Dictionnaire philosophique, ” Bêtes “, Voltaire – commentaire linéaire

Au sommaire de cet article 👀

L’épreuve du commentaire de texte concerne tous les élèves qui passent le baccalauréat de français. A ce titre, travailler les extraits d’annales est très utile. Voici donc un commentaire de texte d’un extrait donné à l’écrit de 2018, l’article Bêtes de Voltaire.

En guise d’introduction

Voltaire s’attaque dans cet article à la théorie élaborée par Descartes selon laquelle les animaux sont des ” machines “.

B Ê T E S

Quelle pitié, quelle pauvreté, d’avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n’apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc. !

Quoi ! cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l’attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur un arbre ; cet oiseau fait tout de la même façon ? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois n’en sait-il pas plus au bout de ce temps qu’il n’en savait avant les leçons ? Le serin à qui tu apprends un air le répète-t-il dans l’instant ? n’emploies-tu pas un temps considérable à l’enseigner ? n’as-tu pas vu qu’il se méprend et qu’il se corrige ?  

Est-ce parce que je te parle que tu juges que j’ai du sentiment, de la mémoire, des idées ? Eh bien ! je ne te parle pas ; tu me vois entrer chez moi l’air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l’avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie. Tu juges que j’ai éprouvé le sentiment de l’affliction et celui du plaisir, que j’ai de la mémoire et de la connaissance.

Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l’a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu’il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.

Des barbares saisissent ce chien, qui l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques . Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu’il ne sente pas ? a-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature.

Eléments méthodologiques de base pour le commentaire de texte :

Structure du texte

  1. Toujours avoir une première lecture basique, puis une deuxième/troisième plus analytique où vous notez dans la marge/sur votre texte les éléments, informations que vous repérez.
  2. Repérer la place de l’extrait dans l’oeuvre → selon sa place il aura différentes fonctions.

Ici, la place de l’extrait n’a pas grande importance car l’article est donné entier et fonctionne comme une unité indépendante dans l’oeuvre.

  1. Repérer, mettre en évidence la structure du texte, et ainsi la manière dont il évolue et avance.
  2. Pour un texte d’argumentation :
    1. Etudier les outils de l’argumentation (le présent de vérité générale, les formulations concises, l’adresse directe au lecteur etc)
    2. Le ton adopté (véhément ici)
    3. Le jeu sur la raison ou sur l’émotion (les deux étant employés dans le cas présent)
    4. La nature du texte d’argumentation (une dénonciation ici).

Problématisation

Pour trouver la problématique du texte :

  • saisir la spécificité du texte, ce qui le rend intéressant et exceptionnel (trouver la raison pour laquelle les jurés l’ont choisi).

Plusieurs axes sont possibles :

  • le  texte est-il particulièrement représentatif d’un genre ou d’un mouvement ?
  • se distingue-t-il au contraire des autres dans un genre ?
  • quels outils littéraires sont utilisés et dans quel but ?

l’important est de trouver un ou plusieurs axes (ne pas s’éparpiller non plus ! Un ou deux suffisent) qui concernent le texte dans sa totalité. Elle ne doit donc pas être trop réduite ou ne concerner qu’une partie de l’extrait.

Une des possibilités de problématique ici est : Comment Voltaire parvient-il à défendre une idée particulièrement novatrice et avant-gardiste grâce à un argumentaire à la fois émouvant et raisonnable ?

Développement

Dans le développement, toujours partir d’observations basiques pour aboutir à quelque chose de plus subtil, pointu et réfléchi. Le premier niveau d’analyse est important pour permettre à celui qui lira votre travail de saisir la nature du texte, ce qu’il contient… et pour montrer que vous l’avez bien compris.

Autres remarques : faire attention au rythme du texte, à la place du narrateur et de l’auteur dans le texte, bien citer le texte pour prouver ce que l’on déclare.


Commentaire du dictionnaire philosophique, article Bêtes

Voltaire s’attaque dans cet article à la théorie élaborée par Descartes selon laquelle les animaux sont des ” machines “.

Le paratexte : Le paratexte éclaire le propos, les sous-entendus et références implicites de Voltaire. Il permet de saisir clairement la référence dénoncée par l’auteur (une théorie philosophique).

Introduction : doivent y apparaître les premières observations générales sur le texte selon l’ordre suivant :

  1. le titre et la date de publication de l’oeuvre dont est extrait le texte, sa nature;
  2. le thème, le type de narrateur, le registre, les outils majeurs de l’argumentation.
  3. la structure du texte(trois parties ici) et la problématique.

Les deux premiers paragraphes : cette première partie constitue l’amorce de l’argumentaire dénonciateur de Voltaire. Le ton y est véhément et on y sent de l’indignation. L’insistance est portée sur les capacités de perfectionnement et de transmission.

Méthode : Repérer le ton, le registre, la structure des paragraphes et les outils majeurs de l’argumentation. En d’autres termes, montrer comment Voltaire défend sa thèse.

Quelle pitié, quelle pauvreté, d’avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n’apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc. !

En terme de structure, le premier paragraphe de l’article Bêtes est plutôt court et n’est composé que d’une phrase.

Il faut souligner son efficacité : c’est une phrase dense en concepts philosophiques (la pauvreté d’âme, “les bêtes”, “les machines”, l’ignorance, l’insensibilité, la répétition, la capacité d’amélioration et de perfectionnement) qui condense toutes les grandes idées du texte et annonce ainsi l’argumentaire de Voltaire.

Le début de l’article Bêtes ressemble presque à du discours indirect libre, à une citation de Descartes.

Il faut signaler le ton véhément et dénonciateur : l’usage d’exclamations et de termes comme “quelle pitié”, “quelle pauvreté”, la satire est annoncée.

Quoi ! cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l’attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur un arbre ; cet oiseau fait tout de la même façon ? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois n’en sait-il pas plus au bout de ce temps qu’il n’en savait avant les leçons ? Le serin à qui tu apprends un air le répète-t-il dans l’instant ? n’emploies-tu pas un temps considérable à l’enseigner ? n’as-tu pas vu qu’il se méprend et qu’il se corrige ?  

Le deuxième paragraphe de l’article Bêtes une succession de questions (dont certaines rhétoriques) ayant pour objet les animaux.

Un point intéressant :

Le recours aux déictiques “cet”, “ce”, “le”; ce qui montre que les exemples servent la démonstration générale de l’absurdité de la thèse de Descartes.

Les détails donnés sur les activités :

Exemple : “cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l’attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur un arbre”, donne l’impression de la complexité)

L’énumération de questions rhétoriques au sujet des capacités des animaux sont destinés à démontrer par l’exemple, la véhémence et l’émotion que Descartes a tort.

Un détail intéressant :

Dans l’article Bêtes s’adresse directement à Descartes avec le pronom “tu”, qui peut aussi être associé au lecteur. Cela donne plus de force aux mots.

Le deuxième mouvement

Méthode : Noter les évolutions par rapport au paragraphe antérieur. Repérer le ton, le registre, la structure des paragraphes et les outils majeurs de l’argumentation.

Dans ce mouvement de l’article Bêtes, Voltaire insiste sur le sentiment, la mémoire et les idées des animaux. Il y provoque l’émotion du lecteur.

Est-ce parce que je te parle que tu juges que j’ai du sentiment, de la mémoire, des idées ? Eh bien ! je ne te parle pas ; tu me vois entrer chez moi l’air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l’avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie. Tu juges que j’ai éprouvé le sentiment de l’affliction et celui du plaisir, que j’ai de la mémoire et de la connaissance.

Le pronom personnel “tu” adressé à Descartes est maintenu. C’est un outil de l’argumentation efficace qui de surcroît instaure un dialogue entre les textes de Voltaire et de Descartes.

Ce dialogue et la reprise des arguments majeurs du philosophe sont aussi des outils pertinents pour retourner l’argumentation de René Descartes contre lui.

L’importance de la ponctuation et du rythme des phrases :

La première phrase, interrogative, fait office de transition entre les deux paragraphes et annonce la stratégie argumentative du mouvement (“Est-ce parce que je te parle que tu juges que j’ai du sentiment, de la mémoire, des idées ?”). Les mots clé ici : parler, juger, sentiment, mémoire, idées. La deuxième phrase crée une rupture (“Eh bien ! je ne te parle pas ; tu me vois (…)”) avec sa ponctuation, son rythme saccadé et la négation.

Enfin, l’auteur de l’article Bêtes donne une auto-description presque cinématographique, tel un film muet où le silence prime.

Le paradoxe important ici : le silence et la force des émotions (“tu me vois entrer chez moi l’air affligé, chercher un papier avec inquiétude,(…) le trouver, le lire avec joie.”).

Ce paradoxe signale l’intention critique, de même que la répétition du verbe juger (“Tu juges que j’ai éprouvé le sentiment de l’affliction et celui du plaisir, que j’ai de la mémoire et de la connaissance.”) qui suggère avec satire et ironie un jugement arbitraire, sans fondement et faux.

Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l’a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu’il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.

Le quatrième paragraphe de l’article Bêtes est un paragraphe très intéressant car l’auteur y fait une comparaison, une analogie entre un chien et lui-même lors d’un moment de vie semblable afin de faire évoluer la thèse de René Descartes. (“Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître”)

L’usage de l’impératif :

Voltaire se donne un air d’autorité dans l’article Bêtes, il veut convaincre René Decartes du bien fondé de son propos. C’est ce qu’il fait avec l’évocation qui suit.

Les ressemblances dans la description des activités de l’auteur et du chien suscitent l’émotion du lecteur. Il nous faut mettre en parallèle les deux descriptions :

  • “tu me vois entrer chez moi l’air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l’avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie.”
  • et “ce chien qui a perdu son maître, qui l’a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu’il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.”

Dans les deux cas le personnage passe de l’angoisse, la détresse, l’inquiétude à la joie. Et dans les deux cas l’objet de ses sentiments est un objet ou une personne auquel on tient et dont on ignore l’emplacement malgré le souvenir de l’avoir vu à un endroit précis.

De même, les deux descriptions montrent des personnages qui sont agités et trouvent un apaisement sensible dans la réalisation de leur quête.

L’analogie est donc très complète. Mais ce qui distingue l’auteur et le chien c’est la charge émotionnelle de la description. Elle est plus intense pour “ce chien” qui témoigne un amour sans faille à son maître.

Le jeu sur le rythme et les mouvements du corps (“entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve (…) le maître qu’il aime, (…) la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.”) donnent de la douceur à l’extrait.

Le lecteur ne peut qu’être attendri (jeu sur l’émotion)

Des barbares saisissent ce chien, qui l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques . Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu’il ne sente pas ? a-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature.

Méthode : Noter les évolutions par rapport au paragraphe précédent de l’article Bêtes et voir s’il n’y a pas une forme de conclusion. Repérer le ton, le registre, la structure du paragraphe et les outils majeurs de l’argumentation. Montrer comment Voltaire défend sa thèse.

Dans ce dernier paragraphe, il va de l’argumentaire choc qui suscite l’émotion au raisonnement raisonnable et logique pour convaincre René Descartes et le lecteur de l’absurdité et l’hypocrisie de la théorie machiniste au sujet des animaux.

Il faudrait donc analyser :

La rupture créée par la violence de la scène, le jeu sur les contrastes et les ruptures qui prennent une grande force lorsqu’il s’agit d’émotion :

Ici nous passons d’une description attendrissante d’un chien qui cherche le maître qu’il aime à l’évocation crue et choquante de sa mise à mort lors d’une autopsie (“Des barbares saisissent ce chien (…) ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques.”)

L’intérêt scientifique échappe au lecteur, frappé par la violence et la cruauté des “barbares” en question.

Il faut aussi souligner l’insistance sur la valeur émotionnelle et sentimentale du chien (“l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié”) qui contraste avec le peu d’humanité et de compassion des scientifiques qui autopsient vivant un animal pour étudier la circulation de son sang.

L’usage du terme “barbares” et la cruauté de la description scientifique qui tente de mettre de côté de manière absurde les sentiments de l’animal autopsié :

“Des barbares saisissent ce chien (…) et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques . (…) la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu’il ne sente pas ? a-t-il des nerfs pour être impassible ?”.

Les questions rhétoriques soulignent l’absurdité de la théorie machiniste du philosophe. L’auteur mise ici sur un argument de raison.

Insistance raisonnable sur les ressemblances entre l’homme et le chien, donc entre l’homme et l’animal notamment en terme de sentiment :

“Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi.”  Pourquoi pourrait-on autopsier un animal encore vivant, qui est égal à l’homme face à la souffrance, alors que jamais on ne le ferait à un être humain ? Pourquoi nier les sentiments de l’animal et le traiter comme une machine ?

En guise de conclusion

Il faut veiller à synthétiser les grandes idées du commentaire de manière chronologique.

Les points à aborder pour l’article Bêtes :

Tout d’abord, l’article Bêtes est une plaidoirie contre la théorie machiniste de René Descartes qui considère que les animaux sont des machines, sans sentiment, sans mémoire ni même capacité de perfectionnement.

Dans un premier temps Voltaire remet en question l’absence de capacités de perfectionnement et de transmission des animaux en dialoguant avec Descartes.

Puis il a recours à l’émotion pour convaincre le philosophe et le lecteur que les animaux ont bien des sentiments. Il joue avec les ruptures pour provoquer un ascenseur émotionnel.

Il termine son argumentaire en s’appuyant sur des éléments raisonnables.

En un sens, on peut dire que c’est un précurseur de l’éthique animale.

N’hésitez pas à consulter d’autres commentaires littéraires sur le site, ainsi que des articles de méthodologie. Bon courage pour vos révisions !

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