Le développement se définit comme « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croitre cumulativement et durablement son produit réel et global » (F. Perroux, 1961).
La prise de conscience des inégalités de développement après la Seconde Guerre mondiale
La notion de « pays sous-développé » est utilisée pour la première fois par le président américain H. Truman lors de son discours sur l’état de l’Union (20 janvier 1949). Derrière le plan d’aide proposé à ces pays se cachait avant tout la volonté d’endiguer le communisme en les incitant à adopter l’économie de marché. A. Sauvy forgera ensuite le terme de « tiers-monde » en 1952 pour qualifier les pays sous-développés en marge des blocs de la Guerre froide. C’est l’époque où les pays pauvres s’allient pour revendiquer leur voix dans le concert mondial des nations : à la conférence de Bandung (1955), ils forment le mouvement des « non-alignés » et revendiquent un « nouvel ordre économique international ».
Cette revendication débouche sur la création de la CNUCED (1964), organe de l’ONU qui se fait le porte-parole du tiers-monde pour un commerce plus équitable. Dans les 1970s, l’ONU utilise la notion de « pays en voie de développement » (PVD) pour euphémiser leur caractère marginalisé. Puis, dans les 1980s s’impose l’appellation de « pays en développement » (PED) qui est censé traduire le processus de progrès économique et social dans lequel sont engagés les pays pauvres. Les trajectoires sont toutefois bien différentes : aussi S. Latouche parle-t-il de la « fin du tiers-monde » (1988) pour désigner l’éclatement des PED : on a en effet des pays moins avancés (PMA) principalement en Afrique, qui cohabitent avec de « nouveaux pays industrialisés » (NPI) en particulier en Asie. On parle aujourd’hui de PED, de « Sud », de « pays émergent » ou de « BRICS » (Jim O’Neill, 2001).
La majorité des PED sont d’anciennes colonies, dont la structure économique et sociale a donc été désarticulée par les pays colonisateurs en fonction de leurs propres besoins au 19e siècle. La conférence de Berlin (1885) a par exemple consacré des partitions arbitraires et artificielles en Afrique. Ils furent souvent forcés à se spécialiser dans l’exportation de produits primaires pour les bienfaits des PDEM (par exemple : les cotonnades en Inde par la Grande-Bretagne) ; ils n’ont donc pas pu s’industrialiser, dépendent fortement de l’évolution des cours mondiaux, leur production est peu diversifiée, et leur marché intérieur est faible. Ils se caractérisent également par une forte croissance démographique (ils n’ont pas achevé leur « transition démographique ») avec une forte fécondité et une forte mortalité, une place minoritaire dans les échanges mondiaux.
Les causes théoriques du sous-développement
Le sous-développement comme retard : les théories libérales
Pou rappel, un pays en « sous-développement » est un pays dans lequel les besoins fondamentaux de l’homme ne sont pas couverts (alimentation, sécurité, santé, éducation), et dans lequel règnent la pauvreté, l’inégalité, l’insécurité, qui est marginalisé dans le commerce international et dont les blocages structurels et institutionnels empêchent le processus d’industrialisation et d’amélioration du niveau de vie.
Au cours des 1950s, l’analyse libérale du sous-développement considère ce dernier comme l’expression du simple retard des pays pauvres, qui n’ont qu’à copier le modèle de développement des pays riches. Rostow, dans Les étapes de la croissance économique (1960), établit donc que les pays doivent suivre 5 étapes pour se développer : « Les étapes du développement de toute société sont les suivantes : la société traditionnelle, la préparation au décollage, le décollage, la marche vers la maturité et la société de consommation de masse ».
De plus, dans ces années-là domine le théorème HOS en sciences économiques : l’idée est que peu importe le secteur, les pays doivent se spécialiser là où ils ont un avantage comparatif. Le sous-développement se caractériserait ainsi par une trop faible exploitation et mise en valeur des avantages comparatifs des PED : on ne saura donc mieux les conseiller d’accroitre leur spécialisation dans les produits primaires.
Les structures des PED comme obstacles à leur développement
Pour A. Lewis dans La théorie de la croissance économique (1955), le sous-développement provient de l’utilisation sous-optimale de la main-d’œuvre en raison du dualisme qui caractérise les pays pauvres. Le secteur traditionnel, rural, aux faibles gains de productivité, pèse sur le secteur moderne, aux gains de productivité élevés, car il monopolise la main-d’œuvre disponible et exerce une pression à la baisse sur les salaires. La solution est donc de rompre avec ce dualisme en transférant ce surplus de main-d’œuvre dans le secteur moderne afin de commencer à dégager des profits et donc de l’épargne, afin de lancer le processus d’industrialisation.
G. Myrdal développe, lui, dans Théories économiques et pays sous-développés (1959), la théorie des effets de remous et des effets de propagation : les « effets de remous », entretenus par les institutions féodales des PED, amplifient les déséquilibres et empêchent les « effets de propagation », soit : les effets d’entrainement des pays riches vers les pays pauvres. Il suggère donc l’intervention de l’État pour encadrer le libre jeu du marché et les institutions et empêcher la corruption et le népotisme.
L’analyse structuraliste est développée par R. Prebisch et H. Singer en 1950. Ils considèrent que le sous-développement est la conséquence de la division internationale du travail, qui engendre la polarisation du monde entre un « centre » et une « périphérie ». L’avancée technologique du centre lui confère une position dominante dans le commerce mondial, au détriment de la périphérie qui se voit cantonnée à l’exportation des produits primaires pour le centre.
Cette spécialisation conduit à une dégradation des termes de l’échange des pays de la périphérie : les prix des biens manufacturés au Nord sont de plus en plus chers, tandis que les prix des matières premières du Sud diminuent, donc le prix des exportations augmente et le prix des importations diminue. F. Perroux s’inscrit dans cette veine structuraliste : le monde s’organise selon lui dans des relations inégales de pouvoir entre les pays, certains pouvant orienter les échanges et la production à leur profit (« effet de domination »). L’économie mondiale est donc structurée en pôles d’influence entretenant des relations asymétriques.
Le sous-développement s’expliquerait aussi par le fait que certaines sociétés ne sont pas prêtes culturellement au développement : certains pays cultiveraient des pratiques religieuses ou traditionnelles, incompatibles avec l’idée de progrès, d’enrichissement et d’accumulation. M. Weber, dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905) montrait en effet que pour s’épanouir et se développer, les relations marchandes nécessitent l’apparition et la généralisation d’un « esprit capitaliste ».
Le sous-développement comme conséquences de l’impérialisme : les analyses néomarxistes
Les économistes néomarxistes vont radicaliser l’analyse centre-périphérie dans les 1960s-1970s en développant la notion de dépendance dans le cadre d’une théorie de l’impérialisme des pays développés sur les pays du Sud. Ils se fondent sur l’analyse de Lénine, qui, en 1916, expliquait que les sociétés capitalistes allaient puiser dans les colonies pour se prémunir contre la loi de la baisse tendancielle des taux de profit. Ainsi, A. Emmanuel (L’échange inégal, 1969) puis S. Amin (L’échange inégal et la loi de la valeur, 1973) expliquent-ils que la nature du capitalisme mondial est « inégale », les pays du centre ayant organisé le « pillage impérialiste du tiers-monde » pour rapatrier les richesses produites par leurs FMN dans le Sud sur leur territoire : en effet, le différentiel salarial plus alléchant au sud entraine la migration des capitaux du Nord au Sud, pour extorquer un surprofit qui est ensuite rapporté au Nord. Comme le capitalisme interdit donc l’intégration économique de la périphérie, ces auteurs prônent la déconnexion, c’est-à-dire la rupture de la dépendance avec le centre via le protectionnisme, et plus précisément le « développement autocentré ».
La remise en cause de l’analyse néomarxiste et des stratégies d’ISI
Le développement fulgurant des « Dragons » puis des « Tigres » remettra toutefois en cause les analyses marxistes. A. Lipietz, dans Mirages et miracles (1986) critiquera alors l’école de la dépendance en montrant que les pays de la périphérie ne sont pas spécialisés de force dans les productions de matières premières. Le capitalisme a en effet trouvé, grâce au système fordiste et l’indexation des salaires, son problème de débouchés dans son propre système ; si sous-développement il y a, c’est donc en raison de stratégies d’industrialisations qui furent laborieuses.
Face aux fortunes diverses et variées des PED, la notion de développement évolue
Le sous-développement ne recouvre pas un monde homogène comme le laissait à croire le concept de tiers-monde dans les 1950s et 1960s. Le niveau de développement des NPI à partir des années 1970 converge vers celui des PDEM, tandis que les PMA s’enfoncent dans le sous-développement. Pour rendre compte de ces différentes trajectoires, A. Sen met au point en 1990 l’indicateur de développement humain (IDH), défini comme « ce qui fait progresser la richesse de la vie humaine ». Parallèlement, le développement prend également une face environnementale, avec le « développement durable ».