La récurrence des crises financières permet de mettre en évidence quelques mécanismes communs. Cet article se concentre sur ce processus en se basant sur l’observation historique des diverses crises.
De l’innovation à la bulle
La plupart du temps une innovation c’est-à-dire ici un nouveau support à la spéculation (tulipes – chemin de fer – nouveaux instruments financiers) apparaît.
Ces innovations financières répondent aux nouveaux besoins de financement de l’économie réelle.
L’apparition d’une bulle correspond au moment où les valeurs des titres se déconnectent de la valeur réelle des biens sur lesquels ils portent. Par exemple, lorsque les profits ne correspondent plus aux cours des titres.
Le développement de la bulle peut parfaitement s’expliquer par des comportements rationnels des agents. C’est en particulier la thèse d’Olivier Blanchard et Mark Watson (« bubbles, rational expectations and financial markets », 1984). Conformément au principe de la prophétie autoréalisatrice, si la majorité des opérateurs sur le marché financier estime que la valeur d’un titre ou d’une monnaie va s’apprécier, cette dernière va effectivement s’apprécier.
Comme l’étudie aussi André Orléan, les bulles spéculatives peuvent être expliquées à partir de processus de contagion mimétique des anticipations. Les acteurs n’agissent pas au hasard, mais en tenant compte des conventions du marché, d’autant plus qu’ils ont le sentiment de ne pas avoir d’informations suffisantes. Chacun copie l’autre en croyant qu’il détient l’information, alors qu’aucun agent n’est informé, le prix qui se forme ne reflète alors que la « psychologie du marché » et ne contient aucune autre information. On retrouve ici l’image du « concours de beauté » que Keynes prend comme métaphore pour expliquer le poids des conventions et l’impact du suivisme des opérateurs dans le fonctionnement des marchés d’actifs financiers (« Il vaut mieux avoir tort avec la convention que raison contre la convention »).
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De la bulle à l’aveuglement au désastre
La récurrence des crises comme le souligne P. Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (première édition 2000) fait s’interroger sur la question de savoir pourquoi alors que dans toutes les crises certains la prédisent et qu’ils ne sont jamais écoutés.
Hyman Minsky parle d’aveuglement au désastre qui est lié au fait qu’il est très difficile de définir objectivement la valeur d’un actif. Des mécanismes viennent renforcer cet aveuglement :
- La croyance que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : dans toutes les bulles, les acteurs affirment que les problèmes précédents ne se reproduiront pas, que les conditions qui ont conduit aux crises précédentes n’existent plus. C’est l’idée avancée dans le titre de l’ouvrage de Reinhart et Rogoff (2009), Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière.
- La confiance dans la « sagesse des foules » : comment des individus isolés pourraient-ils avoir raison contre les marchés qui intègrent toutes les informations ? Mais même dans ce cas, « il vaut mieux avoir tort avec la convention qu’avoir raison contre la convention » (Keynes). On retrouve ici la logique de rationalité mimétique.
Hyman Minsky, dans Stabilizing an unstable economy 1986, avance l’hypothèse d’instabilité financière : il y a un lien entre incertitude radicale, fragilité financière et instabilité économie qui constituent à ses yeux l’essentiel de la théorie keynésienne. Minsky présente une théorie des cycles financiers endogènes.
Le financement de l’économie se modifie au cours du cycle, devenant de plus en plus spéculatif. En début de cycle on observe un financement prudent qui correspond à une couverture intégrale de la dette par les revenus. Cette période de tranquillité conduit les firmes à être de plus en plus optimistes quant à la continuité du processus d’expansion. Les entreprises augmentent donc leurs investissements et les banques commerciales favorisent l’émergence de structures financières moins prudentes et plus spéculatives. H.Minsky introduit le concept de paradoxe de la tranquillité : c’est pendant la phase d’expansion que se mettent en place les conditions pour l’apparition d’une crise financière future. La crise financière se prépare lorsque l’économie est prospère.
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Le krach et la contagion à l’économie réelle par les crises financières
Le krach est souvent un moment très bref, caractérisé par l’effondrement des cours boursiers (souvent accompagnés de celui des prix de l’immobilier). Il est là encore lié à des comportements mimétiques, la chute des cours provoquant des ventes massives accentuant le mouvement de baisse.
Lors du retournement du cycle se met en place le processus de déflation par la dette (Irving Fisher “La dépression par la dette et la déflation”, article de 1933 ou en anglais “The debt‐deflation theory of great depressions”)
Dans la phase de croissance, les profits anticipés sont nettement supérieurs aux taux d’intérêt. L’effet de levier est positif. L’effet de levier désigne l’utilisation de l’endettement pour accroître la capacité d’investissement d’une entreprise ou d’un organisme financier et l’impact de cette utilisation sur la rentabilité des capitaux propres. L’effet de levier augmente la rentabilité des capitaux propres tant que le coût de l’endettement est inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à l’endettement. Dans le cas inverse, l’effet de levier devient négatif. Lorsqu’une crise financière survient, les agents vont chercher à rembourser le plus rapidement possible leur dette.
Cette liquidation brutale de la dette accentue la dépression. Les agents, autant les spéculateurs que les entreprises, vendent leurs actifs pour rembourser leurs emprunts. Il s’ensuit une contraction de la masse monétaire (le remboursement des crédits correspond à une destruction monétaire) accentuée par une diminution de la vitesse de circulation de la monnaie. Les agents diminuent leur demande. La dépression se poursuit par la baisse des prix qui ne fait qu’accroître la valeur réelle de la dette des agents. La déflation aggrave ainsi la situation du surendettement : plus les débiteurs remboursent, plus ils doivent rembourser. De ce fait les agents baissent leurs dépenses pour rembourser leurs crédits. Tout ceci conduit à accentuer la baisse des prix, apparaît une déflation massive. La déflation est cumulative et déstabilisante.
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