Deux visions s’affrontent, entre les économistes qui sont favorables au laisser-faire des marchés financiers et ceux qui affirment que la régulation financière entendue comme une réglementation est indispensable, la finance étant vue comme intrinsèquement instable. Dans cet article, nous allons analyser ce sujet concernant la régulation de la finance.
Le système financier est dit efficient lorsqu’il n’est pas régulé
Ross Levine est le chef de file de l’abondante littérature empirique qui vise à appréhender le lien de causalité entre le développement financier et le développement économique. Il exerce alors une grande influence : il a été économiste à la Banque mondiale entre 1990 et 1997 au moment où celle-ci promouvait sa stratégie de libéralisation financière, et ses articles lui valurent une grande reconnaissance académique. Les travaux de Ross Levine font beaucoup d’adeptes et peu de contradicteurs.
De ce fait, la politique de libéralisation financière a été proposée comme une alternative censée offrir plus de liberté aux marchés des capitaux pour une sélectivité plus rationnelle et rentable des financements, et leur orientation vers les agents productifs. Cette orientation a reçu un large suivi d’abord par les pays développés avant de s’élargir à beaucoup d’autres en développement, qui ont vite libéralisé leurs systèmes financiers sur le plan interne et externe, réalisant ainsi des taux de croissance assez élevés, pour la plupart.
Les pays développés ont libéralisé leurs marchés financiers à partir des années 1980 et les pays émergents, dans leur grande majorité, à partir des années 1990. Apparaît la globalisation financière. Les flux de capitaux avec l’extérieur peuvent prendre la forme d’investissements directs étrangers (IDE), qui sont placés à long terme dans le cadre de stratégies d’entreprises peu susceptibles de connaître de brusques changements d’approche et la forme d’investissements de portefeuille, qui sont beaucoup plus volatiles.
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Pourquoi la libéralisation financière n’est pas toujours souhaitée ?
Si dans les pays émergents comme l’Indonésie, la Corée du Sud, la Malaisie, l’Argentine, une croissance très positive des indicateurs macro-économiques a été enregistrée à la suite de leur ouverture financière jusqu’en 1996. La crise financière, par contre, qui s’est déclenchée, d’abord en Thaïlande durant l’été 1997, pour se propager à d’autres pays, a relativisé le bilan jusque-là positif de la libéralisation financière.
Hyman Minsky, dans Stabilizing an unstable economy 1986, avance l’hypothèse d’instabilité financière : il y a un lien entre incertitude radicale, fragilité financière et instabilité économie qui constitue à ses yeux l’essentiel de la théorie keynésienne. Minsky présente une théorie des cycles financiers endogènes. Le financement de l’économie se modifie au cours du cycle, devenant de plus en plus spéculatif. En début de cycle on observe un financement prudent qui correspond à une couverture intégrale de la dette par les revenus. Cette période de tranquillité conduit les firmes à être de plus en plus optimistes quant à la continuité du processus d’expansion. Les entreprises augmentent donc leurs investissements et les banques commerciales favorisent l’émergence de structures financières moins prudentes et plus spéculatives. H.Minsky introduit le concept de paradoxe de la tranquillité : c’est pendant la phase d’expansion que se mettent en place les conditions pour l’apparition d’une crise financière future. La crise financière se prépare lorsque l’économie est prospère.
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Les autorités de régulation régulent mal le système financier
Les institutions internationales ont souvent été en retard par rapport au processus de globalisation financière. Les règles ont été contournées par les banques (la titrisation a permis de sortir des bilans bancaires une grande partie de leurs engagements) et déjà des économistes insistaient sur le fait que ces règles étaient insuffisantes.
De surcroît, la coopération internationale est restée insuffisante alors même que la financiarisation s’accélérait pendant le début des années 2000. Le développement des paradis fiscaux a permis de créer des structures financières opaques, incontrôlables que les autorités internationales n’ont pas su ou pas pu réguler.
En outre, le shadow banking se développe. Le shadow banking, littéralement “banque de l’ombre “, désigne un système bancaire “parallèle”. Malgré son nom, le shadow banking, est loin d’être une pratique illégale. Le contour du shadow banking, de ses activités et de ses acteurs, est difficile à cerner.
Dans une approche par entités, on retient celles qui sont en dehors du système bancaire traditionnel, pouvant assurer l’intermédiation de crédit. Ces entités peuvent être des fonds de placement monétaire, des fonds spéculatifs, des fonds de capital-investissement, etc. Dans une approche par activités, on peut retenir la titrisation, les prêts de titres et les opérations de pension. Dans un sens encore plus large, le shadow banking peut regrouper les établissements de crédit-conso ou de crédit-auto, de micro-crédit, les sites de crowdfunding (financements participatifs), les plateformes de monnaies virtuelles (bitcoins par exemple). Le shadow banking comporte toute une série de risques. Les entités ne sont pas soumises aux réglementations prudentielles. Le shadow banking est un système opaque, où l’information n’est pas transparente et où s’affirme la non-traçabilité des risques. Il peut donc présenter un risque systémique, ou risque de contamination d’une crise du shadow banking au secteur bancaire traditionnel, puis à l’ensemble de l’économie.
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