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La parole – Spécialité Humanités, littérature et philosophie

À lire dans cet article :

La parole est un chapitre clé de l’option Humanités, littérature et philosophie. Voici la fiche ultime qui résume tout ce qu’il faut savoir.

La parole – comme système langagier

Dotée d’une fonction performative et d’un pouvoir de légitimation, la parole trône à la tête du système langagier : laudative, dénonciatrice, persuasive ou incantatoire. Qu’elle relève du sacré ou du profane, elle est hissée au rang de véritable arme de combat; par son pouvoir de nomination ou de désignation, elle institue un ordre ou sape les fondements d’un système. Impartie d’une autorité incontournable, la parole influence les croyances, les rapports sociaux, la culture et la création.

Elle détient non seulement une autorité décisive dans le champ socioculturel mais s’avère tout aussi bien comme fer de lance des régimes politiques, des systèmes judiciaires, des domaines de la science, de la religion et de la magie. Cette omniprésence est alors doublée d’une toute puissance laquelle vient rappeler que la parole est le corrélât de l’autorité : intrinsèquement liée à la raison (le logos), elle puise également dans l’affect et dans l’imaginaire les vecteurs de sa montée en puissance.

La parole – problématisation

Sur ce, de quelles sources découle l’autorité de la parole ? Et quelles sont ses dérives ? L’Antiquité et le Moyen-Age permettent de questionner l’autorité de la parole, ses dérives et ses modalités d’action (art et séduction de la parole) tout en proposant des prolongements à cette période.

Exemple sur le pouvoir de la parole – le Choixpeau

Au départ, une controverse a opposé les tenants d’un arbitraire du pouvoir imparti à la parole à ceux qui supposent que ce même pouvoir découle d’une double fonction injonctive et performative établissant un rapport axiologique par rapport à la construction du sens. Dans ce sillage, la mention du choixpeau dans Harry Potter rend bien compte de cette suprématie du verbe lequel détermine, par une instance incontestée, le statut qu’occupera le sujet : la fonction du choixpeau étant de dicter dans quelle maison se retrouvera chaque nouvel étudiant, il effectue cette tâche lors du festin de début d’année. Il paraît alors qu’il a été ensorcelé (par les quatre fondateurs de Poudlard) pour répartir les rôles et pour assigner les critères de sélection de chaque maison.

Il proclame alors de vive voix quelle maison convient à l’étudiant qui l’aurait posé sur la tête : « Voyez les dangers, lisez les présages/ Que nous montrent l’histoire et ses ravages/ Car notre Poudlard est en grand péril/ Devant des forces puissantes et hostiles/ Et nous devons tous nous unir en elle/ Pour échapper à la chute mortelle/ Soyez avertis et prenez conscience/ La répartition maintenant commence ». Le chapeau classeur devient alors l’allégorie de l’ordre, de l’injonction dont dépendent la stabilité et la pérennité de tout établissement. C’est un pouvoir de légitimation mais aussi de maintien de l’ordre qui s’affermit : la parole remplit donc une fonction de régulation inhérente à la loi et par extension à l’autorité.

La parole et le concept de l’autorité

Le concept d’autorité constitue le point de mire de la réflexion menée par les penseurs depuis l’Antiquité : dans ce cadre, la parole semble perpétuer cette autorité (politique, religieuse, ou autre) ou, en revanche, elle se heurte à elle et s’applique à la dénoncer. Les Romains sont les premiers à fonder le concept d’Autorité. Contrairement au pouvoir, l’autorité puise ses racines dans le passé, elle est donc en lien étroit avec la tradition. Cette autorité est extrinsèque si elle dépend d’un poste ou d’une hiérarchie, ou bien intrinsèque si elle dépend de qualités personnelles ou de vertus.

Exemple sur le pouvoir de la parole – Œdipe Roi

L’autorité de la parole institue un ordre nouveau, œuvre à ancrer certains paradigmes et à asseoir un règne ; aux antipodes de cette conception, elle conspue l’ordre établi parce qu’elle vise la déstabilisation, la subversion et la rébellion. Dans Œdipe Roi, le conflit atteint son paroxysme au moment où Œdipe, armé de sa seule parole, dénigre les agissements de Créon; en s’opposant ouvertement au stratagème dont il est victime, il est muni d’un pouvoir de contestation qui le pousse à dévoiler sa consternation face à Tirésias : « Mais je pense qu’il vous en arrivera malheur à toi et à celui qui a ourdi le dessein de me chasser de la ville comme une souillure. Si je ne croyais que la vieillesse t’a rendu insensé, tu saurais bientôt ce que coutent de tels desseins ». Sur un mode assez similaire, dans la Machine infernale (Cocteau), le sphinx invite Œdipe à se résigner, à se soumettre à l’ordre ; ce dernier rétorque « Je résisterai ! »


Le pouvoir de légitimation et de contestation pourrait se muer en une tyrannie de la parole apte à mettre en place une justice fallacieuse et vide de sens. En uniformisant la pensée et les esprits, le discours incriminant véhiculé par un système opprimant et totalitaire gagne du terrain : l’accusé, Joseph K., dans le Procès souffre d’une incompréhension sans bornes face aux représentants de l’ordre qui le condamnent absurdement. Obnubilé par le cours que prennent les événements, le protagoniste est éberlué « K. regarda le brigadier avec de grands yeux.

Cet homme qui était peut-être son cadet, lui faisait ici la leçon comme à un écolier. On le punissait par une semonce de sa franchise ? Et on ne lui apprenait rien ni du motif ni de l’autorité qui déterminait son arrestation ! ». Un pouvoir de falsification est attribué, dans une même veine, à la parole qui regorge d’affabulation, de mystification tout en frôlant l’invraisemblable et le dérisoire.

Exemple sur la parole – Histoire des oracles

Ce propos est illustré par Fontenelle dans son Histoire des oracles (1687) : « En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il en était venu une d’or […]. Horatius, professeur en médecine à l’université de Helmstad, écrivit en 1595, l’histoire de cette dent, et prétendit qu’elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu’elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs ».


Dans son article « Autorité politique », Diderot défend la thèse suivant laquelle l’autorité remonte à l’une de ces deux sources : « ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité ». Dans le premier cas, il est question d’usurpation, de despotisme et de tyrannie ; dans le second, c’est la légitimité du pouvoir fondé sur les valeurs démocratiques.


Alors que la parole jouit d’une panoplie de pouvoirs allant de l’injonction à la dimension performative et contestataire, elle s’arroge dans certains cas des pouvoirs démesurés : à ce stade, il importe d’aborder la question des dérives de la parole. Celle-ci témoigne, à bien des égards, d’une hiérarchie dominante et s’affirme en tant que raison d’état. Loin d’instiller un idéal de justice et d’équité, elle colporte la voix de la domination et de l’oppression. Esope souligne cette dérive dans ‘Le loup et l’agneau’, fable reprise par La Fontaine dans laquelle il affirme que « la loi du plus fort est toujours la meilleure » : la victime de ce rapport de forces inégal se trouve acculée au désespoir, condamnée à l’impotence « sans autre forme de procès ». Le présent gnomique rend compte, dans cette mesure, de ces vérités morales indiscutables.

La parole et les régimes totalitaires

La prévalence de l’ordre hiérarchique trouve une résonance particulière dans le totalitarisme que promeut un régime centralisateur et manipulateur. Dans 1984, Orwell rend compte de la novlangue, néologisme forgé pour décrire un dictionnaire élaboré par l’ordre politique en vue de banaliser la pensée et partant de contrecarrer toute tentative de rébellion. Cette langue ‘vide’ abrutit les esprits des individus et participe à la massification, à l’éradication de l’esprit critique.

Big brother, contempteur des différences et des singularités, étend son pouvoir totalitaire par l’entremise de la novlangue opposée à l’ancilangue : « Ne voyez-vous pas que le véritable but de la novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer ». Cherchant à analyser les soubassements de cette autorité totalitaire, Arendt développe le concept de la ‘banalité du mal’ ; elle agence son explication du totalitarisme par le renvoi qu’elle opère au nazisme : « La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande ; ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée » (H. Arendt, la Crise de la Culture, « qu’est-ce que l’autorité ? »).


L’expérience de Milgram, transposée dans un jeu ‘le jeu de la mort’, révèle la part d’obédience et de soumission dont un individu fait preuve face à l’autorité : À la fin de son ouvrage Milgram écrivait : « Je suis certain que l’obéissance et la désobéissance ont pour origine un aspect complexe de la personnalité, mais je sais que nous ne l’avons pas encore trouvé ». Un lien a été établi entre activisme politique et rébellion : les personnes engagées dans des actes de contestation étaient moins enclines que les autres à se soumettre à l’autorité.

La parole dans le Gorgias de Platon

Qu’elle soit rivée sur des valeurs humanistes, revendiquant la justice et l’égalité, ou investie dans le champ de la manipulation et de la duperie, la parole semble susceptible de séduction et de persuasion. Ainsi, le pouvoir séducteur et démiurgique se trouve illustré dans le Gorgias de Platon : « L’orateur est, à la vérité, en état de parler contre tous et sur toute chose ; en sorte qu’il sera plus propre que personne à persuader en un instant la multitude sur tel sujet qui lui plaira ».


En effet, la rhétorique traditionnelle distinguait trois genres de discours : le délibératif (concernant les débats politiques), le judiciaire (inhérent au jugement dans les procès) et l’épidictique (associé à l’éloge et au blâme prononcés en public). L’oraison funèbre relève de cette dernière catégorie rendant hommage à une personnalité disparue. Il est à remarquer que l’éloge et le blâme entretiennent une visée argumentative, rehaussant la figure d’une personne ou, au contraire, discréditant et récusant une personne ou une idée ou une institution.

Notons qu’en cherchant à convaincre, ils sillonnent le discours publicitaire mais c’est surtout la littérature qui en rend compte : poésie satirique, éloge paradoxal, théâtre, portrait ou blason… autant de genres aptes à valoriser ou à dévaloriser, par la parole, la cible. Il convient de citer, dans la même perspective centrée sur la persuasion, la caricature qui force le trait en allant jusqu’à la déformation ou à la disproportion significative. Ce genre suggère des rapprochements dont la fonction est d’orienter le jugement en réduisant le caractère à une caractéristique. De plus, la tragédie cultive la rhétorique surtout par le truchement des procédés persuasifs et de l’incantation.


La dimension incantatoire renvoie à la puissance d’envoûtement de la parole, au chant doué de charme, à la parole productrice de sorts et de sortilèges. La tradition rhétorique qualifiait d’incantatoires les effets magiques ou divins qu’elle associait au maniement poétique des mots.

Exemple sur la parole – Médée de Sénèque

Médée de Sénèque regorge de passages incantatoires : la séduction de la parole est fortement associée à l’invocation mais aussi à l’anathème. Manigançant sa vengeance, Médée s’exclame « Je vous invoque, ombres silencieuses, divinités funèbres, aveugle chaos, ténébreux palais du roi des enfers, cavernes de la mort défendues par les fleuves du Tartare ! mes coupables, arrachez-vous un instant à vos supplices et venez assister à ce nouvel hymen ! […] Accoutume-toi ma main à tirer le glaive et à faire couler un sang qui m’est cher » (‘les sortilèges de Médée’).

Conclusion sur la parole

Si la parole réussit à séduire c’est bien en raison de la rhétorique dont elle dispose et de sa portée : celle-ci nous ramène aux intentions de la parole séductrice dépendant en grande partie de l’effet produit sur le destinataire. Qu’elle cherche à divertir ou à persuader, à instruire ou à valoriser, à défendre ou à discréditer, la parole use de divers procédés et mobilise les techniques pour plaire. Ainsi, le Roman de Renart peut être considéré comme une satire sociale avant la lettre : pittoresque, malice, sens du réalisme et parodie, autant d’éléments par le biais desquels le récit en vers transgresse les tabous religieux tout en critiquant les classes dominantes. La dimension psychologique décelée dans l’œuvre en question perce à travers la facétie et l’espièglerie des personnages.


Les pouvoirs de la parole recouvrent des paramètres bien variés de l’activité créatrice : de l’injonction à la dimension performative, de la sentence au pouvoir de légitimation, elle embrasse une panoplie de domaines. Cependant, il est récurrent que les dérives fourvoient la parole surtout lorsqu’elle débouche sur le totalitarisme et sur l’uniformisation de la pensée. Il est impératif de cerner l’aspect séducteur de la parole en vue d’apprécier les intentions du discours, l’impact des mots et leurs pouvoirs incontournables.

N’hésitez pas à poursuivre vos révisions en consultant d’autres fiches. Bon courage !

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