Les classes moyennes sont souvent définies comme un groupe social intermédiaire, ayant un revenu suffisant pour subvenir à ses besoins sans atteindre le niveau de richesse de la bourgeoisie. Mais ce concept s’applique-t-il au XIXe siècle ?
À l’époque de la Révolution industrielle, les classes moyennes émergent comme un acteur clé de la consommation de produits industriels. En Grande-Bretagne, elles stimulent l’essor du marché intérieur, tandis qu’en France, leur développement reste plus progressif.
Comment se forment les classes moyennes au XIXe siècle ? Quels sont leurs modes de consommation et leur impact sur l’industrialisation ? Nous analyserons d’abord leur origine au XVIIIe siècle, puis leur rôle dans la consommation du XIXe siècle, avant d’examiner leur lien avec la révolution industrielle.
Naissance des classes moyennes avant la révolution industrielle
Qui sont les classes moyennes au XVIIIe siècle en Grande-Bretagne ?
Au XVIIIe siècle, les consommateurs britanniques de produits industriels sont en quelque sorte la définition de la classe moyenne. En effet, d’une part, les paysans ont encore un trop faible pouvoir d’achat, de plus, ils sont peu nombreux, même si, de manière générale, ils ont pu avoir accès à la consommation et d’autre part, les propriétaires fonciers préfèrent la consommation de biens de luxe
artisanaux et de services.
Au Royaume-Uni, la part d’agriculteurs est donc faible, mais les classes moyennes représentent le marché principal de la production industrielle. En effet, elles sont en expansion numérique et ont un pouvoir d’achat qui leur permet de subsister à leurs besoins alimentaires, mais pas seulement.
Enfin, elles ont créé un modèle de consommation fondé sur le confort (inspiré du modèle de consommation des aristocrates).
Pourquoi les classes moyennes étaient-elles essentielles au marché industriel ?
Au XVIIIe siècle, le niveau des pouvoirs d’achat était plus faible qu’aujourd’hui, les classes moyennes étaient donc moins nombreuses, même à Paris, les modes de consommation étaient inspirés de ceux de l’aristocratie. Tout cela ne stimulait pas l’industrie.
En bref, le volume et la nature de la consommation dépendaient du pouvoir d’achat par catégorie sociale et de l’importance numérique du groupe considéré.
À la veille de la Révolution française, le marché français est restreint par le peu de catégories sociales intermédiaire (hors agriculteurs) et le bas niveau des revenus des paysans et les salaires. Le marché intérieur français est ainsi divisé en deux parties :
- Marché fermé de produits de haute qualité pour les catégories sociales supérieures ;
- Marché de produits ordinaires pour les classes populaires : « siamoises » (tissus coton/lin) : bon marché, mais de mauvaise qualité.
Comme il n’y a pas de classes moyennes, l’industrie française ne pouvait compter que sur ses exportations, car la demande populaire n’était pas assez dynamique. De plus, à la suite du Traité de Commerce franco-anglais de 1786, la concurrence britannique a abattu les cotonnades normandes parce qu’elles faisaient des économies d’échelle du fait d’un marché intérieur plus large et par la hausse de leurs exportations. En particulier, les industriels cotonniers britanniques avaient une certaine avance technique que les Français manquaient.
L’essor des classes moyennes et leur consommation au XIXe siècle
Quels produits étaient consommés par les classes moyennes ?
Les classes moyennes anglaises deviennent au XIXe un débouché important pour les produits de « demi-luxe », copiés des biens des riches tout en utilisant des matériaux moins chers et en limitant les coûts de fabrication, de sorte qu’ils avaient l’air d’être des produits de luxe sans l’être réellement. On peut évoquer donc l’orfèvrerie plaquée ou les reproductions d’œuvres d’artistes réputés pour les fabriquer en grand nombre.
En Grande-Bretagne, jusqu’aux années 1860, la demande des classes moyennes en produits industriels dominait le marché. La demande des autres catégories sociales était en baisse parce qu’on se situait dans une société très inégalitaire.
En 1867, les 30 000 Britanniques les plus riches disposaient de 23 % du revenu national, mais ils ne consommaient pas beaucoup, donc ils avaient un fort taux d’épargne, et de plus, ils préféraient consommer des biens de luxe importés ou artisanaux (i.e non industriel).
Les agriculteurs sont en déclin numérique, en 1850, ils ne consommaient que 15% du produit industriel.
Les travailleurs salariés, quant à eux, la même année, consomment 10% du produit industriel parce que les salaires réels ont augmenté moins vite que la consommation, par conséquent, les classes populaires en ont pâti.
Comment la consommation des classes moyennes a-t-elle influencé l’industrie ?
La première révolution industrielle bénéficie aux classes moyennes, car la hausse des profits industriels et commerciaux a entraîné la hausse de leurs revenus. Les employés et les ouvriers en haut de leurs catégories sociales ont réussi s’intégrer dans les classes moyennes grâce à la différenciation des salaires entre 1820 et 1850.
Par ailleurs, la demande intérieure s’est accrue pour les produits de milieu de gamme destinés aux classes moyennes, tandis que l’industrie s’est retrouvée en difficulté et a dû tenter de trouver des débouchés extérieurs pour ses produits de grande série aux prix peu élevés (par exemple : les cotonnades). Dès les années 1820 et jusqu’aux années 1860, le marché intérieur français devient plus large et de plus en plus dynamique du fait notamment de la structure sociale et de l’évolution des revenus. Il pouvait se reposer sur les paysans qui représentaient 50% de la population active et qui consommaient 20-25% des produits de l’industrie textile. Cette hausse de leur pouvoir d’achat est due à plusieurs facteurs à savoir la hausse de la production agricole, mais surtout l’augmentation de son taux de commercialisation et également la stabilité des prix agricoles, contrairement à la tendance à la baisse des prix industriels.
Dans la première moitié du XIXe siècle, l’urbanisation française est donc lente, mais les classes moyennes deviennent de plus en plus nombreuses. De plus, il y a un nombre important de créations d’entreprises, avec la possibilité de « se mettre à son compte » qui montre une forte mobilité sociale, il est alors difficile de différencier classes populaires et classes moyennes. Ceux qui réussissaient en effet pouvaient adopter un modèle de consommation petit-bourgeois…
Classes moyennes et industrialisation : un moteur économique ?
À partir de 1870, les classes populaires urbaines ont commencé à représenter une partie importante aussi de la consommation de produits industriels, mais elles n’y avaient accès qu’à travers le marché de l’occasion (importance des friperies) principalement.
Enfin, selon la loi des débouchés de Jean-Baptiste Say : le revenu qui constitue la demande serait égal à la production qui l’a fait naître (l’offre crée sa propre demande). Du coup, l’augmentation de l’offre ou de la demande ne serait ni l’une ni l’autre, responsable de la révolution industrielle.
Mais en Angleterre, la demande de biens de consommation par les classes moyennes nombreuses ont stimulé la révolution industrielle. Toutefois, rien n’explique pourquoi les classes moyennes étaient si nombreuses et pourquoi elles avaient un pouvoir d’achat croissant.
Cela est expliqué par le fait, premièrement, d’un développement industriel et commercial précoce (dès le XVIIe siècle). De plus, l’importance de la marine et des transports maritimes a entraîné le développement des métiers du secondaire et du tertiaire.
Enfin, l’amélioration de l’agriculture anglaise (1650-1750) a permis la baisse du
prix des produits alimentaires, ce qui a fait augmenter la part du revenu destinée aux produits manufacturés.
Pour conclure, nous pouvons dire que les classes moyennes ont rapidement vu le jour en Grande-Bretagne, ce qui ne fut pas le cas en France où elles n’ont émergé qu’à partir du XIXe siècle. Les classes moyennes anglaises mènent un train de vie calqué sur celui des riches, mais adapté à leur revenu et sont notamment très portées sur la consommation de produits industriels. Les classes moyennes françaises deviennent plus nombreuses au cours de la première moitié du XIXe siècle. En France, c’est la période des Trente Glorieuses qui va véritablement développer les classes moyennes et une société de consommation à laquelle elles auront fortement accès.