Les penseurs et philosophes se sont longtemps interrogés sur la mort, car la mort, notre mort ou celle de ceux qui nous sont proches, est irréductible et surtout irréductiblement horrible. Dans cet article, nous faisons le point avec toi sur les différentes conceptions de la mort qui ont existé au fil des siècles chez les philosophes, de quoi te donner quelques références pertinentes pour tes dissertations de philosophie et tes devoirs de HLP (humanités, littérature et philosophie).
Nous nous interrogerons sur les questions suivantes : quelles sont les différentes conceptions de la mort ? comment l’affronter ? comment se positionnent les différents courants philosophiques face à la mort ?
Le monde grec antique est remarquable pour la longévité de ses habitants pour l’époque. Pour autant, les Grecs ont une conscience particulièrement aiguë de leur finitude. C’est pourquoi la philosophie grecque est avant tout une sagesse. La mort étant plus présente à leur esprit que pour n’importe quel autre peuple, les Grecs n’ont eu de cesse de se demander : comment vivre ? comment aborder la vie sereinement alors que l’on va mourir ? comment être heureux malgré la finitude ? et, plus profondément, qu’est-ce que la mort révèle de la nature de l’Homme ?
Les conceptions philosophiques sur la vie après la mort
La mort : un passage ou un terme ?
Une des grandes questions philosophiques qui anime les débats sur l’Agora est de savoir si la vie s’arrête avec la mort ou si la mort n’est qu’un passage vers une autre vie. Cette question est largement développée dans Le Phédon, dialogue qui met en scène Socrate dans sa cellule de prison avec ses disciples, à la veille de sa mort. Socrate a été accusé de pervertir la jeunesse et d’introduire de nouveaux dieux dans la cité, il s’est défendu, a été condamné à boire la cigue (cf. L’apologie de Socrate) et alors que ses disciples lui proposent d’organiser son évasion, il refuse. Face à leur incompréhension, Socrate explique ce que représente la mort pour lui et pourquoi il ne faut pas la craindre.
D’emblée, le dialogue pose la question de la définition de la mort : soit il s’agit d’un simple passage vers une autre vie, soit il s’agit d’un terme. La réponse à cette question dépend en fait de la nature de l’âme : soit l’âme est mortelle et la mort n’est que le moment où elle se dissout ” comme du vent “, soit l’âme est immortelle et la mort représente alors le passage de celle-là vers le monde des essences/ idées.
Socrate et ses compagnons débattent pendant longtemps, car Socrate ne parvient pas à les persuader de l’immortalité de l’âme. Après plusieurs arguments logiques (la réminiscence, les contraires, la participation de l’âme aux idées…) Socrate refuse de céder à la misologie et prolonge la réflexion par un mythe de l’Enfer d’Hadès auquel adhèrent ses compagnons. Ce faisant, il nous montre que quand bien même les Grecs ne peuvent arriver à une conclusion objectivement établie, il nous montre que la nature de la mort comme un simple passage vers l’au-delà est une croyance partagée quoiqu’on ne puisse le démontrer par la philosophie.
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Les représentations mythologiques de la mort
La mythologie, véhiculée principalement par la tradition orale (la récitation fréquente des chants d’Homère) ou par les tragédies classiques représentées au cœur de la cité, façonne donc beaucoup l’imaginaire grec. La mort est l’occasion de fournir des références mythologiques communes et à ce titre de fédérer les Grecs à la fois en tant que citoyens grecs appartenant à la même culture et en tant qu’hommes mortels.
L’autre monde s’appelle les Enfers, mais ne revêt pas autant la connotation morale qu’a pu lui donner le christianisme. Il s’agit du royaume d’Hadès, traditionnellement situé sous la terre, dans lequel toutes les âmes vont avant d’être jugées par Eaque, Rhadamante et Minos. Ce royaume est gardé par Cerbère, le chien à trois têtes, qui empêche les morts de s’échapper et qui interdit aux vivants d’accéder aux morts pour venir les récupérer. Pour y arriver, le mort doit traverser un fleuve, le Styx, qui lui permet d’oublier sa vie sur terre. Charon est un nocher qui fait traverser l’âme des morts en échange d’une obole.
Au sein des Enfers, il existe plusieurs lieux différents dans lesquels les morts peuvent aller en fonction de leur vie sur terre :
- Les Champs-Elysées sont réservés aux personnes vertueuses et aux héros et on y jouit d’une certaine abondance et d’un grand bonheur ;
- Le pré d’Asphodèle est l’endroit où errent les âmes sans substances des personnes normales ;
- Le Tartare en revanche accueille des criminels qui y reçoivent leur châtiment. De multiples représentations du Tartare existent, mais toutes ont en commun d’y représenter la douleur de la persécution post-mortem.
De nombreuses créatures mythologiques sont affiliées de près ou de loin à la mort. Parmi les plus importantes, on retrouve :
- Les Érinyes (ou furies chez les Romains) sont les divinités qui persécutent les morts une fois aux enfers. On y trouve une belle représentation dans Les Euménides d’Eschyle qui met en scène Oreste, persécuté par les Érinyes pour le meurtre de sa mère et de son beau-père ;
- Thanatos et Hypnos sont frères jumeaux et sont respectivement les divinités de la mort et du sommeil. C’est en raison de leur gémellité que le sommeil a longtemps évoqué la présence de la mort.
Sagesse et philosophie de vie
“Philosopher c’est apprendre à mourir”
Le Phédon est à l’image de toute la philosophie grecque : une conception de la vie et de la mort qui s’incarne dans la pratique. La philosophie grecque n’est pas purement théorique et sur la question de la mort plus que sur aucune autre, elle détermine la manière dont on doit agir. Comme nous l’avons vu, le contexte du Phédon est métaphysiquement pesant puisque Socrate et ses disciples savent qu’il va mourir. Si la théorie de la mort de Platon est exposée dans ce contexte, c’est bien que philosopher n’est pas une occupation oisive pour les aristocrates, mais que la philosophie permet d’aborder la vie et la mort de manière plus apaisée.
Pour les Grecs, la meilleure façon d’aborder la mort sereinement est donc de pratiquer la philosophie. En effet, le philosophe se détourne des plaisirs du corps afin que son âme puisse rechercher les idées, c’est-à-dire l’essence des choses : l’idée du beau, l’idée de la justice… Toute sa vie durant le philosophe pratique cette séparation de l’âme et du corps ; c’est une longue préparation à la séparation finale du corps et de l’âme qu’est la mort. La mort constitue donc davantage une libération de l’âme qui peut contempler l’essence des choses, invisible pour les yeux.
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Le stoïcisme sur la mort : ” le jugement que la mort est redoutable, c’est là ce qui est redoutable “
Pour les stoïciens et notamment Epictète, seuls valent les jugements que l’on se fait sur les choses. Mais, en soi, les événements ne sont a priori ni bons ni mauvais. Ce qui les rend tels, ce sont nos jugements. La philosophie stoïcienne invite à se départir des jugements que l’on peut avoir sur ces événements contingents que l’on ne maîtrise pas, pour la bonne raison… qu’on ne les maîtrise pas.
Sénèque sur la mort : ” ou elle n’arrive point, ou c’est un éclair qui passe “
Encore une fois la sagesse antique nous indique que la mort n’est pas à craindre. Dans ses Lettres à Lucilius, Sénèque l’explique : la mort n’est pas présente en nous avant que nous mourions et quand on meurt on ne la sent pas puisque précisément, on meurt. Sa sagesse invite son jeune correspondant à se tourner uniquement vers le moment présent et donc à ne pas craindre la mort qui n’est pas encore.
La mort dans la cité
La Grèce antique fonctionne selon le modèle de la tradition orale et oraculaire : il y a très peu de textes sacrés qui explicitent les conceptions des Grecs vis-à-vis de la mort. C’est pourquoi l’archéologie (et les quelques références littéraires) sont une de nos sources les plus précieuses pour connaître la pratique des Grecs lorsqu’ils fréquentent la mort et donc pour en déduire les conceptions sous-jacentes.
Le monde des morts suscite chez les Grecs un mixte de fantasme, de peur et de respect. Pour le comprendre, il est intéressant de voir quelle relation les Grecs vivants entretiennent avec les morts.
Lorsqu’un Grec meurt, une série de rites est à observer avec la plus grande piété :
- Le premier rite effectué auprès d’un cadavre est la toilette funéraire. C’est un devoir exclusivement familial qui consiste à rendre au mort sa dignité. Cette toilette s’accompagne de la déploration: les femmes de la maison crient, pleurent, se griffent, s’arrachent les cheveux jusqu’à faire le sacrifice de leur chevelure. Ces gestes dramatiques ont une valeur liturgique.
- Ensuite, le cortège funéraire se forme. Ce moment consiste à déplacer sur un char ou à bout de bras le lit du cadavre à l’endroit de l’inhumation ou de l’enterrement. Ce rite a une valeur beaucoup plus politique : il s’agit de montrer à toute la cité que quelqu’un est mort, quels sont les héritiers et qui est le nouveau chef de l’oïkos.
- Enfin, il y a l’inhumation ou la crémation, les deux étant pratiquées en Grèce antique. La sépulture a une valeur beaucoup plus symbolique, car c’est elle qui permet le passage de l’âme dans l’au-delà. Le mort est enterré avec ses effets personnels, qui symbolisent son appartenance à une classe sociale (ex : des armes pour les aristocrates), des oboles afin de payer le passeur du Styx, fleuve de l’oubli qui désigne la frontière entre le monde des vivants et des morts. Un sacrifice est également fait sur la tombe : on l’arrose de sang de bête sacrifiée ou on verse des libations.
La stricte observance de ces rites met en lumière chez les Grecs un respect inconditionnel du monde des morts, teinté de frayeur. La manière dont sont commémorées les morts le souligne également.
Des jours bien précis sont consacrés à la commémoration des morts car on sent une forme de présence des morts dans la cité. Les commémorations sont communes à toute la cité et on recouvre généralement de poids les portes des maisons afin que les morts ne puissent pas y entrer. Le monde des morts effraie, d’où la piété avec laquelle les Grecs abordent les nécropoles et tombeaux. Il s’agit d’entretenir le souvenir des morts et c’est pourquoi à Athènes, une fête civique annuelle rend hommage à tous les combattants morts et que de manière plus générale, on dépose sur les tombes des asphodèles qui sont les fleurs du souvenir entretenu.
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