La question centrale est celle de la transition d’une croissance carbonée à une croissance bas-carbone. Il faut alors mettre en place des outils spécifiques, et cela, même dans le domaine de la finance.
Le manque d’investissements à long terme dans le système financier
L’économie mondiale se trouve dans une situation paradoxale avec, d’un côté, une épargne surabondante et, d’un autre côté, des besoins considérables d’investissement à long terme non satisfaits liés, en particulier, à la transition énergétique. Il y a ainsi une incapacité de la finance globalisée à orienter les réserves mondiales d’épargne vers l’investissement productif et durable. Le déficit d’investissement à long terme serait lié aux limites du système financier international et à ses capacités d’intermédiation. Ces comportements court-termistes se traduisent par un raccourcissement considérable de l’horizon de placement des investisseurs.
La « tragédie de l’horizon », rappelée par le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, fait référence à des risques collectifs catastrophiques et susceptibles de se manifester bien au-delà de l’horizon des décideurs économiques et politiques actuels.
Le biais court-termiste des investisseurs contribue aux dérèglements de l’ajustement global entre épargne et investissement, et au déficit d’investissement à long terme. Considérant que les effets négatifs du changement climatique se feront sentir à un horizon éloigné, les investisseurs sont amenés à négliger les risques financiers qui en découlent. Cet horizon long s’applique à la plupart des investissements pour le développement durable. Il est incompatible avec un système financier dominé par des critères de court terme. Les marchés financiers sont ainsi incapables de calculer le risque d’événements survenant à long terme.
De plus, les investissements dans l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique comportent des risques, comme tout investissement innovant. Ces incertitudes portent à la fois sur la capacité de ces investissements à contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur la valorisation attendue de la lutte contre le changement climatique. Ils présentent ainsi des handicaps supplémentaires par rapport aux investissements habituels. Ce risque limite ainsi l’endettement toléré par les banques.
Enfin, les investissements nécessaires à la transition énergétique et au développement durable se caractérisent également par le fait qu’ils génèrent d’importantes externalités qui ne sont pas prises en compte par les critères de rentabilité financière des investisseurs.
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La possibilité de surmonter la « tragédie de l’horizon »
S’attaquer à « la tragédie de l’horizon » implique déjà de donner un poids important aux risques et aux critères d’investissement extra financiers, économiques, sociaux et environnementaux.
La difficulté d’accès au financement d’investissements de long terme justifie l’usage d’outils spécifiquement orientés vers le financement de ces projets. Il s’agit de faciliter les nouveaux investissements bas-carbone, de trouver un mécanisme financier qui élimine la différence entre rendement privé et rendement social des investissements.
Une solution est proposée par des auteurs comme Étienne Espagne et Michel Aglietta. Il faut certifier les réductions d’émissions. Un organisme indépendant assure le contrôle et le suivi des projets bas-carbone et délivre des « certificats carbone » (CC) aux projets en fonction des réductions d’émissions effectivement réalisées. L’institution monétaire de l’entité géographique concernée (banque centrale nationale, européenne, FMI) annonce qu’elle est prête à refinancer les prêts bas-carbone délivrés par les banques de second rang à hauteur de la valeur des réductions d’émissions réalisées par les projets, soit la valeur des CC. Les institutions financières qui accordent un prêt à un projet bas-carbone savent que les CC sont garanties en valeur et monétisables par la banque centrale. Elles sont donc incitées à rééquilibrer l’ensemble de leur portefeuille de prêts en faveur de ce type de projets bas carbone. Les CC agissent comme une réduction du risque lié aux projets de la transition bas-carbone. Les crédits bas-carbone deviennent ainsi attractifs pour le système financier.
On redirigerait alors les nouveaux investissements vers des secteurs bas-carbone, car les banques de second rang seraient incitées à financer des investissements bas-carbone. Ce qui permettrait l’émergence progressive d’une valorisation correcte du carbone.
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