À la suite du processus de décolonisation dans la seconde moitié du 20e siècle, les pays nouvellement indépendants vont accomplir différentes stratégies pour sortir du sous-développement. Dans un premier temps (1950-1980), l’État va se voir accorder un rôle primordial tant à l’Ouest dans lequel domine le keynésianisme qu’à l’Est dans lequel domine le socialisme. Dans un second temps, face aux défaillances des PED dans leurs stratégies autonomes de développement révélées par la crise de la dette des années 1980, et pour les aider à surmonter leurs blocages structurels et rembourser leurs dettes, les institutions financières internationales vont prôner le désengagement de l’État et le libre jeu du marché. Mais au regard de la brutalité et de l’échec de l’ajustement structurel, un nouveau paradigme du développement émergera dans les années 1990.
Les stratégies d’industrialisation (années 1950 -début 1980)
Les fondements des stratégies d’industrialisation
Influencés par A. Lewis, la plupart des pays du tiers-monde vont choisir de privilégier l’industrie au détriment de l’agriculture, pour bénéficier des effets d’entraînements sur les autres secteurs par l’intermédiaire des gains de productivité et d’un accroissement de la qualité de la main-d’œuvre.
Mais dans quelles branches de l’industrie investir ? Deux thèses s’opposent alors. R. Nurske et P-R Rodan se feront les chantres de la « croissance équilibrée », consistant à répartir les investissements dans toutes les branches industrielles afin d’assurer simultanément l’équilibre en l’offre et la demande pour éviter tout déséquilibre. De l’autre côté, A. Hirschman (Stratégie du développement économique, 1958), F. Perroux (L’économie du XXe siècle, 1961) et G. Destanne de Bernis prônent la « croissance déséquilibrée », stratégie inspirée du modèle stalinien, consistant à concentrer les investissements dans les industries lourdes. La croissance généralisée sera censée en découler, via les effets d’entraînement.
Le développement autocentré
À la suite de spécialisations défaillantes (souvent dues à un passé de colonie) et d’une dégradation des termes de l’échange, les pays en développement (PED) vont fonder leur industrialisation sur le développement du marché intérieur. La majorité d’entre eux suivent la voie préconisée par la CEPAL et R. Prebisch, qui reprennent le « protectionnisme éducateur » de F. List, à savoir « l’industrialisation par substitution aux importations » (ISI). Il s’agit de se libérer de la dépendance envers le centre en substituant progressivement la production nationale aux importations. Elle suppose un financement des investissements massifs, dont se chargera la Banque mondiale. Le développement doit être assuré par une stratégie de « remontée de filière » en amont, consistant à produire d’abord des biens de consommation basique (alimentaires, textiles) puis des biens plus élaborés (chimie, puis biens industriels, puis biens d’équipement). À terme donc, cette stratégie doit aboutir à une production industrielle diversifiée.
Une autre voie, suivie en particulier par l’Inde dans les 1950s et l’Algérie à partir de 1967, est la stratégie des « industries industrialisantes » : l’idée est de construire une industrie non vers l’amont, mais vers l’aval grâce à une politique volontariste de l’État et une planification. Inspirée de l’expérience soviétique et des thèses de la « croissance déséquilibrée », elle consiste pour l’État à investir dans les secteurs stratégiques pour constituer des « pôles leaders » qui, via des effets d’entraînements, propageront le développement dans tous les secteurs industriels en aval (industrie « industrialisante »).
Le développement extraverti
Une partie du tiers-monde va suivre une autre stratégie, celle du « développement extraverti », passant par une participation croissante au commerce international, suivant en cela les principes ricardiens des avantages comparatifs. Cette stratégie prend une première forme, celle de « l’industrialisation par exportation de produits primaires ». Ce sont en particulier les PED dotés de ressources naturelles abondantes, comme le pétrole.
L’idée est que les bénéfices tirés de ces exportations doivent permettre d’importer des biens d’équipement pour favoriser l’industrialisation du pays ; mais spécialisés dans une monoculture, ces pays subissent une dégradation des termes de l’échange, la forte volatilité des cours des produits primaires ainsi que les pratiques protectionnistes des pays du Nord.
De plus, conformément à la loi d’Engel (1857), la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires est d’autant plus faible que le revenu est élevé ; à cela s’ajoute que le progrès technique dans les PDEM permet de substituer des matières synthétiques aux matières premières. Enfin, à l’exception des pays de l’OPEP, les PED qui mettent en place cette stratégie sont touchés par la « malédiction des ressources naturelles » (R. Auty, 1990), due à la captation des richesses par une oligarchie corrompue (comme Mobutu au Zaïre) et font aujourd’hui partie des PMA et du « milliard d’en bas » (P. Collier, The Bottom Billion, 2007) du fait de cette spécialisation défaillante.
La seconde forme de développement extraverti est la stratégie « d’industrialisation par substitution aux exportations ». Elle est initiée dès les 1950s par Hong-Kong et Singapour, rejoints dans les 1960s-1970s par la Corée du Sud et Taïwan (qui deviennent les « Dragons » ou « NPIA ») et certains pays d’Amérique latine, comme le Brésil, le Chili ou le Mexique. Dans les 1980s, la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines les rejoignent (ce sont les « Tigres »). Il s’agit de substituer progressivement aux exportations de produits primaires des produits de plus en plus élaborés par la « remontée de filières » (modèle de développement en « vol d’oies sauvages », Kaname Akamatsu, 1937), tout en s’ouvrant aux IDE des FMN par une politique de main-d’œuvre bon marché, pour bénéficier des technologies à la pointe, et en acceptant un rôle de l’État soutenu (stratégie « governed market », Robert Wade, 1990). Cette stratégie fut un succès éclatant pour les NPIA : elle conjuguait à merveille protectionnisme éducateur (développement des industries naissantes exportatrices) et ouverture au commerce international.
Le tournant libéral des modèles de développement dans les années 1980
Entre 1968 et 1980, la dette du tiers-monde est multipliée par 12. Cela est dû à la forte demande des PED pour financer leur industrialisation au cours des années 1960 et 1970, car ils sont en besoin de financement. Ce recours à l’endettement a été facilité par les taux d’intérêt nominaux très bas pratiqués par la Fed. Mais en 1979, quand Volcker relève les Fed Funds à 19% pour lutter contre l’inflation, le remboursement des prêts des PED se voit renchérit. Le Mexique se déclare en cessation de paiement en 1982, avant d’être suivi par le Brésil et l’Argentine : c’est la « crise de la dette », qui marque l’entrée dans « la décennie perdue du développement » (H. Singer).
Les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale) vont alors consentir à de nouveaux prêts en contrepartie de l’application de « plans d’ajustements structurels » (PAS) : l’idée est que l’échec des stratégies de développement autocentré est causé par une place trop importante de l’État dans l’économie et une trop faible ouverture au commerce international ; les concepts de libéralisation, de privatisation et de dérégulation sont donc au cœur de ces plans, et relèvent du terrain d’expérimentation libéral du « consensus de Washington » (J. Williamson).
Vers un nouveau paradigme du développement à partir des années 1990
Le rôle des institutions
Les PAS n’ont pas tenu compte des structures internes des PED. Deux institutionnalismes cohabitent. On a d’un côté un D. North (néoclassique) qui insiste sur la mise en place d’institutions rentrant dans la logique des PAS, ce qui en accentue encore le caractère libéral ; et de l’autre J. Stiglitz (néokeynésien) qui s’appuie sur ses travaux sur la concurrence imparfaite pour montrer que les structures de marché peuvent empêcher les mécanismes marchands d’être optimaux (contrats implicites, asymétrie d’information, etc.). Il préconise tout d’abord d’élargir la notion de développement à des dimensions non économiques, comme l’accès à la culture, la démocratie, l’éducation, la santé et la réduction des inégalités ; il appelle également à la mise en place d’institutions de contrôle et de règles de gouvernance financières pour réguler le système financier ; il insiste aussi sur le rôle capital que doit jouer l’État dans le développement, au côté du marché (c’est ce juste milieu qu’il qualifie « d’idéalisme démocratique ») ; il plaide enfin et surtout pour un nouveau modèle de développement qui prenne en compte les spécificités locales.
Un développement durable
Si le Club de Rome avait déjà publié le « Rapport Meadows » en 1972, les chocs pétroliers et la crise économique font vite passer les questions environnementales au second plan. Ce n’est qu’en 1987 qu’est publié le « Rapport Brundtland », dont l’idée force est que l’exploitation des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement constituent un danger pour les perspectives futures de croissance et de développement ; il popularise également la notion de « développement durable », définie comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il exige la réalisation d’une double équité : intragénérationnelle et intergénérationnelle. Le développement durable a donc une dimension écologique et humaine.
Cependant, les PED s’opposent à la dimension écologique du développement durable au nom de leur droit au progrès économique ; ils estiment qu’ils ont un droit légitime à exploiter les ressources naturelles en fonction des besoins nécessaires à leur croissance, au même titre que les pays du Nord lors de leur révolution industrielle au 19e siècle. En conséquence, les différentes tentatives d’imposer des normes environnementales au niveau international sont contrecarrées par le refus des PED de « sacrifier » leur développement, pour réparer les dégâts environnementaux générés par les pays développés depuis 2 siècles. De ce fait, les principaux accords internationaux sur l’écologie n’engagent actuellement que les PDEM (protocole de Kyoto de 1997, accord de Bali en 2007). De plus, les PED refusent d’aborder la question de l’environnement tant que les PDEM n’ont pas amendé leurs subventions agricoles, considérées comme une concurrence déloyale par les PED. L’adhésion des PED au développement durable ne pourra donc se faire que dans le cadre d’un nouveau partenariat international.