descartes

Philosophie : Le langage chez Descartes

À lire dans cet article :

Parler est-il le propre de l’homme ? Si tel est le cas, qu’en est-il de la communication animale ? Quelle différence existe-t-il entre les deux ?

Descartes, dans sa lettre du 23 novembre 1646 au marquis de Newcastle, distingue très nettement les deux : seul l’homme a la faculté du langage, contrairement aux animaux. Examinons ses arguments.

 

Puissance des animaux

Les mouvements indépendants de la raison

L’argumentaire de Descartes débute apparemment par une concession : il avoue, en effet, que certains animaux sont plus forts que les hommes, voire plus rusés. Cependant, cette prévalence des animaux est cantonné aux domaines où la pensée n’a pas sa place : même quand les animaux sont plus rusés que les hommes, c’est là seulement un effet de leur instinct, et non celui d’une réflexion consciente de leur part.

Si les animaux peuvent surpasser l’homme dans certaines activités, c’est donc que la pensée humaine n’y prend pas part. Descartes donne l’exemple de la marche : l’on marche souvent sans y penser, sans en avoir conscience. Il faut ici remarquer que Descartes identifie la pensée à la pensée consciente : pour lui, il n’y a de pensée que consciente d’elle-même, et Descartes ne conceptualise pas (ou pas vraiment) un inconscient, tel qu’on peut le trouver chez Leibniz (sous la forme des petites perceptions) ou, plus tard, chez Freud. Ainsi, la preuve que l’on n’a pas toujours conscience de notre pensée est la preuve que la pensée n’y prend guère part. La pensée, caractérisée par la raison, qui est la faculté de juger du vrai et du faux, est donc absente de la marche. Elle peut même empêcher certaines actions : c’est le cas des hommes qui “passent quelquefois des rivières à la nage, où il se noieraient étant éveillés”. En effet, la pensée, en nous amenant à réfléchir aux risques et aux dangers parfois exagérément, peut nous gêner dans des actions qui seraient réalisées aisément sans son concours.

Lire aussi : La lutte à mort des consciences chez Hegel

 

Raison et passion

Descartes conclut donc :

Pour les mouvements de nos passions, bien qu’ils soient accompagnés en nous de pensée […], il est néanmoins très évident qu’ils ne dépendent pas d’elle, parce qu’ils se font souvent malgré nous, et que, par conséquent, ils peuvent être dans les bêtes, et même plus violents qu’ils ne sont dans les hommes, sans qu’on puisse, pour cela, conclure qu’elles aient des pensées.

Les passions correspondent aux mouvements du corps, par rapport auxquels l’âme pensante est considérée comme passive. L’âme, au contraire, est caractérisée par la raison, et est active en tant qu’elle dirige le corps consciemment. En cela, elle peut contrôler le mouvements des passions. Il peut donc y avoir passion accompagnée de pensée : dans ce cas, l’âme est passive. Il est donc bien certain que cette passion peut se faire sans qu’il y ait d’âme pour l’accompagner. Et, puisque ces mouvements peuvent se faire sans pensée, c’est bien que leur présence ne prouve en rien que les animaux pensent ; ce que Descartes devait démontrer.

 

Le langage de l’homme

L’animal-machine

Qu’en est-il de l’homme ? Si la preuve que les animaux ont une âme a été rejetée, a-t-on la preuve que les hommes, eux, pensent tous ? Si l’on observe un homme de l’extérieur, il est certain qu’il s’agit au moins d’un animal, dans le sens où l’on a face à soi un corps, c’est-à-dire, selon Descartes, “une machine qui se remue de soi-même”. Le philosophe construit en effet une théorie dite de l’animal-machine, selon laquelle l’animal n’est pas doté d’une âme, c’est-à-dire d’un principe immatériel qui l’animerait de l’intérieur, mais peut se comprendre entièrement selon le modèle mécanique d’une machine, dont les organes seraient analogues à autant de ressorts et de poulies.

 

Définition de la parole

Ce qui prouve que l’homme n’est pas seulement une machine, c’est le fait qu’il parle. En cela, il n’est pas seulement une machine, mais il est aussi une âme pensante. Cette parole peut être orale, mais aussi, au sens large, écrite, ou bien signée. En effet, ces paroles peuvent ne “se rapporter à aucune passion” : elles peuvent être la simple expression de pensées, sans aucun rapport au corps. À l’inverse, l’on peut apprendre “à une pie à dire bonjour à sa maîtresse”, ce qui conditionne l’émission de sons articulés à un mouvement du corps, par exemple “l’espérance qu’elle a de manger”. En outre, la parole doit porter sur “des sujets”, sans quoi le parler des perroquets devrait être inclus dans le langage. En effet, les perroquets répètent des mots, mais ne désignent rien ce faisant : ils n’ont aucun propos. À l’inverse, les fous disposent bien du langage, car leur parole est bien signifiante, bien qu’elle ne soit pas conforme à la raison.

 

Le propre de l’homme

Descartes, ayant défini ainsi le langage, fait remarquer qu’il est, dans ce cas, le propre de l’homme :

Car, bien que Montaigne et Charon aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions ; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées.

L’écart entre l’homme et l’animal a en effet été considérablement réduit par les penseurs précédant Descartes, par exemple par Montaigne en Essais II, 12, qui écrivait, sur la communication réciproque de l’homme et de l’animal :

Quand je me jouë à ma chatte, qui sçait, si elle passe son temps de moy plus que je ne fay d’elle ? Nous nous entretenons de singeries reciproques.

À l’inverse, Descartes réintroduit un abîme entre les deux : l’animal n’utilise jamais de signe, et tous ses efforts de communication dépendent en dernière instance des mouvements de son corps. En linguistique moderne, on distingue ainsi le signe du signal : là où le signe est sur un plan plus abstrait que le reste des phénomènes, et correspond à la communication de concepts, le signal est émis par les animaux comme un phénomène de plus, et son information est sur le même plan que la force du vent ou l’humidité de l’air. Les cris du toucan ont ainsi la même valeur que la couleur d’un champignon vénéneux : ils ne relèvent pas du langage, mais du signalement. Ils ne transmettent pas un concept à comprendre, mais induisent seulement une réaction à adopter.

À l’inverse, l’homme, même idiot, fou ou tout juste sorti de l’enfance (si l’on comprend “enfant” au sens étymologique : est infans celui qui ne parle pas encore), parle, c’est-à-dire communique par notions issues de la raison, sans que ces notions dépendent toujours de mouvements du corps.

Lire aussi : L’homme et l’animal, option HLP

 

L’argument de la performance

L’on pourrait rétorquer que les animaux pourraient bien savoir parler, car ils font “beaucoup de choses mieux que nous”. En réalité, cet argument se retourne contre ceux qu’ils avancent, car la perfection, la performance et l’efficacité sont plutôt l’indice d’un mouvement mécanique :

Cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne.

En effet, si le langage donne à l’homme l’accès à un ordre de réalité que les animaux ne connaissent pas, il n’est pas pour autant gage de performance. Il implique seulement que l’homme est capable de communiquer des pensées rationnelles, et en rien que l’homme soit plus performant.

 

Conclusion

Si les arguments de Descartes sont frappants, ils reposent cependant sur des thèses aujourd’hui discutées, et en particulier sur la distinction entre un corps au fonctionnement entièrement mécanique et une âme consciente indépendante de lui. Elles restent du moins un jalon majeur de philosophie du langage, et un texte fondateur pour les tenants d’un écart linguistique définitif entre l’homme et l’animal.

 

Tu veux plus d’informations et de conseils pour réussir tes examens et trouver ton orientation ? Rejoins-nous sur Instagram et TikTok !

À la une