Dans cet article, nous abordons le sujet des problèmes que pose le système intégré pour nourrir le monde.
Le 15 novembre 2022, l’humanité a franchi le seuil symbolique de 8 milliards d’êtres humains sur Terre. Au même moment, se tient en Égypte, à Charm el Cheikh, la COP27, où les pays du monde entier se réunissent pour tenter de répondre au changement climatique et de limiter la hausse moyenne de la température à la surface du globe à +2°C[1] d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle (XIX). Or, l’agriculture est responsable de 23% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, et subit de plein fouet les conséquences du changement climatique (augmentation de la fréquence et de l’intensité des épisodes extrêmes comme les sécheresses, les inondations notamment). Dès lors, comment parvenir à nourrir une population toujours plus nombreuse d’une part, de 8 milliards d’êtres humains aujourd’hui et probablement 11 milliards en 2050, tout en réduisant l’impact et la vulnérabilité de l’agriculture au changement climatique d’autre part ?
La volatilité naturelle des prix
Ce système d’agriculture intégrée, qui associe des agriculteurs exportant leur production à grande échelle et des entreprises qui fournissent des produits phytosanitaires en amont et transforment puis distribuent les produits transformés en aval (on parle d’ « agro-industrie ») pose plusieurs problèmes majeurs, notamment trois.
Le premier problème est la volatilité naturelle des prix : au-delà d’un mouvement structurel de hausse depuis 2004, les prix des céréales restent dépendants des conditions extérieures. Or l’exportation à l’international avec des prix connectés soumet un nombre très important d’êtres humains à cette grande volatilité. Par exemple, le prix du boisseau de maïs (fixé à Chicago, grande bourse où sont discutés et fixés de nombreux prix agricoles en fonction de l’offre et de la demande des grands producteurs et acheteurs) était en juillet 2014 de 4$, soit autant qu’en juillet 2010…ce qui cache un doublement entre-temps, le prix ayant atteint 8,5$ en juillet 2012 sous l’effet de la sécheresse qui avait touché les USA, l’Australie et l’Ukraine.
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La financiarisation des marchés agricoles
Le deuxième problème est la financiarisation des marchés agricoles. La création monétaire massive par les banques centrales depuis la crise de 2008 a entraîné un surplus de liquidités qui nourrissent la spéculation, qui touche aussi les produits agricoles, devenus des actifs financiers[3]. L’annonce d’un programme de quantitative easing par la FED, la banque centrale des USA a ainsi été suivie d’une hausse de 45% du prix du blé et de 28% de celui du café. Cette variabilité accrue des prix agricoles a entraîné un essor des produits financiers permettant de s’assurer contre la hausse ou la baisse des prix des produits agricoles (on parle de « produits dérivés »), ce qui accroît la spéculation sur les produits agricoles.
L’inégale implication des États
Le troisième problème est l’inégale implication des États. Le cycle de négociation de Doha de l’OMC au début du XXIe siècle n’a pas permis de faire significativement baisser le protectionnisme agricole(limitation des importations agricoles soit par des taxes élevées sur les produits importés, soit par la mise en place de normes strictes de sorte que les produits étrangers ne puissent pas les respecter, ce qui permet de les refuser, pour favoriser la production nationale). Ainsi, les positions des États diffèrent sur cette question du protectionnisme agricole, et la distinction ne recoupe pas la classique opposition Nord/Sud. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Brésil sont représentés par le Groupe de Cairns depuis 1986, qui regroupe les « champions de la dérégulation agricole » (moins de taxes, ou « mesures tarifaires », et moins de normes, ou « mesures non tarifaires »). De l’autre côté, des États subventionnent massivement leurs agriculteurs. C’est le cas des USA (en moyenne à hauteur de 30000$ par an par agriculteur, ce qui représente 20% du revenu des agriculteurs), de l’Union européenne (par la PAC, la Politique Agricole Commune depuis 1962), du Japon, de la Suisse et de l’Inde. Les subventions africaines sont, elles, plus limitées du fait des moyens financiers moins importants des Etats notamment.
En définitive, face à l’augmentation de la demande mondiale du fait de l’augmentation de la population d’une part et des changements des modes de consommation ou régimes alimentaires d’autre part, plusieurs réponses sont possibles. D’abord une limitation des usages non alimentaires de ces produits (biocarburants notamment). Ensuite la mise en avant au maximum des exploitations d’agriculture vivrière, plus à même de faire face au changement climatique, que ce soit pour l’atténuation ou l’adaptation à ses effets. Enfin, de profondes réformes de l’agriculture intégrée qui exporte à l’international, nécessaire pour répondre à la demande des habitants des régions où une production diversifiée et en quantité suffisante n’est pas possible. Une meilleure répartition des bénéfices au profit des agriculteurs par rapport aux grandes entreprises qui agissent en amont (produits phytosanitaires) et en aval (transformation et commercialisation) est nécessaire. De même que des réformes importantes de ces secteurs en amont et en aval de la production agricole, notamment une limitation des besoins en produits phytosanitaires qui dégradent les sols en amont, et une lutte contre le gaspillage en aval, quand aujourd’hui 1/3 de la production mondiale est jetée avant consommation alors que 828 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde.
[1] L’accord de Paris de 2015 (COP21) prévoyait une limitation de la hausse à +1,5°C dans le meilleur des cas, mais cet objectif n’est déjà plus atteignable d’ici 2100 sept ans plus tard, en 2022, mettent en garde les scientifiques. [2] Par exemple, la hausse de la consommation mondiale de viande implique non seulement d’élever plus de bétail, mais aussi d’augmenter les surfaces de production de céréales pour nourrir ce bétail supplémentaire. [3] C’est-à-dire que certains acteurs qui ont de l’argent achètent des produits agricoles non pas parce qu’ils en ont besoin pour les consommer, mais uniquement dans la perspective de les revendre plus cher. C’est un comportement spéculatif (on spécule sur la hausse ou la baisse des produits pour réaliser un profit).Si cet article t’a plu, nous te conseillons de jeter un petit coup d’œil aux articles suivants, ils traitent eux-aussi du sujet « nourrir le monde » :