Le multiplicateur keynésien : comprendre le moteur caché des politiques de relance

Keynes

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Le multiplicateur keynésien, c’est un peu comme une rumeur dans un petit village : vous la soufflez une fois, et très vite tout le monde en parle… sauf qu’ici, ce sont les euros qui circulent. Keynes, dans les années 1930, avait déjà compris qu’une dépense bien placée pouvait déclencher une réaction en chaîne capable de remettre une économie sur pied. L’État dépense, les gens consomment, les entreprises produisent, et tout le monde se reprend à espérer… du moins tant que l’argent ne décide pas de filer en épargne ou à l’étranger. Bref, c’est l’histoire d’une petite impulsion qui, bien orchestrée, peut créer un grand mouvement. Et c’est ce mécanisme que nous allons explorer, entre théorie, chiffres, et quelques rebonds historiques parfois aussi surprenants qu’efficaces.

Origines et développement du concept du multiplicateur keynésien

multiplicateur keynésien

Définition du multiplicateur keynésien

Le multiplicateur keynésien constitue l’une des théories centrales de la pensée macroéconomique contemporaine. Sa définition émerge dès la publication de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), dans laquelle John Maynard Keynes affirme : « Il existe, pour tout accroissement du revenu national, un effet supérieur à la dépense initiale, ce qui caractérise le phénomène du multiplicateur. » Ce concept désigne le mécanisme par lequel une augmentation de la dépense publique ou de l’investissement provoque une hausse plus importante du revenu global, grâce au jeu de la propension marginale à consommer.

Contexte et philosophie sous-jacente

Dans le contexte des années 1930, Keynes propose une rupture avec l’approche classique : il souligne l’existence d’équilibres de sous-emploi, où l’économie peut se stabiliser à un niveau inférieur à celui du plein emploi. Il insiste sur l’importance de l’effet d’entraînement, processus par lequel chaque dépense induit une succession d’impacts sur l’ensemble du tissu économique. L’exemple historique du New Deal, marqué par la multiplication des projets infrastructurels, incarne cette philosophie où chaque dollar dépensé suscite un flot d’activité additionnelle.

Le mécanisme de fonctionnement

keynes

Comprendre le multiplicateur en lien avec la dépense publique

Le multiplicateur keynésien opère au cœur du circuit économique par le principe d’injection de la demande. Lorsqu’un gouvernement augmente ses dépenses publiques, il injecte des ressources dans le système. Rapidement, ce montant circule, chaque bénéficiaire dépensant une part du revenu acquis, selon sa propension marginale à consommer. Par exemple, si l’État investit 1 milliard d’euros dans des infrastructures, les ouvriers et entreprises impliqués dépensent à leur tour une majorité de ce revenu. Cette réaction en chaîne produit un effet amplifié.

Une formule mathématique

À chaque étape, le flux s’atténue : une partie du revenu est épargnée ; certains achats correspondent à des produits importés, qui ne stimulent pas la production nationale ; l’impôt réduit aussi la somme disponible. Ces phénomènes, nommés fuites, limitent le potentiel du multiplicateur. Paul Samuelson explique : « Le parcours du multiplicateur s’interrompt là où survient l’épargne ou la taxation » (Essais d’économie politique). L’équation qui permet de calculer la valeur théorique du multiplicateur s’énonce ainsi, où PMC indique la propension marginale à consommer, PMi la propension marginale à importer, PMe la propension marginale à épargner :

multiplicateur keynésien

Angus Maddison détaille ce mécanisme en montrant qu’après le plan Marshall, l’Europe bénéficia d’une croissance à deux chiffres, car la plupart des revenus étaient réinvestis localement (Le capitalisme et ses rythmes). Pour approfondir, Friedrich Hayek propose une vision contrastée. Dans La Route de la servitude, il insiste sur le rôle de la connaissance et des anticipations : « L’effet d’une dépense dépend non seulement de la quantité injectée, mais de l’information et des attentes des agents. » Ainsi, l’ampleur du multiplicateur varie selon la confiance des acteurs et la structure de l’économie.

Limites et critiques du multiplicateur keynésien

plan austérité

Interventionnisme vs. libre marché : quelle solution face à la crise?

Le multiplicateur keynésien soulève de nombreux débats sur son efficacité réelle. Milton Friedman, dans Capitalism and Freedom, conteste vigoureusement l’idée que les politiques budgétaires offrent un remède systématique aux crises. Selon lui, « Le gouvernement n’a pas la capacité technique de stabiliser la conjoncture par la dépense publique ». Friedman privilégie le rôle des variables monétaires et défend une vision où le marché, libre d’intervention, s’ajuste plus efficacement aux chocs. Il avance, chiffres à l’appui, que les grands plans de relance américains des années 1970 n’ont pas généré une croissance durable, mais plutôt des déséquilibres inflationnistes.

Des agents économiques rationnels qui compliquent la donne

La critique s’amplifie avec Robert Lucas, pionnier des anticipations rationnelles. Dans Expectations and the Neutrality of Money, Lucas explique : « Les agents économiques adaptent leurs comportements, anticipent les politiques et réduisent leur effet multiplicateur. » Ainsi, lorsque l’État annonce une relance, les ménages et entreprises peuvent choisir d’épargner la hausse de revenu, s’attendant à une hausse future de l’impôt ou une inflation, ce qui atténue l’effet escompté.

Le multiplicateur et le timing

D’autres économistes insistent sur les rigidités et les délais inhérents aux politiques budgétaires. Le temps nécessaire pour concevoir, voter et mettre en œuvre une politique réduit l’impact immédiat de l’injection de demande, parfois rendant la réponse économique inopérante. Paul Samuelson lui-même admet : « Une politique mal calibrée peut aggraver les cycles économiques au lieu de les atténuer ».

Exemples historiques

new deal Emmanuel macron

Un multiplicateur très concret

Le multiplicateur keynésien ne se limite pas à la théorie : il s’incarne dans des événements majeurs du XXe et du XXIe siècle. Le New Deal américain, instauré par Franklin D. Roosevelt après la crise de 1929, illustre avec force ce mécanisme. Les investissements massifs dans les infrastructures et l’emploi provoquent une remontée spectaculaire du PIB : entre 1933 et 1937, la production américaine augmente de près de 40%, chiffre rapporté par Angus Maddison dans Le capitalisme et ses rythmes. Ce programme démontre la puissance d’une dépense publique ciblée, enclenchant un cycle de croissance fondé sur la confiance et l’anticipation collective.

L’exemple de la reconstruction de l’après-guerre

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le plan Marshall joue un rôle comparable en Europe. Les États-Unis injectent l’équivalent de 13 milliards $ (environ 130 milliards $ actuels) pour la reconstruction, favorisant selon Maddison une croissance à deux chiffres dans plusieurs pays européens. Cette aide, qualifiée de « multiplicateur externe », catalyse des années de progrès, prouvant l’efficacité d’une intervention à grande échelle quand l’économie souffre d’un sous-emploi massif. De même, les mesures de relance COVID-19 en Europe et aux États-Unis , plans de sauvegarde des entreprises, soutien aux ménages,  ont permis d’atténuer la chute du PIB et de stabiliser le niveau d’emploi.

Quelle actualité pour le multiplicateur keynésien ?

Le multiplicateur keynésien conserve une actualité brûlante, tant en France que dans l’Union européenne, où il irrigue les politiques de relance économique face aux défis actuels.

L’exemple de la France et du Covid 19

En France, le plan de relance économique post-pandémie, appelé France Relance, illustre très bien l’application contemporaine du multiplicateur keynésien. Doté d’une enveloppe de 100 milliards d’euros, ce plan vise à stimuler la croissance, soutenir l’emploi et préparer la transition écologique et numérique. Selon une évaluation de France Stratégie et de l’OFCE, ce plan a permis la création ou le soutien de plus de 100 000 emplois rien qu’en 2022, notamment grâce à l’investissement de 10 milliards consacré à la rénovation énergétique des bâtiments. La contribution de l’investissement à la croissance du PIB est estimée à environ 0,8 point de PIB en 2022.

La Chine et la récession de 2008

Sur la scène mondiale, le plan de relance chinois de 2008-2009 constitue un autre exemple frappant. Pékin a lancé un programme massif de 4 000 milliards de yuans (équivalent à 586 milliards de dollars) destiné à stimuler l’économie face à la crise financière globale. Ce plan portait sur les infrastructures, le logement, les services sociaux et l’industrie. Cette relance a permis à la Chine de passer d’une croissance ralentie à 6% fin 2008 à une croissance moyenne de 8,7% en 2009, avec un pic annuel à plus de 10% au dernier trimestre de 2009. L’investissement public a ainsi compensé l’effondrement des exportations et relancé la demande intérieure. Cependant, les effets secondaires incluent un endettement croissant et des pressions inflationnistes, soulignant les limites et les risques des politiques de relance.

Ce qu’il faut retenir

Le multiplicateur keynésien demeure l’un des outils conceptuels les plus mobilisés pour comprendre et orienter les politiques économiques en période de crise. De la Grande Dépression aux plans de relance post-COVID, en passant par la reconstruction d’après-guerre, il a montré sa capacité à générer des effets d’entraînement significatifs lorsque les conditions sont réunies : ciblage précis des investissements, confiance des acteurs, limitation des « fuites » vers l’épargne ou les importations. Le multiplicateur keynésien n’est pas qu’une vieille formule poussiéreuse sortie d’un manuel d’économie. On injecte un peu d’argent public, et l’économie se met à tourner comme une bicyclette qu’on relance d’un coup de pédale. Bien sûr, il faut pédaler dans la bonne direction : un mauvais cadrage, et on se retrouve à arroser le désert. Les exemples historiques – du New Deal au plan de relance vert de l’UE – montrent que la dépense publique peut, dans certaines conditions, enclencher des réactions en chaîne bénéfiques. Mais comme le disait Paul Samuelson : « En matière de relance, le diable est dans les détails ». Et parfois, le diable s’appelle fuites à l’importation, inflation imprévue ou délais politiques…

En définitive, le multiplicateur keynésien reste un levier d’action puissant, à condition d’être manié avec rigueur et discernement. Utilisé à bon escient, il peut être un catalyseur de prospérité et de cohésion sociale ; mal maîtrisé, il risque de n’être qu’une dépense coûteuse aux effets limités. L’enjeu, pour les décideurs publics, est donc moins de savoir si le multiplicateur fonctionne, que de créer les conditions pour qu’il fonctionne pleinement.

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