. » – cette phrase n’est pas prononcée dans la pièce, mais résonne comme une morale implicite. L’amour mal joué, mal dit, peut détruire.
III. Une dimension morale et tragique : au-delà du badinage
A) Une comédie aux allures de tragédie
Musset joue sur les genres : si la pièce commence comme une comédie (quiproquos, malentendus, ironie), elle se termine en drame. Ce glissement traduit la profondeur des sentiments en jeu. Le dramaturge romantique cherche à montrer que l’amour, s’il est bafoué, devient tragique.
Cette hybridité de ton reflète le paradoxe des relations humaines : les mots peuvent blesser plus que les armes, et les silences peuvent tuer plus sûrement que les cris.
« Je n’ai rien dit, je ne dirai rien, mais je me meurs. » – ce pourrait être la parole de Rosette, symbole de cette tragédie muette.
B) Une critique de la société et des illusions
À travers ces affrontements, Musset critique également les modèles sociaux et religieux qui faussent les rapports humains. Le couvent a appris à Camille à se méfier de l’amour ; la société attend de Perdican un mariage de convenance. Les deux jeunes gens, en refusant de se parler sincèrement, sont prisonniers d’un système hypocrite.
Enfin, la pièce pose une réflexion universelle sur les dangers du non-dit, de la fierté, de l’ironie mal placée. Perdican et Camille ne sont pas seulement des figures amoureuses : ils incarnent les difficultés de l’être humain à exprimer ses émotions. Ce n’est pas seulement leur amour qui est en jeu, mais une vision tragique de la condition humaine, où la parole, loin d’unir, sépare.
Conclusion
Les affrontements entre Camille et Perdican dans On ne badine pas avec l’amour dépassent largement le cadre d’un badinage amoureux. Si la pièce débute sur un ton léger, elle révèle progressivement la profondeur des blessures infligées par l’amour contrarié, l’orgueil et les faux-semblants. Derrière l’apparente comédie se cache un drame psychologique et moral, où l’affrontement verbal mène à un dénouement tragique. En cela, Musset livre une œuvre ambivalente et puissante, qui nous rappelle que l’amour, loin d’être un jeu, est une affaire sérieuse où la parole, si elle n’est pas sincère, peut tuer.
Dissertation – Sujet C
Œuvre : Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non
Parcours : théâtre et dispute
Un critique remarque que, dans Pour un oui ou pour un non, « le dialogue est toujours, en fin de compte, un jeu dans lequel tous les coups sont permis. » Cette citation éclaire-t-elle votre lecture de la pièce ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur Pour un oui ou pour un non, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Introduction
Pièce en un acte écrite en 1982 par Nathalie Sarraute, figure majeure du Nouveau Roman et du théâtre d’avant-garde, Pour un oui ou pour un non propose un affrontement verbal entre deux amis autour d’une incompréhension minime. Ce qui semble d’abord un différend anodin se transforme progressivement en joute linguistique violente, où chaque mot devient suspect, chaque silence menaçant.
Le théâtre de Sarraute repose sur le dévoilement de ce qu’elle appelle la « sous-conversation », ces mouvements psychologiques invisibles mais déterminants qui influencent les comportements. Le langage devient alors un terrain de lutte, un champ de tensions où les mots dissimulent plus qu’ils ne révèlent.
Nous nous demanderons donc dans quelle mesure le dialogue de cette pièce se présente comme un jeu conflictuel dans lequel « tous les coups sont permis ».
Nous verrons d’abord que le dialogue semble être un jeu verbal anodin, mais que très vite il devient une lutte symbolique, un champ de bataille des ego, jusqu’à atteindre une forme de violence psychologique profonde.
I. Un dialogue en apparence simple, presque insignifiant
A) Un conflit banal comme élément déclencheur de la discussion
La pièce commence sans exposition classique : deux amis se retrouvent, mais l’un reproche à l’autre un changement de ton, un « petit quelque chose dans la voix », une nuance difficile à définir.
« Tu avais dit ça avec un certain ton. »
Cette parole anodine déclenche une cascade d’interrogations. On est frappé par le décalage entre la banalité de la cause et la gravité de l’effet. Sarraute met ici en lumière la fragilité des relations humaines, fondées sur des perceptions infimes, presque imperceptibles, mais qui peuvent bouleverser une amitié.
B) Un théâtre du quotidien : le langage comme prétexte
Le dialogue, dans un premier temps, semble tourner à vide. Les deux personnages s’interrompent, reprennent, n’achèvent pas leurs phrases. Le lecteur/spectateur est dérouté par l’absence d’action et l’apparente vacuité du propos.
Mais c’est précisément cette forme qui fait la richesse du théâtre de Sarraute : ce qui se joue n’est pas dans ce qui est dit, mais dans ce qui est sous-entendu.
« Ce n’est pas ce que tu as dit, c’est la façon dont tu l’as dit. »
Ainsi, le dialogue, sous sa forme la plus minimale, devient un jeu où la surface des mots cache des tensions profondes. Le langage est utilisé comme un voile, un terrain glissant où la méfiance s’installe.
II. Le dialogue devient une lutte de pouvoir : tous les coups sont permis
A) Une guerre sourde, sans cris, mais violente
Progressivement, ce qui semblait être une incompréhension légère devient un affrontement. Chaque personnage tente d’avoir le dessus sur l’autre, de se justifier, de démonter le raisonnement de son interlocuteur. L’amitié, pourtant solide, se fissure sous l’effet de la surenchère verbale.
Les phrases sont courtes, coupées. On s’interrompt, on se reprend. Le silence devient un instrument d’oppression.
« Tu ne me comprends pas. »
« Ce n’est pas ce que j’ai dit. »
Ces échanges, loin d’éclaircir les choses, creusent un fossé entre les deux hommes.
Le langage est perverti : il ne rapproche plus, il divise. Le « jeu » devient une guerre symbolique où chacun cherche à dominer, accuser, faire tomber l’autre. L’amitié devient un rapport de force.
C) L’éclatement du lien amical : l’issue dramatique
Le point culminant est atteint lorsque l’un des personnages décide de rompre définitivement le lien. Ce n’est pas un cri, ni un acte de violence visible, mais une parole froide, implacable. Le non-dit a pris toute la place. La parole, vidée de son sens initial, ne sert plus qu’à blesser.
« Ce n’est pas la peine d’en parler davantage. »
Cette réplique finale signe la mort du dialogue, et symboliquement, la mort du lien affectif.
Sarraute montre que dans le langage quotidien, les mots les plus simples peuvent être des armes. Le dialogue est un duel : pas besoin d’épée, le mot suffit à tuer.
III. Une réflexion critique sur le langage : le dialogue comme terrain de manipulation
A) Sarraute dénonce l’illusion du dialogue
Pour Sarraute, le langage est fondamentalement suspect. Elle affirme dans ses essais (notamment L’Ère du soupçon) que les mots ne sont jamais neutres. Dans la pièce, le dialogue ne sert pas à comprendre ou à résoudre, mais à défendre, à accuser, à attaquer.
Les personnages n’écoutent pas vraiment, ils attendent leur tour pour répliquer. Ils utilisent les failles du langage pour piéger l’autre. On retrouve ici la phrase du sujet : « tous les coups sont permis ». L’amitié devient un jeu cruel où le but n’est plus de se réconcilier, mais de prouver qu’on a raison, au prix même de la rupture.
On peut ainsi comparer cette dimension avec la pièce de Samuel Beckett, intitulée En attendant Godot. Comme Sarraute, Beckett fait partie du théâtre de l’absurde, où le langage est mis en crise. Dans En attendant Godot, les deux personnages principaux, Vladimir et Estragon, parlent pour combler le vide, mais leurs dialogues tournent en rond. Le langage devient un rideau contre l’angoisse de l’existence.
« On ne sait jamais quand on parle pour ne rien dire ou quand on ne dit rien pour parler. » (Beckett)
La parole ne sert plus à communiquer, mais à occuper l’espace, comme dans Pour un oui ou pour un non, où les mots masquent la vérité et échouent à rétablir le lien. Dans les deux cas, le dialogue est un simulacre, un jeu tragique avec la parole.
Il en est de même pour La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, qui met en scène dans cette pièce des personnages qui parlent sans s’écouter, alignent des clichés, des phrases absurdes et sans logique, comme dans cette réplique : « Il pleut, il pleut. Les chiens pleuvent aussi. »
Ainsi, comme chez Sarraute, le langage est vidé de sa fonction de communication, et les personnages sont enfermés dans un rituel verbal vide de sens. Cela renforce l’idée que la parole peut être un lieu d’aliénation, où chacun joue un rôle sans accéder à l’autre.
B) Une portée universelle : les relations humaines en question
Ce « jeu » que décrit le critique n’est pas propre à la pièce. Il illustre une vérité plus large sur les relations humaines : combien d’amitiés, d’amours, se brisent sur un malentendu mal géré ?
Sarraute met en scène l’hypocrisie des conventions, l’incommunicabilité entre les êtres, les micro-violences ordinaires du langage.
La pièce devient ainsi une parabole sur la fragilité des liens humains et l’incapacité à exprimer sincèrement ses émotions. Derrière le dialogue, il y a une peur du vide, une peur de l’aveu, une peur d’être blessé.
Enfin, dans la pièce existentialiste de Jean-Paul Sartre, intitulée Huis clos, trois personnages sont enfermés ensemble pour l’éternité. Le langage devient rapidement un instrument de torture mentale, où chacun juge l’autre, sans échappatoire.
« L’enfer, c’est les autres. » (Sartre)
Le huis clos verbal, comme chez Sarraute, met à nu les jeux de pouvoir dans la parole. Chaque mot devient une attaque, chaque silence un jugement. La parole est un piège, et l’impossibilité de se taire ou de fuir rend le dialogue oppressant. Les personnages ne cherchent pas la vérité, mais la prise de contrôle de l’autre.
Conclusion
La pièce Pour un oui ou pour un non illustre parfaitement la citation du critique : le dialogue y est bien un jeu de tensions, de manipulations, où tous les coups sont permis, même les plus subtils. Derrière une apparente banalité, les mots deviennent des armes, le ton devient suspicion, le silence devient condamnation. Nathalie Sarraute compose une œuvre sobre, épurée, mais d’une grande puissance émotionnelle et philosophique. Elle nous invite à réfléchir à notre propre rapport au langage : parlons-nous vraiment pour nous comprendre, ou pour dominer ? Finalement, on peut convoquer l’exemple de la pièce de Jean Anouilh, Antigone, dans laquelle le dialogue entre Antigone et Créon est une véritable joute verbale. Chaque personnage défend une vision du monde ; même s’il s’agit ici d’un conflit politique et moral, on retrouve l’idée que le dialogue est un affrontement.
« Je suis là pour dire non et mourir. »
Là encore, les mots ne réconcilient pas. Ils cristallisent les oppositions. Antigone, comme les personnages de Sarraute, se coupe de l’autre par orgueil, par fidélité à ses convictions. Le dialogue est une guerre de postures.
Corrigé du bac de français 2025, voie technologique – Commentaire de texte
Objet d’étude : la poésie du XIXème siècle au XXIème siècle
Richard Rognet, Elégies pour le temps de vivre, 2012.
Introduction
Publié en 2012, Élégies pour le temps de vivre est un recueil du poète contemporain Richard Rognet, né en 1948. Sa poésie, profondément humaine et lyrique, est marquée par une sensibilité mélancolique, un regard tendre mais lucide sur la fragilité du vivant, le passage du temps, l’amour et la mémoire. Dans l’extrait étudié, le poète évoque ce qui subsiste d’un amour disparu. Bien que l’amour soit « mort » ou « perdu », il en reste des traces persistantes, gravées dans la mémoire, dans le regard, dans la nature, dans les sensations.
Ce poème en vers libres, sans ponctuation, progresse comme une longue phrase méditative, un flux de conscience poétique. À travers des images de la nature et des sensations, Richard Rognet compose une élégie douce et subtile, qui ne pleure pas la perte mais célèbre ce qui demeure.
Nous verrons donc comment, dans ce poème, le poète parvient à exprimer la permanence de l’amour malgré l’épreuve du temps. Pour cela, nous étudierons d’abord la manière dont le texte valorise la mémoire affective des amours disparues, puis la relation sensorielle et poétique au monde, avant d’analyser l’ouverture finale vers une renaissance amoureuse apaisée et lumineuse.
I. Une mémoire affective persistante : l’amour continue d’exister à travers les traces qu’il laisse
Dès le premier vers, la formule « Il reste toujours quelque chose » donne au poème une dimension universelle et intemporelle. L’usage du présent de vérité générale inscrit cette expérience dans la condition humaine elle-même : l’amour, même disparu, ne s’efface jamais totalement. Ce sont les « amours mortes ou perdues » qui laissent ces traces. Le choix des mots est significatif : la mort évoque une fin brutale, tandis que la perte suggère l’éloignement ou le passage du temps. Dans les deux cas, une séparation douloureuse a eu lieu, mais elle n’a pas effacé le sentiment.
Cette mémoire s’incarne dans des images concrètes, presque picturales :
« un regard sur les prés, / sur une fleur qui penche vers le soir, / sur les montagnes qui émergent après / les brumes du matin ».
Ici, la nature reflète l’état intérieur du sujet lyrique. Le « regard » qui se pose sur les prés symbolise une tentative de reconquête du passé par l’émotion. La « fleur qui penche vers le soir » renvoie à l’image du déclin, du temps qui s’écoule. Le « soir » est traditionnellement le moment de la mélancolie et du souvenir. Quant aux « montagnes » qui « émergent après les brumes du matin », elles suggèrent un lent dévoilement, une résurgence du passé dans la mémoire, comme si l’oubli (les brumes) se dissipait pour faire revenir ce qui a été aimé.
Cette survivance prend aussi une forme onirique (qui se rapporte au rêve) :
« sous nos paupières, des rêves inachevés ».
Les paupières sont à la fois l’organe du sommeil et un voile entre le réel et le souvenir. Les rêves « inachevés » renvoient à ce que l’amour aurait pu devenir, mais qui n’a pas eu le temps de s’accomplir. Le poète évoque encore des images célestes, emblèmes de beauté fugace :
« des souvenirs de neiges ou d’étoiles / filantes comptées dans les nuits d’août ».
Ces images renforcent la dimension sensible et universelle du souvenir amoureux : la neige évoque la blancheur, la pureté, mais aussi la disparition. Les étoiles filantes, liées aux vœux et aux désirs, sont éphémères mais marquantes, comme les émotions amoureuses.
Ainsi, le poème transforme l’absence en présence discrète mais tenace, par le biais de sensations, de paysages, de rêveries. Notons que la forme au sens strict se met au service de cette idée de simplicité, avec la disparition des majuscules au début de chaque vers, qui permet un gain de fluidité et l’abolition d’une forme de grandiloquence poétique.
II. Une immersion dans la sensualité du monde : le regard poétique porté sur les choses
Dans la deuxième moitié du poème, Richard Rognet élargit son propos à des sensations plus immédiates, ancrées dans des expériences sensorielles ordinaires mais intenses. Il écrit :
« il reste aussi quelques fenêtres entrouvertes / sur les averses d’été qui sentent si bon ».
La métaphore de la fenêtre entrouverte suggère une ouverture à la vie, à l’autre, à une nouvelle émotion. Elle incarne également la fragilité de la mémoire, une fenêtre entrebâillée sur un passé sensoriel. Notons que la mise en
L’évocation de l’averse d’été convoque plusieurs sens : l’odorat d’abord, avec la pluie chaude qui « sent si bon » — cette odeur familière de terre mouillée après la chaleur — mais aussi l’ouïe (le son de la pluie), le toucher (la douceur de l’air humide), la vue (la lumière transformée par la pluie). Cette poésie des sensations est caractéristique de Rognet, proche de la démarche symboliste : le poète capte les vibrations subtiles du monde pour exprimer une émotion intérieure.
Ce retour au monde sensible semble réveiller l’espoir d’un amour nouveau :
« qu’on se sent proche d’un nouvel amour ».
Il ne s’agit pas ici d’un amour concret ou nommé, mais d’un sentiment latent, pressenti, qui renait des impressions, du climat, de la douceur du monde. Le poème bascule ainsi d’un souvenir nostalgique vers une intuition de renouveau, une renaissance affective.
III. Un amour crépusculaire : doux, mature, apaisé
La dernière strophe du poème affirme une forme d’espoir, mais c’est un espoir teinté de mélancolie lucide. Le poète imagine :
« d’un amour tranquille et brûlant à la fois ».
L’oxymore « tranquille et brûlant » traduit une nouvelle forme d’amour, plus intérieure, moins passionnelle mais plus durable. Ce sentiment ne cherche pas l’excès ou la possession : il vibre doucement dans l’âme, dans le cœur, comme une braise plutôt qu’un feu ardent. C’est une manière de suggérer un amour de maturité, né de l’expérience, du souvenir, mais encore capable d’émotion.
L’image suivante condense toute la philosophie poétique du texte :
« qui tremblerait à la lisière du temps / comme un dernier sourire, avant de s’en aller ».
La lisière du temps est une image puissante : elle évoque la frontière entre le présent et l’éternité, entre la vie et la mort, entre l’amour encore possible et celui qui va peut-être s’éteindre. Le verbe « tremblerait » introduit une fragilité extrême, une vibration légère. L’amour est une émotion furtive, qui peut ne durer qu’un instant — mais qui, par ce simple « sourire », bouleverse le cœur.
Ce « dernier sourire » n’est pas tragique, il est doux, humain, apaisé. Il incarne l’idée qu’un sentiment, même éphémère, peut suffire à nourrir l’âme. Le poème ne s’achève pas dans la douleur, mais dans une acceptation lumineuse du passage du temps.
Conclusion
En évoquant avec délicatesse la mémoire des amours perdues, les sensations du monde et l’espoir d’un amour apaisé, Richard Rognet signe ici un poème élégiaque et sensible, marqué par la beauté du souvenir et la douceur de l’instant. Ce texte célèbre ce qui survit à l’amour, ce qui « reste toujours » même après la fin : des images, des sensations, des rêves, une émotion presque imperceptible mais toujours présente.
Dans la tradition de la poésie lyrique moderne, de Paul Éluard à Philippe Jaccottet, ce poème rappelle que la poésie peut être mémoire et consolation, mais aussi réouverture au monde. Même à la « lisière du temps », l’amour trouve encore à se dire – non dans la plainte, mais dans le souffle discret d’un dernier sourire.
Essai
Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIème au XVIIIème siècle
Sujet : La littérature et la culture peuvent-elles montrer la voie pour combattre les inégalités ?
Introduction
La littérature et la culture, bien loin de n’être que des divertissements, jouent un rôle fondamental dans la dénonciation des injustices sociales, politiques ou morales. Elles permettent d’éveiller les consciences, de proposer des modèles d’émancipation et parfois même d’inspirer des changements concrets dans la société. Depuis les écrivains des Lumières jusqu’aux voix contemporaines, nombreux sont ceux qui ont utilisé leur art pour remettre en question les inégalités. Nous verrons que cette voie passe d’abord par la dénonciation, puis par l’émancipation intellectuelle, et enfin par le pouvoir d’action sociale que la culture peut exercer sur le réel.
I. Dénoncer les injustices
La première fonction de la littérature engagée est de révéler les inégalités et de faire entendre les voix des opprimés. Olympe de Gouges, en publiant en 1791 La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, proteste contre l’exclusion des femmes des droits proclamés lors de la Révolution française. Elle y proclame avec force : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. » Cette formule résume l’injustice d’un système qui impose aux femmes les mêmes devoirs que les hommes, sans leur accorder les mêmes droits.
Dans Candide, Voltaire dénonce l’esclavage et l’intolérance religieuse, notamment à travers l’image du « nègre de Surinam », mutilé et résigné. Cette scène choquante pousse le lecteur à prendre conscience de la violence du commerce triangulaire, encore toléré à l’époque. De même, Victor Hugo dans Les Misérables donne une voix aux exclus : Jean Valjean, Fantine ou Cosette sont les symboles d’une société qui punit la misère au lieu de la combattre.
À travers ces œuvres, la culture joue un rôle essentiel : elle rend visible ce que l’on préfère ignorer, elle choque, elle bouscule, et donc prépare le terrain à une prise de conscience collective.
II. Éduquer et émanciper par la pensée
Au-delà de la dénonciation, la culture permet à chacun de développer un esprit critique, condition nécessaire pour sortir de la domination. En cela, elle est un outil d’émancipation. Olympe de Gouges insiste d’ailleurs sur l’importance de l’éducation des femmes comme moyen de les rendre égales aux hommes en droits comme en esprit.
Montesquieu, dans Les Lettres persanes, propose une critique indirecte de la société française à travers le regard d’étrangers. Ce procédé oblige le lecteur à se décentrer de ses habitudes de pensée, à remettre en question ce qui lui semblait naturel. Plus tard, au XXe siècle, Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, écrit : « On ne naît pas femme : on le devient », montrant que les inégalités de genre ne sont pas biologiques, mais culturelles. Son livre deviendra l’un des piliers de la pensée féministe.
La culture agit donc comme un outil de libération personnelle : elle permet aux individus de comprendre les mécanismes qui les oppriment, et de les contester.
III. Inspirer des transformations concrètes
Enfin, la littérature et la culture ont un véritable pouvoir d’agir sur le réel. Les idées des philosophes des Lumières, diffusées par les livres et les salons littéraires, ont directement influencé les grandes révolutions démocratiques du XVIIIe siècle. La pensée d’Olympe de Gouges, bien que marginalisée à son époque, est aujourd’hui largement reconnue comme un fondement du combat pour l’égalité femmes-hommes.
Au XXe siècle, Une si longue lettre de Mariama Bâ a permis de sensibiliser l’opinion publique à la condition des femmes dans certaines sociétés africaines, tout en valorisant la culture comme outil de transformation sociale. Dans un autre registre, les romans d’Annie Ernaux, notamment La Place ou Les Années, interrogent les inégalités sociales à travers une écriture autobiographique et lucide sur les rapports de classe.
La culture contemporaine, y compris populaire, poursuit ce rôle : les chansons de Grand Corps Malade ou les films de Ken Loach dénoncent les exclusions et redonnent de la dignité aux voix marginalisées. La culture n’est donc pas seulement un miroir de la société : elle inspire, mobilise, et participe à la lutte contre les inégalités.
Conclusion
La littérature et la culture ont toujours joué un rôle décisif dans la lutte contre les inégalités. En dénonçant les injustices, en favorisant l’émancipation intellectuelle et en influençant les évolutions sociales, elles montrent la voie vers un monde plus juste. Leur pouvoir ne réside pas tant dans la violence ou la loi, mais dans leur capacité à changer les mentalités, à faire naître des idées nouvelles, et à porter la voix de ceux qu’on n’écoute pas. Si les inégalités demeurent nombreuses aujourd’hui, la culture reste une des clés majeures pour les combattre et construire un avenir plus équitable et juste.