Souvent la sociologie se concentre sur les êtres humains et leurs comportements. Dans cet article, nous allons aborder la thématique des organisations, notamment les entreprises.
Les évolutions de l’organisation du travail
Une rationalisation croissante de la production
Dès la fin du 18e siècle, on commence à rationaliser le travail au sein des organisations. D. Landes montre ainsi que l’horloge mécanique rend l’évaluation quantitative du travail des salariés plus simple. L’ouvrier se met en effet à vendre son temps. Par ailleurs, la main-d’œuvre industrielle étant faible à l’époque, des politiques de recrutement sont mises en place : on multiplie les usines-couvents pour recruter les jeunes filles, on construit des cités ouvrières (paternalisme).
Si Smith esquissait l’idée d’une division du travail avec l’exemple de la manufacture d’épingle, il revient à Taylor (Principles of Scientific Management, 1911) d’avoir trouvé le moyen de parer la « flânerie systématique » des ouvriers à travers l’Organisation Scientifique du Travail (OST) : chaque ouvrier est désormais spécialisé, les tâches sont parcellisées et une rémunération différentielle est mise en place. H. Ford reprendra ces concepts, mais ajoutera une « stratégie de volume », dans la mesure où sa Ford T (1908) est le modèle unique de sa production, et est produite en masse. Le « fordisme », généralisé à partir de 1915, reposera alors sur le travail à la chaîne, l’uniformisation de la production, et sur le « 5 dollars a day ».
La dénonciation du taylorisme
Toutefois, à partir de la crise de 1929, un courant réactionnaire se forme, dénonçant les excès psychiques du taylorisme. Elton Mayo montrera ainsi que le rendement des ouvriers ne dépend pas principalement de déterminants matériels, mais bien plutôt de la dimension humaine au sein de l’entreprise (« effet Hawthorne »). K. Lewin va observer les répercussions de différentes formes d’autorité sur des enfants : le leadership « laisser-aller » est peu productif, le leadership autoritaire augmente la quantité, mais pas la qualité et augmente l’agressivité des enfants, tandis que le leadership démocratique accroît la coopération des enfants et in fine la qualité de la production. En somme, la motivation de l’individu répond aux facteurs émotionnels concentrés dans la pyramide de Maslow.
G. Friedmann dans Le travail en miettes (1956) dénonce la division du travail et l’aliénation qu’elle entraîne. Les ouvriers, désintéressés par les objectifs de l’entreprise, ne sont que des automates répétant mécaniquement des tâches harassantes et sont souvent victimes de troubles musculo-squelettiques ce qui expose l’entreprise à des risques de malfaçon, d’absentéisme et de turn-over. Ce travail émietté n’étant rentable ni pour le salarié ni pour l’entreprise, il préconise une revalorisation du travail (rotation, plurispécialisation des ouvriers) et une augmentation des heures de loisir.
Les mutations à partir des années 1970
La crise du fordisme et l’ouverture croissante des économies débouchent sur une demande de plus en plus diversifiée (Linder et Lassudrie-Duchêne). Les organisations se transforment donc à partir des 1970s. Le toyotisme, modèle de production fondé sur la « méthode des 5 Zéros » (combinant qualité, absence de stock et rapidité) et donnant plus d’importance à l’existence du travailleur, apparaît ainsi dès 1962 sous la plume de Taiichi Ono.
Parallèlement, les travaux de F. Herzberg sur les besoins et les motivations au travail débouchent sur un enrichissement du travail (empowerment), c’est-à-dire qu’on encourage la polyvalence et la flexibilité des travailleurs, tout en améliorant la communication au sein de l’organisation.-Enfin, on s’inspire de la success story japonaise des 1960s en mettant en place une « culture d’entreprise » : culte du « héros fondateur » pour entretenir la mémoire collective et apporter de la cohésion dans l’organisation. W. Ouchi dans La Théorie Z (1981) montrait en effet que la réussite japonaise repose sur la façon de manager humainement les équipes.
Le fonctionnement d’une organisation
La bureaucratie, idéale de l’extérieur, mais décriée de l’intérieur
Weber (Economie et société, 1921) imagine un mode d’organisation rationnel, fondé sur des règlements et la division du travail, qui doit rompre avec « l’à peu près » du monde du travail de l’époque. Ce modèle traditionnel légitime l’autorité d’un chef, qui exerce son autorité hiérarchique par le biais de notes de service, qui acquièrent aussitôt une valeur juridique. Aux yeux de Weber, l’efficacité optimale serait ainsi permise par la structure bureaucratique.
Mais dès 1936, Merton constate que plus une organisation se rapproche de l’idéal-type bureaucratique wébérien, plus elle connaît de dysfonctionnements : les fonctionnaires, agissant dans un cadre légal stricte, s’adaptent systématiquement aux règles de la bureaucratie, ce qui grève leur capacité à gérer les imprévus. Gouldner, élève de Merton, confirmera cette intuition en menant une étude entre 1948 et 1951 sur une entreprise de plâtre qui s’est transformée pour être bureaucratique et qui connaît de plus en plus de couilles (changements de directeurs, grèves…) : cette conflictualité réside dans le contrôle rigide de la bureaucratie, qui bride l’autonomie des travailleurs.
C’est pourquoi Peter Blau (The Dynamics of Bureaucracy, 1955) montrera que contourner les règles, violer le cadre rigide de la bureaucratie peut être profitable à l’organisation (ex-répression des fraudes).
G. Stigler développe la théorie de la capture de la réglementation, selon laquelle une institution publique de régulation, bien que destinée à agir en faveur de la collectivité, finit par servir les intérêts commerciaux des entrepreneurs qui « capturent » donc la réglementation. La réglementation n’a donc aucune raison d’améliorer le bien-être collectif : elle constitue donc une défaillance de l’Etat, puisque celui-ci produit ainsi des incitations à la production d’externalités négatives pour les ménages par exemple. « Le seul véritable saint protecteur du consommateur n’est certainement pas le bureaucrate, mais la concurrence ». Conseiller de Nixon, Stigler met ainsi en place une vaste politique de dérèglementation dans les 1970s.-Dans Bureaucracy and Representative Government (1971), Niskasen développe l’idée selon laquelle la production publique est moins efficace que la production privée, car dans le secteur public, les droits de propriété ne peuvent s’exercer pleinement. En effet, il n’y a pas de contrôles effectués par les propriétaires (actionnaires) sur la production, car les propriétaires sont remplacés par la tutelle lâche et éloignée de l’État. Cela débouche sur une surproduction par le bureaucrate, qui va alors demander auprès de son autorité de tutelle une rémunération en prestige (demande de locaux plus prestigieux et plus onéreux).
La sociologie des organisations en France : l’analyse stratégique
Crozier dans Le phénomène bureaucratique (1963) montre que dans les organisations, on a affaire à une structure d’interaction dans laquelle les acteurs mettent en œuvre des stratégies en jouant sur les « zones d’incertitude ». Les ouvriers d’entretien ont par exemple un certain pouvoir sur les dirigeants, dans la mesure où ils monopolisent les compétences de réparation et de réglage des machines. Apparaît alors le « cercle vicieux bureaucratique » : les patrons, pour limiter la zone d’incertitude, vont mettre en place de nouvelles règles.
La critique de la rationalité au sein de l’organisation
H. Simon remet en cause l’hypothèse de rationalité procédurale de la bureaucratie : dans la mesure où l’information n’est jamais parfaite, les individus vont faire leur choix à partir d’une rationalité limitée, tant et si bien qu’ils ne vont pas forcément choisir la solution optimale, mais celle qui sera la plus satisfaisante compte tenu de l’univers dans lequel ils font leur choix.