Paru en 1886, L’Œuvre d’Émile Zola fait partie du cycle des Rougon-Macquart et explore la vie d’un jeune peintre, Claude Lantier, en quête de création absolue. Le roman interroge la place de l’artiste dans la société moderne, la difficulté de créer et les exigences parfois impossibles de l’idéal artistique. L’extrait que nous analysons ici (situé au chapitre II) est particulièrement intéressant : il met en scène deux personnages emblématiques, Claude et son ami Sandoz, dont les monologues croisés révèlent leurs ambitions, leurs doutes et leur rapport tourmenté à l’art.
Dans cet article, tu trouveras le commentaire composé complet de ce passage. Il t’aidera à comprendre les enjeux du texte, à analyser la construction des monologues et à saisir la dimension métatextuelle du roman. Une ressource utile pour préparer ton bac de français ou approfondir l’étude de Zola sous l’angle de la création artistique.

L’extrait suivant est extrait du roman L’Œuvre, d’Émile Zola, paru en 1886. Le passage se situe au chapitre II, pages 45-47. Il s’agit d’un exemple particulier qui illustre bien le concept de métatextualité. La métatextualité est cet effet qui consiste pour un texte à s’auto-critiquer. Le texte lui-même se regarde dans un miroir et parle de lui. Comment ? À l’aide d’artifices de rédaction qui font comprendre implicitement au lecteur cette métatextualité.
Commentaire composé L’œuvre, Emile Zola
Introduction
Notre exemple est un extrait de L’Œuvre d’Émile Zola (1886) où le protagoniste, un artiste peintre, peint un modèle tout en se questionnant sur son travail. Les deux personnages parlent en monologuant. Le thème est évidemment l’art et le narrateur est omniscient. Le registre est interrogatif, l’urgence et le trouble emplissent le texte. Ces monologues sont assez peu structurés, c’est un passage de flux de conscience oral. Nous aborderons tout d’abord la figure de l’artiste, ensuite le contenu des monologues et enfin le caractère métatextuel du passage. Ce qui transparaît à travers les réflexions de l’artiste est la démarche de l’écrivain.Dans quelle mesure cet extrait de monologues d’artistes tourmentés à la recherche de l’œuvre parfaite présente-t-il une profonde réflexion au sujet des artistes, de l’art et de la création ?
I. Les artistes
I.1. L’artiste peintre
La première chose connue au sujet de l’artiste est sa spécialité, c’est-à-dire la peinture. Lors du passage étudié, il est en train de peindre en prenant pour modèle un ami (« Un grand silence tomba, pendant qu’il achevait d’ébaucher le veston de velours, frémissant. Sandoz l’avait écouté, sans lâcher la pose. » l 10). Les références à des œuvres picturales (« Delacroix », « Courbet » l 3 et 4) et l’omniprésence du champ lexical de la peinture (« peinture », « ébaucher », « esquisses », « peindre ») nous indiquent que le protagoniste est un jeune artiste peintre.
I.2. L’écrivain
Quant au deuxième personnage, on sait qu’il évolue dans le champ des études et de l’écriture (« chaque fois qu’un professeur a voulu m’imposer une vérité, j’ai eu une révolte de défiance » l 14, « L’hiver précédent, il avait publié son premier livre, une suite d’esquisses aimables, rapportées de Plassans, parmi lesquelles quelques notes plus rudes indiquaient seules le révolté, le passionné de vérité et de puissance. » l 25). C’est un jeune homme rebelle et tourmenté (« révolte de défiance » l 14, « il tâtonnait, il s’interrogeait dans le tourment des idées confuses encore qui battaient son crâne. » l 27). C’est en réalité un écrivain en devenir plutôt qu’un artiste accompli.
I.3. Le désir démiurgique
Ce qui réunit les deux personnages est leur trouble quant à leur art et leur désir de perfection.Ils se posent en possibles démiurges (personnes qui créent quelque chose d’important) dans le texte. Voici quelques exemples pour l’artiste peintre : « Maintenant, il faut autre chose… Ah ! quoi ? je ne sais pas au juste ! Si je savais et si je pouvais, je serais très fort » (l 1-2), « il faut peut-être le soleil, il faut le plein air, une peinture claire et jeune, les choses et les êtres tels qu’ils se comportent dans la vraie lumière » (l 5), « Ah ! tout voir et tout peindre ! reprit Claude, après un long intervalle. Avec des lieues de murailles à couvrir, décorer les gares, les halles, les mairies, tout ce qu’on bâtira, quand les architectes ne seront plus des crétins ! » (l 35), « toute la vie moderne ! Des fresques hautes comme le Panthéon ! Une sacrée suite de toiles à faire éclater le Louvre ! » (l 42).Et pour Sandoz : « Ah ! que ce serait beau, si l’on tâchait de mettre les choses, les bêtes, les hommes, l’arche immense ! » (l 16), « il avait eu le projet d’une genèse de l’univers, en trois phases » (l 29). Ces deux artistes rêvent de faire entrer le monde entier dans leur art, d’atteindre la perfection de la création de Dieu.
II. Les monologues
II.1. Le style du flux de conscience dans des monologues oraux
Le style de ce texte est très intéressant, car deux flux de conscience se répondent sans réellement se répondre. Il y a d’ailleurs un dialogue, ce qui fait que ces deux monologues se répondent et se font écho (« Maintenant, il faut autre chose… Ah ! quoi ? je ne sais pas au juste ! » l 1 // « Non, non, on ne sait pas, il faudrait savoir… » l 13 ; « il avait eu le projet d’une genèse de l’univers » l 29 // « Ah ! tout voir et tout peindre ! » l 35). Mais les deux artistes ne s’écoutent pas et se parlent à eux-mêmes.
Claude, quand il évoque l’ignorance, fait référence à ce qui manque à son tableau. Tandis que Sandoz parle plutôt des mystères de l’univers. Claude évoque la peinture, Sandoz l’écriture, les sciences et la philosophie. Le style du texte est en fait celui du flux de conscience : grande présence de la ponctuation (…, !, ?), beaucoup de ruptures rythmiques liées aux hésitations de la pensée en mouvement, la succession de propositions diverses et sans réelle structuration (comme la pensée).
II.2. Les questionnements au sujet de l’art
Un des aspects majeurs de ces monologues est l’interrogation au sujet de l’art. Claude s’interroge d’abord sur ce qu’il manque à son œuvre d’art et à l’art de son temps (« Maintenant, il faut autre chose… Ah ! quoi ? je ne sais pas au juste ! » l 1, « notre peinture à nous, la peinture que nos yeux d’aujourd’hui doivent faire et regarder. » l 7).
Sandoz questionne ensuite la démarche de création artistique (« Bien sûr, c’est à la science que doivent s’adresser les romanciers et les poètes, elle est aujourd’hui l’unique source possible. » l 21). Il cherche le moyen de faire entrer ses ambitions démiurgiques dans son art (« il cherchait un cadre plus resserré, plus humain, où il ferait tenir pourtant sa vaste ambition. » l 30). Enfin, Claude s’interroge sur sa démarche créatrice (« Ah ! tout voir et tout peindre ! reprit Claude, après un long intervalle. (…) Et il ne faudra que des muscles et une tête solides, car ce ne sont pas les sujets qui manqueront… » l 35-37).
II.3. Les questionnements au sujet de la vérité
La vérité est le deuxième pôle central des deux monologues. Claude cherche à représenter la lumière dans sa peinture, lumière que l’on peut associer à la vérité (référence possible à l’allégorie de la caverne du célèbre Platon). De plus, comme nous l’avons vu précédemment, il recherche la perfection dans son art. Or la perfection, en langage divin, est synonyme de vérité. Il désire rendre avec une vérité parfaite le monde qui l’entoure.Quant à Sandoz, c’est un jeune homme obsédé par la vérité. Il remet en question ce que lui disent ses professeurs (« chaque fois qu’un professeur a voulu m’imposer une vérité, j’ai eu une révolte de défiance, en songeant : Il se trompe ou il me trompe. » l 14-15), s’interroge sans cesse sur la genèse et sur la vérité (« Ah ! si je savais, si je savais, quelle série de bouquins je lancerais à la tête de la foule ! » l 24). Il est « le révolté, le passionné de vérité et de puissance. » (l 27).
III. Un texte métatextuel : une représentation ironique de l’écrivain lui-même
III.1. Le trouble de l’artiste au moment de créer
Si l’on considère que ce texte se compose de deux monologues interrogatifs et exclamatifs de deux artistes au sujet de leur art, nous pouvons affirmer que ce texte présente l’archétype de l’artiste tourmenté au moment du travail de création. Au moment de créer, l’artiste est troublé, car il y met tout son être, s’investit corps et âme dans son art et tente de trouver la meilleure manière de communiquer ceci au spectateur. Les états d’âme et les multiples questionnements afin de produire ce qu’il désire sont des caractéristiques de l’artiste présentes dans le texte. L’omniprésence des interrogations nous montre un artiste en perpétuel renouvellement.
III.2. La recherche de la perfection
Les deux personnages sont obsédés par la recherche de la perfection, de la lumière divine et de la vérité suprême. Claude rêve de rendre le monde entier dans sa peinture, tel Dieu. Il cherche à produire une œuvre totale, parfaite. Tandis que Sandoz cherche à produire la genèse dans ses écrits. Tel l’écrivain de la Bible, il veut rendre l’humanité et le monde dans son art. Or cette recherche de la perfection est caractéristique de l’artiste, de l’écrivain. Celui-ci recherche la perfection de la forme, du style, il produit un travail esthétique et très recherché. Un écrivain est sans cesse en train de retoucher ses brouillons pour produire une œuvre plus belle.
III.3. L’ironie
Toutefois, cette représentation de l’écrivain est tout à fait ironique. Claude est un peintre dont le travail est avorté avant même de naître (« Sa voix s’éteignit de nouveau, il bégayait, n’arrivait pas à formuler la sourde éclosion d’avenir qui montait en lui. Un grand silence tomba, pendant qu’il achevait d’ébaucher le veston de velours, frémissant. » l 9-11). D’ailleurs, la seule évocation de sa peinture est la référence au veston. Ses réflexions omniprésentes l’empêchent de créer. Sandoz aussi est un artiste raté dont le travail est avorté (« Et, depuis, il tâtonnait, il s’interrogeait dans le tourment des idées confuses encore qui battaient son crâne. » l 27, « il avait eu le projet (…) Mais il s’était refroidi »). Ces deux artistes sont en réalité des archétypes de l’artiste raté et improductif, car trop porté sur la réflexion. Le manque d’action dans le passage appuie cette ironie de l’auteur.
Conclusion
Ici, tu devras d’abord revenir sur les portraits des deux protagonistes, puis sur leurs monologues qui se répondent sans vraiment le faire et, enfin, insister sur le caractère métatextuel de ce passage qui présente avec ironie la figure archétypique du jeune artiste en mal de création.
Méthodologie du commentaire composé
Pour réussir ton commentaire composé au bac de français, il est essentiel de suivre une démarche claire et structurée. Voici les étapes indispensables pour analyser efficacement un texte littéraire.
- Lire le texte plusieurs fois pour en comprendre le sens global et repérer ses enjeux.
- Identifier sa nature : genre, registre, structure, voix, tonalités dominantes.
- Formuler une problématique qui englobe tout l’extrait et guide ton analyse.
- Construire un plan en deux ou trois axes, fondé sur des idées et non sur l’ordre des lignes.
- Analyser précisément les procédés (lexique, syntaxe, figures, effets) en les reliant toujours à ton interprétation.
- Intégrer des citations courtes, correctement introduites et commentées.
- Rédiger une conclusion brève qui récapitule les idées et ouvre, si possible, sur l’œuvre ou le mouvement littéraire.
Un bon commentaire est avant tout un texte organisé, fluide et démonstratif. Ta mission : expliquer comment le texte fonctionne et ce qu’il fait au lecteur.







