Diplomatie, Union européenne, défense, armée

HGGSP : une diplomatie européenne est-elle possible ?

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La diplomatie désigne la représentation de la puissance d’un pays et de ses ambitions, qui est impossible sans force armée derrière, c’est le principe historique d’« ultima ratio regum » : la force est le dernier argument du roi. Dans un État de droit, la force (derrière la diplomatie) n’est pas faite pour être utilisée, mais pour représenter une menace : c’est son caractère dissuasif qui prime. Aujourd’hui, les USA (890 milliards de dollars américains, ou 890 Mds$, en 2021) représentent près de la moitié des dépenses militaires mondiales, devant la Chine (293 Mds$), l’Inde (76,6 Mds$), le Royaume-Uni (68,4 Mds$), la Russie (65,9 Mds$). La France suit de près les cinq premiers mondiaux et est première de l’Union européenne (UE), à 56 Mds$ en 2021, comme l’Allemagne, qui effectue un rattrapage en la matière. Ainsi, alors que la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis le 24 février 2021 a remis la guerre en Europe et aux portes de l’Union européenne[1], qui ne possède pas d’une force armée propre, une diplomatie de l’Union Européenne est-elle possible ?

Les dispositifs existants

La diplomatie ne peut pas fonctionner sans force armée derrière, c’est l’obstacle majeur à une diplomatie européenne, qui ne peut pas se mettre en place aujourd’hui, comme en témoigne Josep Borrell[2] : « L’Union européenne doit jouer un rôle important dans le nouveau multilatéralisme qu’il faut à présent construire » (après la crise du Covid). Si l’UE veut jouer un rôle, cela suppose la création d’une armée européenne, c’est-à-dire d’un organisme de décision en commun permanent. Ainsi, aujourd’hui, les États européens conservent la pleine souveraineté sur leur politique étrangère : seules des politiques de coopération militaire existent à l’échelle européenne, mais il ne s’agit pas d’organisme permanent de décision. On distingue notamment deux politiques européennes.

Premièrement, la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) instaurée en 1992. Elle était le deuxième des trois piliers[3] instaurés en 1992 par le traité sur l’Union européenne de Maastricht, les trois piliers ayant été réunis en une seule entité, l’Union Européenne, en 2009, par le traité de Lisbonne. Bien que les décisions militaires et de diplomatie se passent uniquement à l’échelle nationale, la PESC offre des moyens pour agir en commun, parler d’une seule voix sur la scène internationale (pour préserver la paix, promouvoir la démocratie, le développement durable, le multilatéralisme…). C’est lors des réunions du Conseil européen que les chefs de gouvernement définissaient des positions communes (comme le soutien de l’UE à la création de la Cour Pénale Internationale, ou CPI, en 1998), décident d’actions communes (comme l’envoi de forces militaires ou civiles à l’étranger avec la PSDC). Mais pour la majorité des enjeux, l’unanimité des États membres du Conseil européen est requise pour une décision commune. Autrement dit, si un seul pays sur 27 s’oppose, la décision ne peut être prise à l’échelle européenne.

D’où la création de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) par le traité de Nice en 2001. La PSDC est comprise dans la PESC. L’UE ne possédant pas d’armée, la PSDC prévoit que les capacités civiles et militaires qu’elle est en mesure de mobiliser sont mises à sa disposition lorsqu’une action civile ou militaire est lancée par le Conseil européen (60 000 personnes en 60 jours mobilisables par la PSDC en théorie). La PSDC, conduite par Josep Borrell, sert de cadre pour coordonner les capacités mises à disposition et mettre en place l’action décidée par le Conseil. En 2022, 17 opérations européennes sont entreprises dans le cadre de la PSDC, sur trois continents (Europe, Afrique, Moyen-Orient). 6 sont militaires (dont la mission de lutte contre le trafic de migrants dans l’Union européenne NAVFOR EU, lancée en 2015) et 11 sont civiles. Les décisions y sont intergouvernementales également, les budgets nationaux pour les opérations militaires (proportionnellement à la participation), alors que le budget de l’UE est mobilisé pour les opérations civiles. Le Traité de Lisbonne a également instauré le devoir d’assistance mutuelle entre les pays membres en parallèle de la PSDC et faisant également partie de la PESC : si un pays de l’UE est attaqué, les autres pays membres ont l’obligation d’intervenir pour le défendre[4].

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Les raisons d’une urgence à la constitution d’une force militaire européenne

Cependant, ces politiques et dispositifs européens semblent insuffisants face aux urgences diplomatiques et militaires auxquelles l’Union européenne fait face. On distingue principalement quatre urgences aujourd’hui. Premièrement, le nouvel impérialisme russe, qui se matérialise dès 2014 avec l’annexion de la Crimée ukrainienne de façon unilatérale par la Russie, puis avec la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis le 24 février 2022. Deuxièmement, la nécessité de peser diplomatiquement à l’échelle internationale (notamment face à la Chine, désormais perçue par l’UE comme un partenaire, un concurrent ou un rival systémique en fonction des secteurs concernés). Troisièmement, la nécessité pour l’UE d’assurer sa sécurité face aux menaces non étatiques (notamment les attentats terroristes, après la vague de 2015-2016). Ces trois urgences ont émergé dans le contexte d’une remise en cause du lien transatlantique(quatrième urgence, bien que l’aide américaine à l’Ukraine ait été jusqu’ici considérable) entre l’Europe et les USA, qui avait jusqu’ici permis à la coopération européenne de reposer sur les USA pour assurer sa sécurité, en vertu de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord[5]. Ainsi, avoir une force militaire mutualisée (mise en commun), ou à défaut coordonnée, à l’échelle de l’Union européenne apparaît de plus en plus urgent puisque les pays européens peuvent de moins en moins compter sur le bouclier américain en cas d’attaque étrangère.

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Les signes d’évolution de la position européenne

Face à ces urgences, on peut percevoir quatre principaux signes d’évolution de la position européenne. Premièrement, l’augmentation des dépenses militaires des pays de l’Union Européenne, régulière depuis 2015 : + 100 Mds€ en 2017 par rapport à 2016, décision de l’Allemagne de mettre en place au fonds spécial de 100 Mds€ dédié à l’armement de son armée. Deuxièmement, la création de la CSP et de l’IEI. La CSP, ou Coopération structurée permanente (2017), permet à un groupe de pays de l’UE (contrairement à la PSDC qui nécessite l’accord de tous les pays) de prendre des engagements réciproques pour coordonner leurs dépenses d’armement et participer à des programmes d’armement. L’IEI, ou Initiative européenne d’intervention (2018) regroupe 10 États et se compose d’un secrétariat permanent mettant en liaison les états-majors (chefs des armées) nationaux pour travailler ensemble, avec des discussions stratégiques. Troisièmement, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne lève un des obstacles à la création d’une organisation militaire européenne potentiellement « concurrente » à l’OTAN, ce à quoi le Royaume-Uni était opposé. Quatrièmement, le changement de la position allemande depuis 2019 est majeur, alors que depuis 1955, l’Allemagne ne s’est jamais pensée autrement que comme entité de l’OTAN (il y avait encore 35 000 militaires américains sur le sol Allemand en 2020). En 2019, la présidente de la CDU, alors principale force politique, avait appelé à une révision de la politique de défense du pays « l’Allemagne doit s’impliquer dans le débat international et y jouer un rôle de premier plan ». Cependant, la décision d’acheter en grande partie du matériel de guerre américain limite la perspective que la nouvelle position militaire allemande favorise la construction d’une défense européenne commune et autonome.

Ainsi, face aux urgences auxquelles ils sont confrontés depuis plusieurs années, les pays européens semblent avoir pris conscience de la nécessité de renforcer leur défense. Si l’augmentation des dépenses militaires a bien commencé, une politique diplomatique et militaire commune à l’échelle européenne est nécessaire pour peser diplomatiquement à l’échelle mondiale. Or, on peut distinguer notamment quatre obstacles à la création d’une armée commune européenne : les pays baltes sont plus atlantistes qu’européens (comptant plus sur l’OTAN que sur l’UE pour assurer leur défense), la dette des pays européens (qui a encore beaucoup augmenté avec la crise du Covid), le droit de veto à l’ONU et la puissance nucléaire de la France (qui déciderait de leur engagement ?) et la non-participation de certains pays aux nouveaux mécanismes de coopération militaires (CSP et IEI). Dès lors, une Europe de la défense reposant sur une armée européenne commune impliquerait vraisemblablement une Europe à plusieurs vitesses.

[1] L’Ukraine est dans le continent européen au sens géographique du terme, mais ne fait pas partie de l’Union européenne, qui est une alliance politique et économique entre 27 pays du continent européen (28 avant que le Royaume-Uni n’en sorte par le Brexit, effectif le 1er février 2020).

[2] Le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité depuis 2019.

[3] Avec les Communautés européennes (1er pilier, comme l’Union douanière, la politique commune de pêche…) et la Coopération policière et judiciaire en matière pénale (3ème pilier).

[4] Selon un mécanisme similaire à celui de l’OTAN, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, qui comprend 21 des 27 pays membres de l’UE mais aussi d’autres pays, notamment les USA.

[5] Cet article implique que tout Etat membre de l’OTAN qui est attaqué doit automatiquement être défendu par les autres pays membres de l’OTAN, donc y compris par les USA, première puissance militaire mondiale.

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