Dans le livre V chapitre II de La République (1576), J. Bodin cristallise la pensée populationniste avec le célèbre mantra : « il n’y a de richesse que d’hommes ». Le dynamisme et la prospérité d’une nation reposeraient ainsi sur sa croissance démographique, mais l’augmentation brutale de la population à partir de la fin du 18e siècle va bouleverser la vision que l’on se fait de la population.
La croissance démographique à partir de la fin du 18e siècle
Alors que Godwin (La Justice politique, 1793) faisait de la misère la conséquence d’une répartition inégale des richesses propre au capitalisme et prônait l’intervention de l’État, Malthus, dans Essai sur le principe de population (1798) dédouane le capitalisme de toute responsabilité : la misère provient du décalage entre la « loi de progression arithmétique de la production » et la « loi de progression géométrique de la population ».
L’État ne doit pas intervenir, sous peine d’entretenir les pauvres, qui tombent dans l’assistanat et ne sont pas incités à arrêter de se reproduire (Poor Laws, 1601). Pour résoudre ce problème, Malthus, en bon pasteur anglican, préconise les « obstacles privatifs à la natalité » comme la « contrainte morale » (chasteté prénuptiale, recul de l’âge du mariage) mais pas le « vice » (contrôle volontaire des naissances, permettant d’avoir des relations sexuelles dont la finalité n’est pas la procréation). Cette vision pessimiste de la croissance démographique sera reprise par Ricardo dans sa Théorie de la rente différentielle (1817), qui en fait là la cause de l’état stationnaire. Cette pensée sera poussée à l’extrême par une vague néo-malthusienne en Grande-Bretagne (la Ligue Néo-Malthusienne) et en France (la Ligue de la Régénération Humaine de P. Robin, 1896) qui encourage la pratique du « vice ».
Mais la croissance démographique française est bien plus faible que celle de ses voisins européens. Des penseurs vont alors se faire anti-malthusiens, comme A. Dumont (1890) ou P. Leroy-Beaulieu (La question de la population et la civilisation démocratique, 1897), tous deux expliquant cette insuffisance de la natalité par la volonté de voir ses enfants gravir les échelons de la société. Le combat sera mené par J. Bertillon, qui crée l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française (1896) pour s’opposer à P. Robin, et aura finalement le dernier mot en 1920 lorsqu’est votée une loi interdisant la vente de moyens de contraception.
Du côté socialiste, on s’insurge également contre la pensée de Malthus : ce n’est pas une loi démographique naturelle qui est à l’origine de la misère, mais c’est toute une logique inventée par la bourgeoisie pour en faire son « armée de réserve ».
La gestion de la natalité par les PDEM et PED au 20e siècle
À l’aune du 20e siècle, les PDEM ont tous achevé leur « transition démographique » (F. Notestein, 1945), c’est-à-dire : le passage d’un régime démographique ancien à un régime démographique nouveau : schématiquement, avant 1750, les taux de mortalité et de natalité étaient élevés donc le taux d’accroissement naturel était faible. Avec les progrès dans la médecine et l’hygiène, le taux de mortalité diminue, donc le taux d’accroissement naturel devient fort. À partir de 1880, avec la sécularisation progressive et l’accès plus large à la scolarisation, le taux de natalité baisse, avant que les deux taux se rejoignent à un niveau faible, pour un taux d’accroissement naturel faible.
Le paradigme keynésien
Dans le paradigme keynésien en vogue pendant les Trente Glorieuses, cette population nombreuse est une variable stimulatrice de la demande effective (et donc de la croissance) et de l’accroissement du budget de l’Etat en vertu du mécanisme de rétroaction. E. Boserup, dans Évolution agraire et pression démographique (1965) montre quant à elle que la croissance démographique entraîne une « pression créatrice » en poussant à l’intensification de la production. A. Sauvy confirmera cet optimisme en montrant que l’arrivée massive des jeunes sur le marché du travail les pousse à développer un esprit d’innovation. Enfin, les travaux de Kuznets sur les cycles du bâtiment (Secular Movements in Production and Prices, 1930) mettent en évidence l’intensification de la construction immobilière du fait de la hausse de la population.
La croissance démographique dans le Tiers-Monde
Mais parallèlement, la croissance démographique dans le Tiers-Monde, qui entre en effet dans la deuxième phase de transition démographique, conduit à revoir ces positions : A. Coal et E. Hoover (1958) montreront que plus la fécondité par ménage est élevée, plus leur épargne est faible, et finalement, plus l’investissement est faible. Ces pays ne peuvent donc dégager l’épargne nécessaire à l’investissement afin de sortir de la pauvreté : H. Leibenstein parle de « trappe malthusienne » (1954), P. Bairoch de « tiers-monde dans l’impasse » (1971).
P. Ehrlich publie La Bombe P (1968), puis les conférences internationales se multiplient et participent de la prise de conscience collective des problématiques de population et d’environnement : l’ONU crée le Fond des Nations Unies pour les Activités en matière de Population (FNUAP, 1969) pour aider financièrement les pays qui réduisent leur natalité, en 1972 est publié le rapport Meadows, à la conférence de Bucarest (1974) les PDEM incitent les PED à limiter leurs naissances.
Les pays natalistes, comme la Chine (politique de l’enfant unique en 1979 sous D. Xiaoping) ou l’Inde l’entendent et mettent en place une très forte politique néo-malthusienne. Parallèlement, un changement de mentalités s’opère, une société hédoniste est née de la « libéralisation sexuelle », la femme s’émancipe, l’Église décline ou suit les mentalités (Concile Vatican II, 1962-1965) et de nouvelles méthodes de contraception voient le jour : légalisation de la pilule en France en 1967, puis avortement en 1975 (S. Veil).
D’autres analyses, plus théoriques, expliquent cette baisse de la fécondité dans les 1970s : G. Becker l’explique par un calcul-coût avantage lié au coût d’opportunité de l’enfant dû à la hausse de l’emploi féminin, D. Cohen dans Trois leçons sur la société postindustrielle (2006) l’explique par la « mondialisation des images de la mondialisation » (diffusion médiatique d’un modèle culturel unique).
Le revers de la médaille de la croissance démographique
Les PDEM vont devoir faire face au vieillissement de leur population, ce qui pose la question de la prise en charge des personnes âgées (dépenses pour la retraite, pour la santé, etc.) et de la réduction de l’offre de travail. C’est particulièrement le cas du Japon, de l’Allemagne, ou de la France (« papy-boom »), où se pose donc la question de la crise du système de répartition (Europe) et de capitalisation (Japon).
Le vieillissement de la population entraîne également une baisse du taux d’épargne, en vertu de la théorie du cycle de vie (F. Modigliani, 1954) : les jeunes en début de vie active épargnent peu et s’endettent ; à l’âge mûr, ils remboursent leurs dettes et se constituent une épargne ; à la retraite, ils désépargnent pour maintenir leur niveau de vie.
L’augmentation de la population a également des conséquences sur l’environnement. En effet, pour répondre à la demande mondiale croissante, on a augmenté les prélèvements des ressources naturelles, ce qui s’est traduit par une production de déchets de plus en plus importante (le « 7e continent ») ainsi que par des rejets polluants. Certains se mobilisent ainsi pour la « décroissance » comme P. Ariès, martelant qu’une population trop nombreuse et une production trop forte mèneront tout droit à un épuisement des ressources naturelles. On assiste aussi à une « ruée vers l’or bleu » en particulier en Afrique, où les tensions alimentaires sont fortes. Le 23 septembre 2008, notre planète connaît officiellement le premier « jour du dépassement ». Dès lors, « Sommes-nous trop nombreux ? » (F. Joignot, Le Monde, janvier 2009). Toutefois, il apparaît que c’est bien plutôt le mode de production qui pêche : les ressources de la terre sont suffisantes pour tous nous nourrir, à condition de mieux produire (réduire CO2, développer le recyclage, de nouvelles techniques de production, etc.) et mieux répartir : c’est le « développement durable ».