Physique-chimie et mathématiques

Les maths : une matière propice aux inégalités

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Les mathématiques ont dernièrement fait couler beaucoup d’encre dans la sphère éducative, en raison de leur réintroduction dans le tronc commun au lycée dès la rentrée 2022. Le constat est sans appel : cette matière est essentielle pour intégrer et réussir des études supérieures.

ll faut savoir qu’il existe pour les mathématiques un cadrage très précis, formalisé dans les programmes officiels (contenus des cours, pratiques à suivre, volume horaire, évaluations, etc.). Malgré ces outils d’homogénéisation de l’enseignement des maths, on constate de grandes disparités de résultats en fonction du milieu social mais aussi selon le genre des élèves. Les maths deviennent in fine un instrument de sélection scolaire qui a tendance à accroître les disparités entre milieux favorisés et moins favorisés et entre garçons et filles. Up2school Bac fait le bilan sur le lien entre mathématiques et inégalités sociales.

Les mathématiques entretiennent les inégalités dites « de classe »

De nombreux travaux scientifiques, rapports politiques et dossiers journalistiques montrent depuis plusieurs décennies déjà qu’il existe une corrélation importante entre difficultés scolaires en mathématiques et difficultés sociales des élèves.

Les maths : l’illusion d’une matière égalitaire

À première vue, on serait tenté de croire que les mathématiques permettent plus facilement aux élèves de réussir à l’école. En effet, contrairement au français ou à l’histoire qui nécessitent une “culture” livresque importante, le rapport aux maths se construit en grande partie à l’école. On entend moins directement parler de maths (que de français ou d’histoire) dans les lectures, à la télévision ou en famille. Autrement dit, on pourrait penser que les élèves seraient a priori plus égaux face aux mathématiques quand ils arrivent à l’école.

Il faut toutefois ne pas oublier le lien évident entre mathématiques et français : le travail mathématique se fait principalement par écrit. Il s’agit d’utiliser un ensemble de règles d’écritures, de registres de symboles, de raisonnements structurés et précis pour lesquels l’usage du français est indispensable (on pense aux fameux « si », « or », « donc »). Pour être bon en maths, il faut donc avoir une certaine maîtrise de la langue française.

Les maths sont également intransigeantes vis-à-vis des lacunes. Cette matière suppose un cumul des savoirs, ce qui rend très difficile le rattrapage des lacunes ou des retards. Les notions vues au cours d’une année sont indispensables pour comprendre et réussir l’année suivante. Même si quelques petits rappels sont faits au début des chapitres, les profs n’ont pas le temps de réexpliquer en détail ce qui est en principe déjà acquis.

L’importance du milieu social sur la réussite en mathématiques

La réussite en mathématiques n’est pas sans lien avec la relation qu’un élève entretient vis-à-vis de l’école. C’est d’ailleurs le cadre familial qui prédispose les enfants à réussir plus ou moins bien l’acquisition des savoirs scolaires. Dès les années 1980, les travaux des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron montrent que l’école est une « institution de reproduction sociale ». Pour ces chercheurs et leurs héritiers, l’école est pensée et construite par les classes supérieures (les « dominants »), selon leurs codes, leurs valeurs et leurs normes. Il existe donc un décalage culturel important entre l’école et les milieux populaires, expliquant alors leur moindre réussite scolaire.

Les élèves socialement favorisés et leurs camarades issus de milieux plus populaires ne sont pas familiarisés de la même manière aux notions et concepts mathématiques à la maison, ce qui se répercute sur leur réussite scolaire. Ainsi dans les milieux aisés, les parents sont avantagés, car plus informés des enjeux et de l’importance des mathématiques pour la réussite de leurs enfants. Ils veillent à leur transmettre à la maison les clés de compréhension dès leur plus jeune âge et continuent tout au long de la scolarité. Ils ont aussi davantage les moyens d’accompagner au maximum leurs enfants. Certains mettent en place de vraies stratégies : le choix d’une « bonne école », le recours à du soutien privé le soir ou le week-end, etc. D’ailleurs, les maths sont la matière la plus demandée (à environ 75%) dans les organismes de cours de soutien, où les familles aisées sont majoritaires.

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 L’école entretient et alimente les inégalités de réussite en maths

Certains travaux en sociologie et en sciences de l’éducation mettent en lumière depuis plusieurs années le phénomène suivant : la manière de faire des maths est influencée par la composition sociale d’une classe ou d’un groupe d’élèves. Ainsi, malgré le programme commun et national qui agit comme prescription officielle, ce qui est fait concrètement en maths diffère entre les classes et les établissements. Une enquête ethnographique et sociologique portant sur la classe de quatrième a montré comment les pratiques des enseignants (en termes d’attentes, de transmission des connaissances et d’évaluation) diffèrent en fonction du milieu social où ils travaillent. Cette différenciation renforce alors les inégalités « de classe (sociale) » en mathématiques.

Dans les établissements et les classes composés d’élèves socialement favorisés, les chercheurs ont observé que les enseignants pouvaient compter sur un travail autonome des élèves. Que ce soit en classe ou à la maison, le travail en autonomie est fait et pose peu de problème. En outre, les programmes sont respectés, et les profs vont parfois au-delà même des attendus officiels. Les enseignants ont tendance à valoriser les « mathématiques formelles » ; une approche théorique et plus abstraite, qui suppose déjà une bonne compréhension des notions de base. Ces classes bénéficient par ailleurs de temps supplémentaire par rapport à l’horaire officiel grâce à des dispositifs instaurés par l’établissement (heures d’aide au devoir, ateliers, options, clubs de maths, etc.).

À l’inverse, dans les milieux défavorisés, les enseignants se trouvent davantage confrontés à un dilemme : concilier les attendus du programme officiel avec les difficultés d’apprentissage des élèves. La grande majorité des professeurs ayant participé à l’enquête expliquent qu’ils ont tendance à simplifier certains devoirs ou explications, à donner des exercices plus abordables, à aiguiller au maximum les élèves. Pour le dire autrement, ils adaptent le programme et leurs attendus « à la baisse », leur priorité étant d’abord que les élèves prennent confiance. Les élèves sont aussi moins autonomes, il s’agit de cadrer la classe, de tenter de rattraper les lacunes. Les professeurs privilégient les maths concrètes et pratiques. Malgré les difficultés des élèves, l’enquête souligne paradoxalement que ces collégiens ne sont en général pas accompagnés au-delà des heures officielles de maths.

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Les mathématiques entretiennent les inégalités dites « de genre »

Là encore, de nombreux travaux convergent sur le point suivant : de l’école primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, les filles et les garçons construisent des parcours différenciés et inégaux face aux mathématiques.

Quelques constats à différents niveaux de l’enseignement français

 En France, d’après les nouvelles évaluations nationales menées depuis 2018 par le ministère de l’Éducation, lorsque les filles entrent en CP, leurs performances sont identiques à celles des garçons en mathématiques. Toutefois, la situation se dégrade assez rapidement au cours de l’année de CP.

« On y voit un résultat tristement remarquable : alors qu’il n’existe quasiment aucune différence entre les garçons et les filles au début du CP, les écarts augmentent au cours de la première année d’école, pour arriver à une différence très marquée en faveur des garçons en début de CE1 ». Qu’apprend-on des évaluations de CP-CE1 ? Note du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN).

En fin de primaire, les garçons ont un taux de maîtrise des compétences de bases en maths supérieur à celui des filles (environ 18 points d’écart type en faveur des garçons).

Au collège, alors que les Françaises dominent largement leurs camarades garçons sur les compétences littéraires, elles restent moins performantes en mathématiques. Même si l’écart de score entre les garçons et les filles se resserre depuis 2008, il reste significatif. Les garçons sont d’ailleurs plus nombreux à appartenir aux groupes les plus performants. Les évaluations nationales soulignent aussi une baisse générale du score des élèves aux évaluations de mathématiques.

Au lycée, avant la réforme du bac, les résultats des filles de section S en maths étaient largement inférieurs à ceux des garçons. Cette observation est stable dans le temps, depuis 1995. Plus récemment, les premiers chiffres concernant l’orientation vers les enseignements de spécialités dans le cadre de la réforme du bac sont tombés. Le constat est sans appel : les inégalités de genre persistent dans les choix d’orientation. Alors qu’elles représentent 56% des élèves au lycée, elles représentent 40% des effectifs de spécialités mathématiques, 47% en physique‑chimie, 13% en numérique et informatique et en science de l’ingénieur. À l’inverse, les enseignements d’humanités, de SES, d’histoire-géographie et de langues-littérature sont largement plus choisis par les filles (respectivement 80%, 61%, 62%, 72% des effectifs).

Après le baccalauréat, on retrouve ces observations concernant l’orientation genrée. À l’université, on trouve plus de 70 % de femmes en lettres et en langues, contre moins de 30 % en sciences fondamentales. De même, en CPGE littéraires, les filles dominent (75% des effectifs) alors qu’elles sont largement minoritaires dans les CPGE scientifiques (30% des effectifs). Si certaines étudient quand même les mathématiques, seules 2 sur 10 poursuivront avec un doctorat, alors qu’elles sont 6 sur 10 en médecine ou en sciences sociales.

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Quelles explications peut-on apporter ?

L’une des pistes à privilégier pour comprendre les constats décrits juste avant est celle de la persistance des stéréotypes de genre. Ceux-ci sont durablement ancrés dans la société et s’expriment par de nombreux procédés : attentes des parents et de la famille, contenu des livres et jouets mais aussi des manuels scolaires, messages portés par la publicité, les médias, etc. Longtemps, l’idée suivante a été véhiculée (et le reste encore dans certains contextes) : « les garçons sont bons en maths, les filles se débrouillent mieux en français ». Les orientations distinctes entre filles et garçons illustrent une forte intériorisation de ces stéréotypes de genre et de la division sexuée du travail. Pourtant, il s’agit bien d’une idée fausse car la recherche en sciences cognitives portant sur la plasticité cérébrale fait consensus : les filles et les garçons bénéficient des mêmes potentialités de mémoire, de raisonnement ou d’attention ! Ces stéréotypes sont d’autant plus prégnants que les filles manquent de modèles scientifiques féminins auxquels s’identifier et les métiers liés aux maths restent très méconnus.

De plus, les filles sont également plus susceptibles que les garçons à manquer de confiance en elles en vis-à-vis de leur capacité à réussir en maths.

« Alors que les performances réelles en mathématiques des filles et des garçons de notre échantillon sont très proches les filles déclarent nettement moins souvent avoir un bon niveau en mathématiques que les garçons » . DEPP, 2018, L’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, dans le système éducatif.

À résultats égaux ou très proches, au-delà de leur niveau qu’elles sous-estiment, les filles indiquent aussi être plus souvent « perdues » devant un problème mathématique que les garçons, et plus souvent « inquiètes » en pensant aux mathématiques. On comprend ainsi le phénomène d’auto-censure qui existe chez les filles concernant l’orientation vers les carrières et projets scientifiques.

Les enseignants jouent un rôle crucial dans le maintien ou l’amputation des stéréotypes de genre face aux mathématiques ainsi que dans l’acquisition de la confiance en soi à l’école. Plusieurs travaux en sciences sociales ont montré que certains enseignants (notamment en primaire) appréhendent les difficultés des filles comme plutôt « cognitives » (difficultés de compréhension) et celles des garçons comme « comportementales » (non-respect des règles collectives en classe). Par ailleurs, pendant le cours de maths, les profs ont des attentes différenciées selon le genre des élèves et favorisent la réussite des garçons, notamment en leur adressant des questions plus complexes.

« Des observations in situ concluent que les enseignants de mathématiques auraient tendance à poser des questions plus complexes aux garçons. Les garçons se permettraient aussi plus facilement que les filles, davantage respectueuses des règles scolaires, de répondre aux questions collectives ou qui ne leur sont pas destinées » Rapport INSEE, Femmes et hommes, l’égalité en question, Édition 2022

L’atmosphère en classe et le comportement des enseignants contribuent alors à la construction d’un sentiment « d’autodisqualification » des filles en maths. Ces mêmes recherches ont montré, au contraire, que lorsque le professeur se montre encourageant, les élèves filles se sentiraient meilleures plus efficaces en maths.

En guise de conclusion, on peut souligner l’analogie entre les inégalités en termes de classes et de genre. Les écarts de résultats et de rapports aux maths que l’on observe entre les filles et les garçons s’observe aussi entre les milieux les plus favorisés et les moins favorisés. Dit autrement et de manière très schématique, si on est un garçon issu d’un milieu favorisé, il est fort probable que les résultats en maths soient bien meilleurs qu’une fille issue d’un milieu peu favorisé, eu égard aux stéréotypes et aux projections de l’institution scolaire.

Comment alors remédier à la situation ? Développer les activités périscolaires et « désintéressée » (sans enjeu scolaire ou professionnel direct) autour des maths, former les enseignants pour qu’ils participent activement à la lutte contre les stéréotypes, diffuser des modèles mathématiques féminins et mettre en place des actions de mentorat.

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