Dieu, liberté, vérité : le duel Descartes / Spinoza

Spinoza

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Philosophes du XVIIe siècle, René Descartes, père du rationalisme moderne, et Baruch Spinoza, penseur du déterminisme et de l’immanence, proposent deux conceptions profondément divergentes de la liberté humaine et du rapport au monde.

Et si votre idée de la liberté dépendait de l’image que vous vous faites de Dieu ?

Dieu chez Descartes : le créateur tout-puissant

méditations métaphysiques Descartes

René Descartes (1596–1650) est un philosophe, mathématicien et scientifique français, considéré comme le père de la philosophie moderne. Défenseur du libre arbitre, il voit dans la raison le fondement de la liberté humaine et dans la volonté le signe de notre ressemblance avec Dieu.

A. Dieu, être parfait et cause du monde

Pour Descartes, Dieu est une substance infinie, éternelle, toute-puissante : l’être parfait par excellence. Il n’est pas seulement une hypothèse métaphysique, mais le fondement de toute vérité. Sa perfection implique son existence — d’où la célèbre preuve ontologique. Dieu est aussi la cause du monde : tout ce qui existe dépend de lui. Il ne crée pas un univers chaotique, mais un monde structuré par des lois, intelligible par la raison humaine. Sans Dieu, pas de certitude possible, pas de science, pas même de vérité.

B. Un Dieu libre, source des lois… et des vérités

Chez Descartes, la liberté divine est absolue. Elle rend toute vérité dépendante de la volonté de Dieu. Même les propositions les plus certaines — comme 2 + 2 = 4 — ne sont vraies que parce que Dieu l’a voulu ainsi. Rien ne l’empêcherait, selon Descartes, de vouloir que 2 + 2 fassent 5. Ce n’est pas une provocation gratuite. C’est une conséquence directe de sa toute-puissance, irréductible à nos catégories logiques. Ainsi, la vérité n’est pas une adéquation entre pensée et réalité. Elle désigne une simple cohérence interne, relative à notre esprit fini. L’homme ne peut donc accéder à aucune connaissance absolue. Il perçoit ce qui lui paraît clair et distinct, sans garantie qu’il s’agisse de l’essence des choses.

Mais cette limite n’est pas un échec pour Descartes. C’est une libération. En reconnaissant l’inaccessibilité de l’absolu, la raison gagne son autonomie. Elle renonce à rivaliser avec Dieu. Elle se donne ses propres lois : rigueur, ordre, clarté. La vérité devient humaine, non divine. Et c’est en cela qu’elle est féconde. Les sciences peuvent alors se développer librement, sans validation théologique. L’homme ne connaît pas l’ordre profond du monde. Mais il peut construire un savoir cohérent, fondé sur ce que son esprit juge évident.

En somme, c’est en acceptant que la vérité lui échappe que la raison cartésienne gagne sa force. Elle ne prétend plus tout comprendre. Elle devient une rationalité pratique, lucide, capable de fonder les sciences sans rêver d’omniscience. Ainsi, la toute-puissance divine devient la condition négative de l’autonomie humaine.

C. L’homme, créature libre à son image

Si Dieu est un être libre et rationnel, alors l’homme, créé à son image, participe de cette liberté. Chez Descartes, la volonté humaine est même dite « infinie », capable de s’affranchir des inclinations, des passions ou des erreurs. La liberté n’est pas l’absence de détermination, mais la puissance de se déterminer soi-même, en toute lucidité. C’est à travers l’exercice du jugement, la suspension de l’assentiment et l’usage rigoureux de la raison que l’homme peut s’élever à la vraie liberté — et ainsi répondre à sa vocation métaphysique : penser et vouloir comme un être divin.

Prenons le cas d’un étudiant confronté à une tentation immédiate : regarder une série au lieu de réviser pour un examen important. Spontanément, ses désirs l’attirent vers le plaisir facile ; il ressent une inclination à remettre au lendemain. Pourtant, s’il prend le temps de réfléchir, d’évaluer les conséquences, de suspendre son assentiment à ce premier élan, il peut choisir en conscience de se mettre au travail. Ce choix n’est pas dicté par un instinct ni par une pression extérieure : il résulte de l’usage éclairé de sa raison, qui l’a conduit à se déterminer lui-même.

C’est là, selon Descartes, que réside la vraie liberté : non dans le fait de céder à ses désirs ou de faire ce qu’on veut sans contrainte, mais dans la capacité à juger par soi-même et à orienter sa volonté en accord avec la raison. En ce sens, l’homme imite Dieu : comme lui, il devient source de ses propres actes — non pas tout-puissant, mais autonome et responsable.

« Il n’y a point de liberté qui nous rende plus dignes de louanges que celle qui nous fait vaincre nos passions. »
— Lettre à Élisabeth, 18 août 1645

Dieu chez Spinoza : la nature divine, sans volonté ni choix

Spinoza

Baruch Spinoza (1632–1677) est un philosophe hollandais d’origine juive, figure majeure de la philosophie rationaliste du XVIIe siècle. Il est connu pour sa conception moniste de la réalité, affirmant que Dieu et la Nature ne font qu’un (Deus sive Natura). Rejetant l’idée d’un Dieu personnel, Spinoza développe une éthique fondée sur la connaissance des causes et la compréhension de la nécessité, où la vraie liberté naît de l’acceptation lucide de l’ordre naturel et de notre place en son sein.

A. Deus sive Natura : Dieu est tout, rien n’est extérieur à lui

« Dieu est cause immanente, et non transitive, de toutes choses. »
— Éthique, I, proposition 18

Chez Spinoza, Dieu n’est pas un créateur extérieur au monde, comme chez Descartes ou dans la tradition judéo-chrétienne. Il n’est pas un artisan qui aurait façonné l’univers de l’extérieur, mais la substance unique dont tout procède. Son fameux mot d’ordre Deus sive Natura — Dieu, c’est-à-dire la Nature — affirme une identité radicale : Dieu est la Nature dans son infinité, dans sa puissance infinie de produire des choses. Il n’y a rien en dehors de Dieu ; tout ce qui existe est en Dieu, s’explique par Dieu et exprime Dieu. Cela signifie que le monde entier, nous compris, est immanent à Dieu : il ne dépend pas d’un acte libre ou arbitraire de sa volonté, mais de sa nature même, qui se déploie nécessairement à travers une infinité de modes.

B. Un Dieu sans finalité : tout découle nécessairement

« La Nature n’a pas de but devant elle […] Toutes les causes finales ne sont rien d’autre que des fictions humaines. »
— Éthique, appendice du Livre I

Chez Spinoza, Dieu n’a pas de but, pas de plan, pas de volonté anthropomorphique. Contrairement à Descartes, qui parle d’un Dieu libre et créateur, Spinoza affirme que Dieu ne veut rien, il ne choisit pas, il ne juge pas. Il agit par la seule nécessité de sa nature. Ce que nous appelons « lois de la nature » ne sont rien d’autre que les modes d’expression de Dieu, l’ordre éternel selon lequel tout découle de lui. Il n’y a donc pas de bien ou de mal absolu dans l’univers, ni de causes finales comme « pourquoi cela est-il arrivé ? » : tout est ce qu’il doit être, et tout arrive parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. L’univers n’est pas un livre divin avec une morale cachée à déchiffrer : il est une machine parfaite, qui tourne par la seule logique de ses rouages — éternellement.

C. L’homme, partie intégrée dans l’ordre infini de la nature

Dans cette vision, l’homme n’est pas un empire dans un empire. Il n’est pas un être à part, doté d’un libre arbitre surnaturel ou d’une dignité qui le placerait au-dessus du reste de la nature. Il est une partie de la Nature, un mode fini parmi d’autres, soumis aux mêmes lois que les astres ou les pierres. Cela ne signifie pas qu’il est condamné à la passivité : plus l’homme comprend les causes qui le déterminent, plus il devient actif, plus il participe consciemment à l’ordre du monde. Chez Spinoza, la liberté n’est pas l’indépendance, mais la compréhension de la nécessité. Celui qui comprend qu’il est affecté par des causes naturelles, et qu’il peut orienter ses désirs selon la raison, devient libre au sein même du déterminisme. Il ne sort pas de la nature, mais devient conscient de sa place en elle — et cela suffit pour vivre dans la joie et la puissance d’exister.

Prenons l’exemple d’un homme qui découvre qu’il est atteint d’un cancer. Il réalise qu’il est un mode fini, une expression singulière dans l’infinité des causes qui composent Dieu ou la Nature. La maladie, phénomène biologique gouverné par des mécanismes cellulaires et moléculaires, illustre cette chaîne nécessaire de déterminations. Plutôt que de s’abandonner à la douleur ou au désespoir, il gagne en puissance d’agir en comprenant rationnellement les processus pathologiques qui l’affectent — mutations génétiques, prolifération anarchique, réponses immunitaires. Cette connaissance lui permet d’orienter ses affects, d’adopter un traitement conscient et réfléchi, et de s’accorder avec l’ordre nécessaire du monde naturel. Ainsi seulement pourra-t-il connaitre la paix intérieure.

Deux libertés irréconciliables

liberté et déterminisme

A. La liberté cartésienne : pouvoir choisir, affirmer, suspendre

Chez Descartes, la liberté se conçoit avant tout comme la capacité à choisir librement entre plusieurs options, à affirmer ou à suspendre son jugement. C’est le pouvoir de la volonté indéterminée, qui n’est contrainte par aucune nécessité extérieure ni intérieure. Cette liberté est perçue comme un signe de la grandeur de l’âme humaine : pouvoir dire oui ou non, décider, et ainsi affirmer sa souveraineté face au monde. La liberté cartésienne repose sur une indétermination fondamentale, une marge laissée au sujet pour exercer un pouvoir délié de toute causalité.

B. La liberté spinoziste : comprendre les causes pour s’émanciper

Chez Spinoza, les affects sont les effets nécessaires de causes extérieures qui agissent sur nous. Pour ne pas en être les esclaves, il faut les comprendre. Cette compréhension, pour lui, ne supprime pas les passions, mais en transforme la nature. Elle affaiblit les affects tristes, et renforce ceux qui augmentent notre puissance d’agir. Nous ne désirons pas le bien parce qu’il est bon, dit Spinoza. Nous jugeons bon ce que nous désirons, c’est-à-dire ce qui nous rend joyeux. Le désir est ainsi au cœur de notre nature. Il exprime l’effort fondamental de tout être pour persévérer dans son existence — ce que Spinoza appelle le conatus. La joie, dans ce cadre, n’est pas un simple sentiment agréable : c’est un accroissement de notre puissance vitale. Inversement, la tristesse est une diminution de cette puissance. L’âme, même sans en avoir toujours conscience, cherche à fuir la tristesse et à accroître ce qui la rend plus forte.

Ce qui définit vraiment le désir humain, c’est le désir d’être plus libre, plus actif, plus joyeux. Et c’est là que réside la liberté chez Spinoza : non dans l’indépendance à toute cause, mais dans la capacité à connaître les causes qui nous affectent, pour orienter notre désir en conséquence. Car comprendre un affect, c’est déjà en diminuer la force passive. Ce n’est pas s’en détacher froidement, mais apprendre à le traverser lucidement — pour mieux le transformer. La connaissance devient alors une forme de joie, parce qu’elle augmente notre pouvoir de vivre et d’exister.

C. Libre arbitre ou lucidité ? Deux visions du rapport à soi

Ces deux conceptions opposées traduisent deux façons de penser le rapport à soi. Le libre arbitre, à la manière cartésienne, affirme la souveraineté du sujet, maître de ses décisions dans un espace de liberté indéterminée. Par exemple, face au choix difficile de changer de carrière, le sujet cartésien se considère capable de suspendre ses affects et influences extérieures pour s’affirmer pleinement, comme un pouvoir intérieur qui ne dépend ni de son passé ni de son environnement. La lucidité spinoziste, elle, invite à un rapport à soi fondé sur la connaissance des causes et des effets, où la vraie liberté naît de la conscience et de l’harmonie avec la nature. Dans le même cas, la personne spinoziste reconnaît que son désir de changer de voie est déterminé par son histoire, ses affects, et son contexte ; mais en comprenant ces causes, elle peut orienter ses désirs de manière raisonnée, en cherchant ce qui accroît sa joie et sa puissance d’agir. L’une valorise l’indépendance, l’autre la compréhension ; l’une repose sur l’affirmation d’un pouvoir interne, l’autre sur la reconnaissance de la nécessité universelle.

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