En s’appuyant sur l’ouvrage Le grand méchant marché de David Thesmar et Augustin Landier nous nous demanderons : Quel a été le développement des Trente Glorieuses et comment en est-on arrivé à ce cadeau empoisonné ? Le développement des Trente Glorieuses et l’héritage du « cadeau empoisonné » : une analyse à partir Du grand méchant marché de David Thesmar et Augustin Landier
Le XIXe siècle : entre prospérité économique et cycle économique
Dans Le grand méchant marché (2007), Thesmar et Landier décrivent un paysage économique français complexe à la fin du XIXe siècle. La France est alors un pays de petits propriétaires, où 20 % de la population détient un patrimoine immobilier. Cette structure de propriété, marquée par une forte aversion à la concurrence, explique l’adoption en 1892 du tarif Méline, une mesure protectionniste visant à protéger l’agriculture française face à la montée des importations.
Parallèlement, l’État français adopte une politique économique libérale caractérisée par une intervention minimale. La politique budgétaire est minimaliste, et la politique monétaire demeure restrictive. La Banque de France est contrôlée par une élite financière parisienne, souvent qualifiée de « 200 familles », qui imposent leurs intérêts sur la gestion des capitaux.
En 1913, le marché des capitaux français est l’un des plus importants au monde, surpassant même celui des États-Unis. Cependant, cette prospérité repose sur une base fragile, centrée sur les intérêts des classes bourgeoises et moyennes. La crise des années 1930 mettra fin à cette domination, provoquant l’effondrement du marché des capitaux, qui ne retrouvera son niveau d’avant-guerre qu’à la fin du XXe siècle.
Les Trente Glorieuses : l’euphorie économique
L’expression des « Trente Glorieuses » désigne dans l’histoire économique la période allant de 1945 à 1975, marquant un tournant radical dans l’histoire économique française. C’est l’économiste français, Jean Fourastié, qui nomme cette période comme étant les trente années les plus glorieuses de l’histoire économique française. En effet, c’est une période de croissance économique rapide, de plein emploi et d’amélioration générale des conditions de vie. La France passe d’une économie agraire et artisanale à une économie industrielle et technologique avancée.
L’après-guerre : le rôle des plans de reconstruction et reprise économique
Après la Seconde Guerre mondiale de 1933 à 1945, l’État français entame un processus de reconstruction accéléré grâce au Plan Marshall, l’aide américaine, et à une planification économique dirigée par l’État. Le Commissariat général au Plan, dirigé par Jean Monnet, joue un rôle central en fixant des objectifs économiques clairs, notamment dans les secteurs stratégiques, tels que l’énergie, les transports et l’industrie lourde. L’État devient le personnage principal de la direction du pays, contrairement à la période libérale décrite par Thesmar et Landier.
La mise en place de l’État-providence et l’économie sociale
La création de l’État-providence est également un moteur majeur des Trente Glorieuses. Les réformes instaurent la Sécurité sociale, l’assurance chômage et un système de retraite solide. Ces progressions contribuent à une redistribution des richesses plus équitable, favorisant la consommation et soutenant la croissance économique durable. Cette période contraste avec la politique minimaliste des décennies précédentes, où l’intervention étatique était très peu efficace, voire, on peut dire : inexistante dans les faits.
Pour rappel, l’expression d’« État providence » désigne l’ensemble des interventions de l’État dans le domaine social, qui vise à garantir un certain niveau de bien-être à l’ensemble de la population. Il est justifié par l’idée que le progrès économique doit s’accompagner du progrès social. Dans un sens restreint, l’État-providence renvoie à la protection sociale, c’est-à-dire : la couverture des risques sociaux. La protection sociale remplit une fonction de « démarchandisation » de l’individu, les droits sociaux permettent à l’individu de ne pas être réduit à l’État de marchandise. La protection sociale correspond à une redistribution horizontale. Dans un sens plus large, l’État-providence c’est aussi la redistribution verticale et l’offre de services publics, comme l’éducation ou encore les systèmes de prise en charge des personnes dépendantes (tous les inactifs, dont les enfants). Ce qui rejoint la définition que donne Esping-Andersen (« prévenir que guérir ») d’un État-providence.
Progrès technique et innovation : pour une croissance sur le long terme
Le progrès technique, basé sur l’innovation et les investissements en R&D, est un autre moteur permettant la croissance des Trente Glorieuses. L’automatisation, la mécanisation de l’agriculture et l’essor des secteurs industriels, tels que l’automobile et la chimie, entraînent une hausse spectaculaire de la productivité. Cette modernisation transforme la société française, passant d’une économie de petits propriétaires à une économie de consommateurs intégrés au marché mondial.
La croissance exceptionnelle des Trente Glorieuses : un « cadeau empoisonné »
Malgré les succès éclatants des Trente Glorieuses, Thesmar et Landier mettent en lumière les faiblesses structurelles laissées en héritage. Le concept de « cadeau empoisonné » renvoie à une série de déséquilibres économiques et sociaux qui se manifesteront à partir des années 1970.
Le choc pétrolier des années 1970 : le début de la fin
Le premier choc pétrolier de 1973 marque la fin brutale des Trente Glorieuses. La hausse des prix de l’énergie entraîne une inflation galopante, une montée du chômage et une stagnation économique durable. L’intervention massive de l’État, qui avait été un facteur de succès, devient un poids. Les déficits budgétaires augmentent, tandis que le modèle keynésien peine à répondre à la nouvelle réalité économique.
Les difficultés rencontrées sur le marché du travail
L’un des aspects les plus problématiques de l’héritage des Trente Glorieuses réside dans la rigidité du marché du travail. Les réformes sociales mises en place dans les années 1950 et 1960, bien que nécessaires, ont créé des rigidités qui freinent l’adaptation aux chocs économiques. Le coût élevé de la protection sociale et la difficulté à licencier des employés rendent le marché du travail peu flexible, limitant ainsi la capacité des entreprises à innover et à s’adapter.
Le modèle de l’État-providence face aux difficultés : hausse de la dette publique
Un autre élément du « cadeau empoisonné » est l’augmentation de l’endettement public. L’État, devenu un acteur central de l’économie, se retrouve pris au piège de ses engagements sociaux. La montée des dépenses publiques, combinée à une stagnation des recettes, entraîne une spirale d’endettement qui limite les marges de manœuvre budgétaires.
Réflexions finales : un équilibre à redéfinir ?
L’analyse de David Thesmar et Augustin Landier dans Le grand méchant marché met en évidence les paradoxes de l’évolution économique française. Si les Trente Glorieuses ont permis une transformation économique et sociale sans précédent, elles ont également légué des défis structurels majeurs.
Pour surmonter ces défis, la France doit repenser son modèle économique. La libéralisation des marchés, la réforme du système de protection sociale et la modernisation du marché du travail sont des pistes souvent évoquées. Toutefois, ces réformes nécessitent un équilibre délicat entre l’efficacité économique et la justice sociale, un défi que la France continue de relever.
En définitive, le développement des Trente Glorieuses illustre la capacité de l’État à impulser une dynamique de croissance, mais leur héritage rappelle par ailleurs que toute période de prospérité s’accompagne de risques latents. La véritable question posée par Thesmar et Landier est celle de l’adaptabilité : comment une économie peut-elle prospérer sans devenir prisonnière de ses succès passés ?