« L’École de la deuxième chance », en voilà un nom original. Plus que de simples écoles, le réseau E2C offre depuis 20 ans des chances de réussite professionnelle pour tous les jeunes âgés de 16 à 25 ans.
Au cours d’un entretien avec Hervé Coué, directeur des E2C93 (Écoles de la 2ᵉ Chance du département de Seine-Saint-Denis) et de plusieurs stagiaires en cours de formation, l’équipe AuFutur a eu la chance de découvrir le fonctionnement de ce réseau inspirant. Zoom sur cette école pas comme les autres.
L’École de la deuxième chance, qu’est-ce que c’est ?
Créé en 2004 à l’initiative d’Édith Cresson, première femme à être Première ministre en France sous le gouvernement de François Mitterrand, le réseau E2C aide les jeunes adultes éloignés de l’emploi à trouver leur voie professionnelle. Reconnu et consulté régulièrement par le gouvernement, il est un acteur incontournable de l’insertion sociale, citoyenne et professionnelle durable des jeunes NEET (ni en emploi, ni en études, ni en formation).
Le réseau E2C s’engage à proposer aux jeunes âgés de 16 à 25 ans un parcours triptyque axé sur :
- Le développement de compétences adaptées au projet professionnel ;
- L’acquisition d’expérience en entreprise ;
- L’accompagnement personnalisé.
Tu l’auras compris, l’École de la 2ᵉ Chance s’inscrit dans un modèle favorisant l’égalité d’accès à l’éducation et à l’emploi. C’est pourquoi l’école est gratuite et propose un suivi adapté aux besoins de chaque jeune. Sur le terrain, cela donne un accompagnement 360°, durant lequel le jeune bénéficie du statut de stagiaire. Autrement dit, il dispose d’une rémunération, d’une protection sociale et d’un suivi de 10 mois après passage dans l’E2C.
La durée d’une formation au sein du réseau E2C peut aller de 4 à 18 mois en fonction des besoins du jeune et de ses ambitions professionnelles. Même si en moyenne, le jeune reste environ 6 mois au sein de l’E2C. Le réseau E2C met fin au parcours d’apprentissage d’un jeune que lorsque le stagiaire est sûr d’avoir acquis l’ensemble des savoirs et les compétences nécessaires à la concrétisation durable de son insertion professionnelle. Donc, pas de panique, tu as du temps pour trouver ta voie.
Lire aussi : Ces métiers manuels pour t’orienter ou te réorienter
L’E2C, ça donne quoi en chiffres ?
L’E2C est un réseau important dans le monde de l’éducation. Depuis sa création, le réseau compte 159 sites-écoles dans 12 régions de France et a accueilli près de 152 250 stagiaires. Rien qu’en 2023, ce sont 16 876 stagiaires (augmentation de +12,5% par rapport à 2022) qui ont intégré des E2C. D’ailleurs, c’est le plus fort nombre de stagiaires entrants depuis 2012. Parmi eux, on pouvait compter 90% de jeunes qui n’avaient jamais eu d’expérience professionnelle, 31% étaient mineurs, 28% originaires de QPV (Quartiers Prioritaires de la Ville). Ces jeunes avaient en moyenne 19,5 ans et 1 an après être sortis de la formation, 70 % des stagiaires sont en situation d’emploi ou de formation. Preuve que le projet fonctionne (très) bien !
Maintenant que tu en connais un peu plus sur le réseau E2C et ses objectifs, on te laisse avec notre échange plus qu’enrichissant avec Hervé Coué et quelques stagiaires de l’E2C93 La Courneuve qui reviennent avec nous sur leur parcours.
Hervé Coué, ex-professeur de sport, prêt à relever le défi E2C93
Professeur de sport de formation, rien ne destinait Hervé Coué à devenir directeur de l’E2C93. Pourtant, c’est en juin 2015, à la suite d’un appel téléphonique avec un ex-collègue, qu’Hervé Coué se dit prêt à relever le défi E2C. La mission ? Assurer des jours heureux à un beau projet qui bat de l’aile.
Il intègre le réseau E2C en novembre 2015 et redore le blason de l’initiative. L’année prochaine, il fêtera ses 10 ans au sein de réseau E2C et est fier de voir que « dans cette école, il y a énormément de projets pédagogiques, citoyens, dans le développement durable, les gens ont envie de s’investir, de parler de l’école, etc. C’est ça qui m’anime. »
Après s’être présenté, Hervé Coué revient sur la formation en alternance proposée par l’E2C. Ici, c’est simple, le jeune alternera entre 3 semaines à l’école et 3 semaines en entreprise. On t’entend déjà penser trop fort « oui, c’est une école comme une autre. ». Erreur ! Écoute bien ce qui va suivre.
Lire aussi : Comment éviter le décrochage scolaire ?
Une formation à l’E2C selon trois piliers
Durant les 3 semaines à l’E2C, à compter de 35h/semaine. Le jeune suivra, en fonction de son profil, une formation sur trois piliers fondamentaux.
⅓ de théorie via la remise à niveau
Le stagiaire aura des ateliers de remise à niveau sur les savoirs de base (mathématiques, français, bureautique, communication orale et écrite, etc.) et/ou des ateliers plus spécifiques à ses projets professionnels.
Pour permettre aux jeunes de renouer tout en douceur avec l’école, Hervé Coué nous signale qu’au sein de l’E2C il existe une réelle envie de « rompre avec la terminologie de l’Éducation nationale », « Ici, on ne parle pas d’école, mais de centre de formation, on ne parle pas de cours, mais d’ateliers, on ne parle pas d’emploi du temps, mais de plannings et enfin on ne parle pas d’élèves, mais de stagiaires », le ton est donné.
⅓ d’orientation via l’élaboration d’un projet professionnel
L’E2C te guide pour trouver un métier qui t’anime et qui te correspond au travers de différents ateliers comme les job-datings, les coachings, etc. Des moments très appréciés des stagiaires. Et pas la peine d’avoir une idée exacte de ce que tu souhaites faire ! Si tu en as une tant mieux, l’E2C t’accompagne. Si tu n’en as pas, aucun souci, elle t’accompagne aussi à en trouver une.
⅓ de citoyenneté via l’engagement citoyen
L’E2C et Hervé Coué attestent que « pour s’insérer durablement dans la société, il faut qu’on ait des codes communs et des règles communes ». C’est pourquoi le réseau met un point d’honneur à faire des stagiaires des citoyens à part entière de la société française. Dans cette dynamique, chaque année, au moins 4 sorties citoyennes obligatoires sont organisées par l’E2C93 parmi :
- La visite de l’Assemblée générale ;
- La visite de la Basilique de Saint-Denis ;
- La visite de l’IMA (Institut du Monde Arabe) ;
- La visite du Panthéon ;
- La visite du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme ;
- La visite du palais de justice ;
- La visite de camps des mines, etc.
Tout ceci administré par un conférencier qui a su adapter son discours et ses éléments de langage auprès des jeunes pour rendre ses visites attractives et dynamiques. Par la suite, les jeunes stagiaires interagissent autour de ses visites lors de temps philosophiques. Le but de ces temps citoyens ? Mettre en avant l’inclusion, l’acceptation de l’autre et le savoir commun.
Un apprentissage en entreprise par la pratique
Durant 21 semaines (7 fois 3 semaines au cours de la formation), les jeunes réalisent des stages en entreprise leur permettant de « développer des compétences professionnelles non négligeables ». Ce sont des stages non rémunérés, mais les stagiaires perçoivent tout de même une indemnité d’environ 500€/mois pour les majeurs et 211€/mois pour les mineurs en franchissant le pas de l’E2C, ce qui motive tout de même.
Néanmoins, comme le souligne très bien Hervé Coué, « qui dit rémunération, dit obligation ». C’est pourquoi le stagiaire s’engage à suivre durant toute la durée de la formation à la fois les semaines à l’E2C comme les semaines en entreprise. D’ailleurs, Hervé stipule que 8 400 entreprises collaborent avec l’E2C aujourd’hui, ce qui laisse aux jeunes la chance de pouvoir découvrir divers corps de métiers et secteurs professionnels. Il affirme que ces collaborations perdurent, car les entreprises apprécient le savoir-être (ponctualité, politesse, adaptabilité, etc.) des stagiaires de l’E2C.
Une mobilité à l’international, c’est possible avec l’E2C !
Au moment de conclure notre entretien avec Hervé, Cheikh, formateur à l’E2C93 souhaite revenir sur l’internationalisation de la formation. Effectivement, grâce à leur collaboration avec le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et l’association IERF, l’E2C peut désormais proposer à leurs stagiaires des stages à l’international d’une durée de 1 à 4 semaines pour découvrir à la fois le monde qui les entoure et le monde de l’entreprise à l’étranger. Depuis la mise en place de ces mobilités à l’international, des stages se sont déjà déroulés en Irlande, en Allemagne et en Belgique. Une belle opportunité pour les stagiaires !
Lire aussi : Qu’est-ce que le stage alterné ?
Et les stagiaires, ils en pensent quoi de l’E2C ?
Durant cet après-midi à l’EDC93 de La Courneuve, la rédaction AuFutur a pu partir à la rencontre de 3 stagiaires ayant fait confiance à l’E2C93 pour les aider à reprendre la voie de l’emploi. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas déçus.
Selma, 20 ans, nous confie avoir été hésitante avant de commencer la formation avec l’E2C. Elle appréhendait de revenir sur les bancs de l’école, sans que cela aboutisse. Finalement, après avoir réalisé des stages dans deux domaines qui lui plaisent : le marketing digital et l’architecture d’intérieur. C’est en août prochain qu’elle entame une formation en modélisation 3D.
Une formation dont elle est ravie puisque le modélisateur 3D « c’est la personne qui aide l’architecte pour tout ce qui est plan en 3D ». Elle confie également avoir particulièrement apprécié ses stages dans le marketing digital dans un centre de formation à Bruxelles et chez Axa. Elle affirme que l’E2C lui a permis de reprendre confiance en elle et en ses capacités.
Pour Selma, l’E2C est une chance puisqu’elle permet de « découvrir le monde professionnel même sans diplôme ». Elle illustre son propos en se prenant comme exemple : « Je ne m’imaginais pas faire de stages à l’étranger ou dans de grosses entreprises comme Axa. » De quoi redonner confiance !
Alex Ambroise, 17 ans, lui, a rejoint l’E2C en septembre avec une idée en tête, devenir documentaliste ou historien, car il adore lire et l’histoire. Après un bac pro logistique qui lui a déplu, il a franchi la porte de l’E2C93 à la « recherche de savoir ». Il affirme que l’E2C lui a permis de nourrir son savoir et surtout de trouver sa voie.
Effectivement, c’est après deux stages chez SNCF Réseau qu’il découvre le monde des archives, monde pour lequel il se prend de passion. À la rentrée, il reprendra ses études pour obtenir le niveau bac et suivre une formation pour devenir assistant-archiviste.
Amina, 21 ans, s’est arrêtée au niveau bac sans passer les épreuves. Un peu perdue, elle reçoit un e-mail de France Travail évoquant l’E2C. En s’informant un peu, elle décide de rejoindre l’école avec deux idées en tête : la petite enfance et la douane.
Après deux stages en petite enfance, elle se rend finalement compte que c’est le secteur de la santé qui lui plaît. Elle souhaite désormais devenir infirmière. L’E2C l’accompagne alors dans ce nouveau projet. Elle devrait rejoindre dès la rentrée prochaine une formation pour devenir infirmière. Elle se dit ravie d’avoir enfin trouvé sa voie, une voie qui l’anime et qui lui correspond.
Les trois sont unanimes : l’E2C leur a permis de gagner en confiance. Notamment grâce aux coachings, aux job datings, aux soutiens des formateurs et aux encouragements des professionnels. Ils se sont sentis écoutés, épaulés et entendus. Ce qui les a mis en confiance pour s’épanouir à l’école et lors des stages alternés.
À la fin de l’entretien, trois petites questions nous viennent en tête. Nous les avons alors posées à Hervé Coué.
Quels sont les 3 mots qui définiraient selon vous l’E2C ?
Le RER (rires). Rigueur, engagement et régularité.
Quelle est la plus grande satisfaction de l’E2C ?
Les jeunes.
Vous venez de fêter le 20 juin dernier les 20 ans de l’E2C, où voyez-vous le réseau dans les 20 prochaines années ?
Dans l’idéal, j’aimerais qu’on existe plus, même si on est très utile. Si on est là, c’est qu’il y a des choses qui se sont mal passées avant… Malheureusement, si ce n’est pas le cas, on sera toujours là.
Le message d’espoir et d’engagement de l’E2C est bien passé et c’est sans doute ce qu’on retiendra de cet entretien chaleureux avec l’E2C93. Une équipe unie et déterminée à construire un monde plus juste et à donner une nouvelle chance à des jeunes qui n’ont pas démarré leur vie sur le même pied d’égalité.
Lire aussi : Que font les écoles de commerce pour l’égalité des chances ?