Nourrir monde systèmes agraires

HGGSP : les systèmes agraires

À lire dans cet article :

Dans cet article, nous revenons avec toi sur les systèmes agraires mis en place pour nourrir le monde, un élément de géographie important au programme de la spécialité HGGSP.

Le 15 novembre 2022, l’humanité a franchi le seuil symbolique de 8 milliards d’êtres humains sur Terre. Au même moment, se tient en Égypte à Charm el Cheikh la COP27, où les pays du monde entier se réunissent pour tenter de répondre au changement climatique et de limiter la hausse moyenne de la température à la surface du globe à +2°C[1] d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle (XIX). Or, l’agriculture est responsable de 23% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, et subit de plein fouet les conséquences du changement climatique (augmentation de la fréquence et de l’intensité des épisodes extrêmes comme les sécheresses, les inondations notamment). Dès lors, comment parvenir à nourrir une population toujours plus nombreuse d’une part, de 8 milliards d’êtres humains aujourd’hui et probablement 11 milliards en 2050, tout en réduisant l’impact et la vulnérabilité de l’agriculture au changement climatique d’autre part ? 

Les systèmes intégrés, nécessaires

On distingue deux grandes catégories de systèmes agraires : les systèmes intégrés, produisant à grande échelle (c’est-à-dire en volume important), ce qui permet d’exporter, et la production vivrière, avant tout tournée vers la consommation locale.

Les systèmes intégrés, permettant la production et l’exportation de volumes importants, sont nécessaires : la FAO indique que « d’ici 2050, il faut augmenter la production agricole de 70% », notamment pour faire face à l’augmentation de la population mondiale, et surtout de la population mondiale vivant dans les villes(une production locale seule n’est pas possible, certains territoires comme les villes, les terres arides, celles où les pluies sont très violentes et fréquentes entre autres ne permettent pas une production complète permettant de répondre à la consommation alimentaire locale). En particulier, la production de blé (1ère source de protéine de l’alimentation humaine) doit augmenter de 60%. Cette nécessaire augmentation de la production favorise la logique productiviste des systèmes intégrés, qui posent pourtant dans leur fonctionnement actuel de nombreux problèmes.

Un premier problème majeur posé par le productivisme agricole est la dégradation des terres agricoles qu’il entraîne, notamment du fait d’une utilisation intensive des intrants (engrais chimiques et pesticides). Dans les années 2000, la production agricole a augmenté de 2,6% par an en moyenne, contre 1,7% par an dans les années 2010, ce qui est un signe d’essoufflement de ce modèle agricole fondé sur des intrants intensifs, un quart de la surface agricole utilisable (SAU) mondiale s’étant fortement dégradée par ces pratiques selon la FAO (en particulier en Amérique latine avec la production intensive de soja pour nourrir le bétail et fabriquer des biocarburants).

Un deuxième problème majeur est l’accaparement des terres (ou landgrabbing), qui désigne l’achat ou la location de terres par un État ou une entreprise étrangère dans un pays autre que le sien. Cela permet à un pays pauvre de s’enrichir et de créer des emplois à court terme en vendant ou louant des terres à un pays développé ou émergent, mais fragilise l’accès à la terre de la petite agriculture familiale (d’où une augmentation des paysans sans terre en Amérique du Sud et en Afrique). Les terres accaparées sont notamment utilisées pour des usages non alimentaires. La Chine (qui n’est pas la seule, les pays développés aussi y prennent part) investit beaucoup en Afrique, car le continent renferme 2/3 de la surface agricole utilisable non utilisée à l’échelle mondiale. Mais la Chine exporte sa propre main-d’œuvre pour mettre en valeur les terres acquises, pour sécuriser son approvisionnement, ce qui limite les perspectives d’emplois pour la population locale.

Troisième problème majeur : le poids environnemental : la transition alimentaire favorise d’abord deux catégories de production : les céréales et l’élevage. Cela est notamment dû au fait que la consommation mondiale de viande ne cesse de progresser, atteignant 286 millions de tonnes (286mt) en 2010, soit 42kg par habitant (en moyenne bien sûr, les pays riches en consommant beaucoup alors que la consommation est occasionnelle pour les populations les plus pauvres, et non seulement les 828 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde). La consommation moyenne en Chine a été multipliée par quatre sur les 30 dernières années, passant de 14 à 60kg par habitant par an. Or, l’élevage a un triple impact environnemental : l’élevage consomme de grandes surfaces (pour produire 1kg de bœuf, il faut une surface équivalente à celle nécessaire pour produire 160kg de pommes de terre), l’élevage consomme beaucoup d’eau (15 000 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1kg de bœuf, car 50% des céréales produites dans le monde servent à nourrir le bétail) et l’élevage rejette 18% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre[3] (dont 37% des émissions de méthane, gaz à l’effet de serre 26 fois plus fort que le CO2). Les céréales représentent, elles, 700 millions d’hectares cultivés, soit la moitié des terres arables[4] ou 14% de la surface agricole utilisable ou encore 5% des terres émergées.

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Les modes de production traditionnels

Si les systèmes agraires intégrés sont à la fois nécessaires pour répondre à la demande alimentaire mondiale, mais porteurs de graves déséquilibres écologiques et sociaux tels qu’ils sont mis en place aujourd’hui, ils ne concernent pas la majorité des agriculteurs. En effet, la majorité des agriculteurs vivent du second système agraire distingué, l’agriculture vivrière/locale (non dédiée à l’exportation, qui n’intervient qu’en cas de surplus), qui représente trois quarts de la production alimentaire à l’échelle mondiale. En effet, parmi 1,3 milliard d’agriculteurs dans le monde, 30 millions ont une mécanisation lourde (tracteurs), 300 millions une traction animale et un milliard exercent une agriculture manuelle. D’où des écarts de productivité de 1 à 500 : un agriculteur sahélien produit 5 quintaux (de mil surtout, une céréale) sur un hectare, quand un agriculteur francilien produit 100 quintaux par hectare sur une parcelle de 200 hectares (pour une production totale de 20 000 quintaux donc). Pourtant, l’agriculture familiale/vivrière répond aux trois quarts des besoins alimentaires mondiaux : sur 2600 millions de tonnes de céréales produites dans le monde, seulement 400 millions de tonnes sont échangées. Ainsi, l’agriculture familiale, plus locale et souvent moins polluante, apporte une réponse face aux crises alimentaires, mais une réponse insuffisante puisque, on l’a vu, des foyers de consommation ne peuvent pas produire localement en quantité suffisante et de façon complète (villes, déserts, etc.).

Or, dans les années 1980, le discours ultralibéral qui s’impose encourage l’agriculture d’exportation au détriment de l’agriculture vivrière. Aujourd’hui, les institutions internationales qui ont porté ce discours (la Banque Mondiale et la FAO notamment) ont fait évoluer leur position, et avancent désormais qu’améliorer la productivité des petits agriculteurs constitue une solution de long terme. Dans cette optique, elles mettent en avant la nécessité de diversifier les cultures, alors qu’aujourd’hui cinq cultures[5] représentent 60% des besoins alimentaires mondiaux…sur 30000 plantes comestibles dans le monde. La polyculture et la rotation des cultures sont ainsi relevées comme des solutions pour contrer ces monocultures qui épuisent les sols (en leur demandant toujours les mêmes éléments notamment). Ces solutions remises sur le devant de la scène semblent favorisées aujourd’hui par le ralentissement de la progression de l’agriculture d’exportation, qui en cherchant à produire la même céréale sur une grande surface (pour réaliser des économies d’échelles) est incompatible avec une diversification ou une rotation des cultures.

En plus de contrer l’épuisement des sols, dangereux sur le long terme, les petites exploitations, pouvant mettre en place une rotation, sont plus à même d’être respectueuses de l’environnement. C’est ce que met en avant l’Inde avec sa « révolution doublement verte » ainsi que la FAO avec son slogan de 2009 d’une « agriculture climato-intelligente » qui indique un triple défi : concilier sécurité alimentaire, atténuation de la contribution de l’agriculture au changement climatique, et adaptation de l’agriculture aux effets du changement climatique.

[1] L’accord de Paris de 2015 (COP21) prévoyait une limitation de la hausse à +1,5°C dans le meilleur des cas, mais cet objectif n’est déjà plus atteignable d’ici 2100 sept ans plus tard, en 2022, mettent en garde les scientifiques.

[2] Par exemple, la hausse de la consommation mondiale de viande implique non seulement d’élever plus de bétail, mais aussi d’augmenter les surfaces de production de céréales pour nourrir ce bétail supplémentaire.

[3] 23% pour l’ensemble du secteur agricole.

[4] Terres labourées ou cultivées, qui font partie de la surface agricole utilisable (qui comprend les prairies, les vignobles en plus des terres arables).

[5] Dans l’ordre : riz, blé, maïs, sorgho et millet.

 

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