Alors que les études de santé durcissent leur accès en France, bon nombre d’étudiants décident de suivre leur formation de l’autre côté des frontières. Espagne, Portugal, Roumanie, etc. Les pays européens ont le vent en poupe auprès de nos jeunes talents. Décryptons ensemble ce phénomène.
Pour rappel, les études de santé ont connu quelques petits changements en 2020. La célèbre PACES (première année commune aux études de santé) a cédé sa place au PASS (parcours accès spécifique santé) et à la L.AS (licence option accès santé). Deux formations permettant l’admission en deuxième année des cursus de la filière MMOP (médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie).
Pour discuter de ce sujet périlleux, nous nous sommes entretenus avec Sophie Laborde-Balen, fondatrice et dirigeante du réseau TonAvenir, spécialisé dans l’orientation scolaire. Nous avons alors abordé le sujet des études de santé en France et de cet exil majeur des étudiants en santé vers les pays européens.
Les pays européens à la conquête des études de santé
Bonjour Sophie, pouvez-vous nous présenter le réseau TonAvenir et ses objectifs ?
Le réseau TonAvenir a ouvert ses portes en 2009, date de création d’APB (ndlr : prédécesseur de Parcoursup). Maman de quatre enfants, dont une en âge de passer le baccalauréat, je me suis beaucoup interrogée et ai finalement pris la décision de fonder ce réseau. Nous proposons un accompagnement sur mesure aux élèves à la recherche de leur orientation scolaire et à leurs parents. Nous discutons avec eux de leur profil, de leurs envies et du champs des possibles qui s’offre à eux. Notre particularité ? Notre expertise du terrain. Nous aidons les élèves à s’inscrire sur Parcoursup. Nous mettons la main à la pâte. Nous connaissons les formations proposées par les établissements et apportons une véritable aide aux candidats.
Rencontrez-vous beaucoup d’étudiants intéressés par les études de santé ? Et quelles sont les défaillances du système français ?
Oui, de très nombreux étudiants sont intéressés par cette formation. Les besoins sont très importants, la France a besoin de médecins parce que beaucoup d’entre eux partent en retraite. Et malheureusement, ces besoins ne sont pas comblés à cause des étudiants qui ne passent pas en seconde année. Le numerus clausus a laissé sa place au numerus apertus, et malgré ce changement, le passage en deuxième année reste un véritable parcours du combattant.
Pourquoi les étudiants décident-ils de partir à l’étranger pour leurs études de santé ?
Au moment de l’admission en études de santé, la sélection est très importante en France. Les parents pensent parfois qu’il suffit de candidater en études de santé pour être pris, alors que pas du tout. La sélection est très accrue. C’est une première difficulté. Et pour ceux qui ont la chance d’être pris, la première année en études de santé, le PASS, est très difficile. La charge de travail est immense. Les candidats savent, dès la terminale, qu’ils vont devoir travailler sans relâche, sans savoir s’ils seront finalement pris en deuxième année. C’est très décourageant.
Je ressens pendant mes accompagnements avec le réseau que les étudiants sont moins prêts à faire d’efforts aujourd’hui qu’il y a quelques années. Les étudiants s’écoutent plus et les parents écoutent également plus leurs enfants.
À l’étranger, l’admission est facilitée. Que ce soit en Espagne, au Portugal ou bien même en Roumanie, les études de santé sont bien moins sélectives qu’en France. Ce qui ne veut pas pour autant dire que le niveau y est moins bon. Ils laissent simplement leurs chances à tout le monde et les étudiants doivent ensuite faire leurs preuves pour poursuivre leur formation.
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Des formations à l’étranger à 15 000€ l’année
Ces formations à l’étranger sont-elles payantes ?
Oui et les frais d’inscription peuvent atteindre des sommets. En Espagne et au Portugal, il faut compter en moyenne 15 000€ pour une seule année. En Roumanie, c’est un peu moins, aux alentours des 8 000€ par année de formation. Les pays européens ont compris qu’ils avaient tout intérêt à attirer les étudiants français dans leurs filets.
Les diplômes octroyés à l’étranger sont-ils reconnus en France ?
Bien sûr, ils sont tout à fait reconnus en France. Les étudiants français qui étudient en Europe sont éligibles à l’internat en France et sont ensuite des diplômés européens. Ils auront les mêmes compétences et les mêmes connaissances que leurs camarades restés en France.
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Des écoles privées de santé en France ?
Quelles sont, selon vous, les solutions possibles pour répondre à l’urgence des déserts médicaux en France ?
Il y a une véritable fuite de talents et de capitaux et c’est bien dommage. Les candidats réalisent 6 années d’études au minimum à environ 15 000€ l’année, je vous laisse faire les calculs… c’est considérable.
Des écoles sont désormais accessibles pour les études vétérinaires, pourquoi ne pas en faire de même pour les études de santé ? Des écoles de médecine, de dentaire, de pharmacie, etc. pourraient également voir le jour, payantes s’il faut, en France.
Malheureusement, derrière le mot « médecine » se cache le mot « universitaire » et c’est là que le bât blesse. Les étudiants ne sont sans doute pas encore prêts à débourser de l’argent pour des études de santé puisque ça a toujours été gratuit. Et nous entrons alors dans une guéguerre entre l’enseignement public et le privé.
Il y a bien des écoles pour les infirmiers, alors pourquoi pas pour la médecine ou le dentaire ? Il y aura certes une sélection par moyens économiques, mais bien moindre qu’en Espagne ou au Portugal.
Dernièrement, l’Espagne a dévoilé une nouvelle formule hybride permettant aux étudiants français de faire leurs études à distance et de se rendre seulement ponctuellement en Espagne. Les pays européens cherchent par tous les moyens à attirer des étudiants et nous, nous perdons nos élèves.