La place du corps dans l’écriture : écrire avec le corps, écrire sur le corps (Artaud, Cixous)

La place du corps dans l'écriture : écrire avec le corps, écrire sur le corps (Artaud, Cixous)

Au sommaire de cet article 👀

Peut-on penser l’écriture sans le corps ? Pour certains écrivains et penseurs, c’est impossible. Le corps n’est pas seulement un objet à décrire, il est aussi une matière vivante, une source d’émotions, de douleurs, de désirs. Antonin Artaud et Hélène Cixous, chacun à leur manière, placent le corps au centre de l’acte d’écrire : le premier en criant la souffrance de l’existence, la seconde en réinventant une écriture féminine qui part du vécu corporel. Tous deux montrent que le corps n’est pas un simple thème : il est une voix, un langage, un espace de lutte et de liberté.

Le corps d’Artaud : écrire dans la douleur

Une écriture habitée par la souffrance

Antonin Artaud (1896-1948) est un écrivain, poète, acteur et théoricien du théâtre. Toute sa vie, il a souffert de douleurs physiques et psychiques profondes, amplifiées par de longs séjours en hôpital psychiatrique. Cette souffrance, il ne la cache pas : elle devient même le moteur de son écriture. Dans ses textes, comme L’Ombilic des limbes ou Van Gogh, le suicidé de la société, le corps est à vif, criant, traversé par la folie et la douleur. Artaud ne cherche pas à apaiser le lecteur : il veut l’ébranler, lui transmettre ce qu’il ressent physiquement et mentalement.

Son style est fragmenté, violent, parfois chaotique, à l’image de ce qu’il vit dans son propre corps. Il écrit avec ses nerfs, ses os, ses muscles. L’écriture devient presque un acte de survie, une tentative désespérée pour faire exister son corps autrement, malgré la maladie et l’exclusion.

Le théâtre de la cruauté : une scène pour le corps

Dans son essai Le Théâtre et son double (1938), Artaud développe une idée révolutionnaire : le “théâtre de la cruauté« . Il ne s’agit pas de cruauté au sens de violence gratuite, mais d’un théâtre qui fait ressentir la “souffrance d’exister ». Selon lui, le théâtre doit retrouver sa force primitive, sa dimension sacrée, et ne plus se contenter de raconter des histoires. Le corps de l’acteur devient alors un véritable instrument d’expression. Il doit « brûler sur les planches comme un supplicié sur son bûcher » : c’est une image forte pour dire que le théâtre, et plus largement l’art, doit naître du corps, de sa tension, de ses cris, de son énergie vitale.

Pour Artaud, écrire, c’est donc donner chair à des sensations extrêmes. C’est faire parler le corps, non pas pour le soigner, mais pour le faire entendre.

Hélène Cixous : écrire avec le corps féminin

Le corps comme lieu de libération

Hélène Cixous, née en 1937, est une écrivaine, philosophe et universitaire française. Dans ses textes, elle développe une pensée très originale autour du rapport entre écriture et corps, notamment à travers ce qu’elle appelle l’écriture féminine. Dans son célèbre essai Le Rire de la Méduse (1975), elle invite les femmes à écrire leur corps : leurs sensations, leur intimité, leur vécu. Pourquoi ? Parce que l’histoire de la littérature a longtemps été dominée par une parole masculine qui a exclu ou déformé l’expérience féminine.

Cixous considère que les femmes ont été privées d’un rapport libre et joyeux à leur propre corps. Elle veut briser ce silence. Pour elle, le corps féminin est un territoire d’émotions, de désirs, mais aussi de mémoire et de résistance. Écrire avec son corps, c’est donc une manière de se réapproprier une parole volée, d’exister pleinement.

Une écriture organique et libre

L’écriture de Cixous se reconnaît à son style très particulier : elle joue avec les mots, les sons, les rythmes, dans une langue fluide, presque corporelle. Elle refuse les structures classiques, les genres fixes, et préfère une écriture vivante, qui évolue au fil de l’émotion. Elle utilise souvent des images liées à la chair, au souffle, au sang. Ce n’est pas pour choquer, mais pour faire sentir que l’écriture est un prolongement du corps: un corps qui respire, qui saigne, qui aime, qui souffre.

Dans ses récits, comme Souffles ou Manne, elle parle de maternité, de sensualité, de blessures, de rêves, dans une langue qui semble naître directement du ventre ou de la peau. Pour elle, écrire, c’est non seulement parler de son corps, mais faire parler son corps.

Pourquoi écrire avec (ou sur) le corps ?

Une autre forme de vérité

Dans la tradition philosophique, le corps a souvent été vu comme un obstacle : un poids à dépasser pour penser clairement. Mais des auteurs comme Artaud et Cixous renversent cette idée. Pour eux, le corps est une source de vérité. Ce que le corps ressent, douleur, plaisir, fatigue, excitation, ne ment pas. En écrivant à partir de ces sensations, on accède à une forme de sincérité que les mots seuls ne suffisent pas à atteindre.

Cette approche permet aussi de dire ce que la société cache ou refuse : la souffrance mentale, les règles, la sexualité, la vieillesse, la maladie. Écrire le corps, c’est donc aussi une forme de résistance face à une société qui préfère les apparences aux réalités profondes.

Le corps comme terrain de lutte

Le corps est aussi un lieu politique. Il est traversé par des normes, des interdits, des attentes. Dire son corps, c’est refuser de se laisser enfermer. Artaud dénonce le traitement des malades mentaux et le rejet de ceux qui ne rentrent pas dans les normes. Cixous, elle, lutte contre l’effacement de la parole féminine. Tous deux montrent que le corps est un champ de bataille : écrire, c’est alors s’engager.

Aujourd’hui encore, de nombreux écrivains continuent ce travail : ils racontent des corps blessés par le racisme, la guerre, la pauvreté, ou les violences. Écrire le corps, c’est donc aussi donner une voix aux corps oubliés ou méprisés.

Conclusion : une écriture incarné

Antonin Artaud et Hélène Cixous nous rappellent une chose essentielle : écrire, ce n’est pas seulement réfléchir, c’est aussi ressentir. Leur œuvre, bien que très différente, témoigne de cette même volonté de faire de l’écriture un prolongement du corps, une manière de dire ce qui échappe souvent au langage ordinaire. Pour eux, le corps est une source de sens, de révolte, de poésie. Une chose est sûre : on ne lit plus de la même façon après avoir rencontré leurs textes, car ils nous mettent, nous aussi, en mouvement.

Tu veux plus d’informations et de conseils pour réussir tes examens et trouver ton orientation ? Rejoins-nous sur Instagram et TikTok !

Rejoins la communauté AuFutur !

Reçois directement dans ta boîte mail toutes les infos à connaître pour réussir  ton bac et préparer ton orientation !