Dans cet article, nous revenons avec toi sur une notion importante du programme de la classe de terminale : la classe moyenne. La classe moyenne existe-t-elle toujours dans les sociétés développées ?
Avant l’émergence du Covid-19, on s’attendait à ce que 1,38 milliard de personnes fassent partie de la classe moyenne mondiale en 2020 (soit 17,8 % de la population), mais la pandémie a fait baisser ce nombre à 1,32 milliard [soit 17,1 %]. Aujourd’hui, pour certains, la classe moyenne est vue comme un mythe.
Dans les approches classistes de la structure sociale, la classe moyenne se présente comme une classe paradoxale : c’est une classe sans conscience de classe, c’est une « classe sans lutte des classes » dans la mesure où son affirmation s’inscrit dans celle d’une société démocratique au sens de Tocqueville, c’est-à-dire une société sans classe. De même, l’ancrage économique, qui est la marque de l’analyse classiste, fait défaut à la classe moyenne compte tenu du caractère ambigu de sa position de classe (petits propriétaires qui travaillent, salariés, scission public / privé). Depuis le début des années 1980, le sentiment d’appartenir à la classe ouvrière recule brutalement chez les ouvriers alors que l’identification à la classe moyenne se maintient voire se renforce chez les non ouvriers, mais aussi chez les ouvriers (Rapport CAS, 2006). Or la référence à la classe moyenne n’est pas du tout une référence classiste comme celle de classe ouvrière. La référence à la classe ouvrière impliquait en effet un rapport social antagoniste entre les ouvriers et les patrons capitalistes (« eux » et « nous »). Rien de tel avec la notion de « classe moyenne » qui renvoie en fait moins à la spécification d’une nouvelle classe dans l’affrontement capital / travail qu’à l’élimination de la lutte des classes, au profit d’une vision idéologique consensuelle d’un groupe social majoritaire, bordé à la marge par des exclus qu’il s’agirait d’intégrer.
Les références historiques indispensables
On sait qu’à chaque étape historique correspond une conception de la classe moyenne ou une conception dominante de la classe moyenne. Au début du XIXème, elle désigne la bourgeoisie (la classe supérieure étant alors l’aristocratie). Au cours du siècle, elle renvoie à la petite bourgeoisie. C’est au début du XXème que naît, sous l’influence des auteurs allemands, la notion de classes moyennes salariées. Les auteurs marxistes dénient d’ailleurs, dans les années 1960 / 70, le statut de classe à ces groupes qui n’entrent pas dans le schéma bipolaire. Au même moment, plusieurs analyses mettent au contraire l’accent sur leur autonomisation et leur singularisation dans un espace social désormais ternaire.
L’évaporation des classes dans la sociologie contemporaine affecte aussi les classes moyennes. Elles s’évaporent sous le concept de moyennisation mais elles restent bien présentes dans le vocabulaire politique, comme elle l’ont toujours été avec les questions fiscales. La progression des classes moyennes s’est arrêtée au début des années 1980 après avoir beaucoup recruté dans les années 1960 et 1970.
Les évolutions récentes (depuis les années 1990) tendent à amorcer un retour insensible à l’acception ancienne de classe intermédiaire entre l’élite et le peuple(avec l’émergence du terme « bobos », les bourgeois-bohême, introduit par le journaliste américain David Brooks en 2001). Le concept de classe moyenne a donc, à nouveau, changé de sens à la fin des années 1990, elle désigne désormais une nouvelle bourgeoisie (comme au XIXème), entre salariat et professions libérales (cadres, journalistes, avocats, médecins gagnant environ 6 000 euros mensuels à eux deux). Comme le remarque Louis Chauvel, on a assisté à un glissement progressif de la représentation des classes moyennes vers le haut : les catégories désignées sous ce terme sont beaucoup plus proches de la petite bourgeoisie ou de la bourgeoisie que du milieu effectif de la société. Le vocable fonctionne donc comme une euphémisation des positions sociales supérieures.
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La classe moyenne existe-t-elle toujours dans les sociétés développées ?
Proposition de plan
I. La classe moyenne est une réalité historique incontestable
Comme le dit Serge Bernstein, « les classes moyennes existent : l’historien les a rencontrées ». L’émergence des classes moyennes qui accompagne celle de la classe ouvrière est donc un phénomène avéré à la fin du XIXème siècle. Serge Bernstein, propose de les identifier à travers trois traits communs qui présentent une certaine constance et dont la pertinence pourrait s’affirmer à nouveau au moment de la remise en cause de la société salariale en ce début de XXIème siècle : la « conscience de classe moyenne », l’aspiration à la promotion sociale et la conscience de la fragilité des statuts acquis. Les historiens considèrent que la notion de « classe moyenne » a le très grand avantage de répondre à un certain nombre de problèmes posés par l’histoire du XXème (Serge Bernstein). Ce concept, qui a fait certes l’objet de manipulations idéologiques, est en effet une constante des discours et une grande partie des hommes du XXème ont considéré leur appartenance à des classes moyennes comme un élément de leur identité, susceptible de motiver leurs actes et leurs comportements. En particulier, une des originalités des classes moyennes est de rejeter la conception marxiste de la société (qui annonçait leur disparition !) et d’avoir une vision du progrès fondée sur la promotion sociale. L’analyse « objective » ne peut donc nier l’historicité de ce fait.
Dans les sociétés d’Ancien Régime, qu’on peut qualifier de sociétés d’ordres, un principe d’organisation hiérarchique officiel prévalait. Ces sociétés étaient fortement figées ; la place de chacun y était définie et, sinon acceptée, du moins perçue comme intangible. Sur fond de révolution individualiste, le principe en œuvre dans les sociétés démocratiques est, au contraire, le mouvement social ; il repose sur l’évolution, en droit non prévisible, des situations. La démocratie se caractérise, en théorie, par l’indétermination des positions sociales. Animée, comme l’avait perçu Tocqueville, par un projet d’égalisation des conditions, la démocratie engendre un mouvement censé conjurer la lutte des classes en faisant de celles-ci non des essences, mais des modes d’existence momentanés. Henri Mendras pouvait dès lors souligner que l’existence d’une classe moyenne intermédiaire entre la classe dirigeante et la classe populaire, la mettait en position d’arbitre et, empêchant que « la lutte des classes ne [montât] aux extrêmes, elle [demeurait] une rivalité ou même simplement un jeu équilibré de tensions ». Parler d’une classe moyenne croissante paraît avoir une fonction idéologique précise : réduire les conflits en les minimisant. Cette classe devait se substituer aux autres et, par sa vertu intégratrice, abolir les distinctions : tel était le propos irénique auquel devait conduire une théorie de la classe moyenne.
II. Ce mythe s’évanouit cependant aujourd’hui face à la reconstitution d’un système structuré d’inégalités
Les classes moyennes salariées ont été destabilisées par les mutations des trente dernières années. Elles sont travaillées aujourd’hui par des tensions importantes qui rendent difficile leur caractérisation. L’homogénéité des classes moyennes laisse en effet place à une hétérogénéité croissante « entre le déclassement social de la fraction qui voit s’ évanouir les rêves d’ascension sociale ouverts naguère dans le cadre de la société salariale, la promotion de celle qui s’élève vers la bourgeoisie patrimoniale via la valorisation d’ une épargne héritée ou par l’accès à des modes de rémunération « post-salariaux » tels que les stock options. À tout point de vue, la dynamique de la dernière décennie des Trente Glorieuses semble terminée et des retours en arrière sont repérables » (Louis Chauvel, La fin des classes sociales ?).
L’espoir de promotion sociale qui portait s’est brisé. Aujourd’hui, le salariat cesse de s’opposer à la précarité et les classes moyennes sont de plus en plus menacées : ni le bénéfice du premier — du reste ambigu et dépareillé—, ni l’appartenance aux secondes ne signifient plus la détention définitive d’un statut durable ou l’aboutissement d’une évolution linéaire et sans retour. Se trouve ainsi cassé un mouvement profond d’espoir et de structuration des mentalités sur lequel la société française a vécu depuis le milieu des années 1950, les années d’après-guerre ayant été au progrès social effectif, c’est-à-dire consacré par l’économie — comme le montre le fort taux d’équipement des ménages —, ce que les années 1880 et 1890 furent à l’éducation et aux grandes lois sociales. Ce qui se trouve mis en question avec l’installation et l’approfondissement de la crise est à la fois l’espoir de conjurer les effets économiques et sociaux d’un phénomène que le monde moderne paraissait avoir éliminé, à savoir la rareté — à la fois des biens, de l’accès à ceux-ci et du travail par lequel le progrès se réalisait.
En effet, alors même qu’il n’existait plus depuis la Révolution d’ordre social explicite, le mouvement de la société vers plus de bien-être pour quasiment tous, dans des mesures certes différentes, a semblé autoriser pendant près d’un demi-siècle que la question de l’ordre acceptable ne soit plus formulée. Certes, les revendications croissent quand la croissance augmente alors qu’elles ont tendance à diminuer ou à épouser des formes plus violentes et désordonnées quand elle faiblit, mais les revendications des années des « trente glorieuses » concernaient des points aussi essentiels que les salaires et les rapports sociaux dans l’entreprise, mais non le changement de l’ordre social et du travail. Même lorsque le parti communiste disposait d’une capacité de mobilisation, il n’a pas choisi — du moins après les années 1944-1947, le mouvement de socialisation de l’économie et la fin du tripartisme — de prendre le pouvoir : mai 1968 en est l’exemple le plus net. Désormais, il n’y a même plus de contestation susceptible de s’organiser sur le plan collectif autour d’un projet, fût-il non concrétisable en une réalité sociale nouvelle.
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