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AgroParisTech : quand les étudiants appellent à déserter

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En avril 2022, au cours de la cérémonie de remise des diplômes de la prestigieuse AgroParisTech, des étudiants tout juste diplômés ont invité leurs camarades à « déserter » (ou encore « bifurquer »). En d’autres termes, leur message soulignait la nécessité de s’éloigner des métiers et carrières traditionnellement embrassés à la sortie de cette grande école d’ingénieurs parmi les mieux classées de France. La raison ? Ces diplômés, dont le discours a fait grand bruit, les jugent « destructeurs ». Retour sur des mots qui traduisent autant une envie d’engagement qu’un profond malaise face aux réalités du monde du travail actuel.

Alors que les débats sur l’écologie font rage sur la scène politico-médiatique française, des jeunes diplômés d’AgroParisTech ont saisi l’opportunité de faire entendre leur voix. Lors de la remise des diplômes, le 30 avril dernier, plusieurs d’entre eux ont pris la parole pour commenter leur fin de cursus de manière inattendue. « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours, ont-ils déclaré à la tribune. Nous ne nous considérons pas comme les talents d’une planète soutenable ».

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Quand déserter devient un besoin

Baptisés « les ingénieurs qui bifurquent », ce collectif de huit diplômés d’AgroParisTech, fleuron de l’enseignement supérieur français, a créé la surprise générale le 30 avril dernier. Alors que tous se réunissaient pour célébrer l’obtention de leur diplôme tant attendu, plusieurs étudiants n’étaient pas à la fête. Pendant plus de 7 minutes, ces ingénieurs en herbe ont, à tour de rôle, dénoncé les « ravages sociaux et écologiques » des débouchés d’une telle formation, épinglant les « jobs destructeurs » pour lesquels ils sont formés.

Ces « déserteurs » ont pointé du doigt « la guerre au vivant et à la paysannerie », indiquant préférer embrasser des carrières en apiculture ou encore en agriculture vivrière, bien plus respectueuses de l’environnement.

Si cet appel n’est pas passé inaperçu du côté du grand public, il ne s’agit pas du premier en date. En 2018 déjà, Clément Choisne, ancien étudiant à Centrale, manifestait son envie de changer en profondeur. « Une énergie, aussi renouvelable qu’elle vous soit présentée, ne le sera plus si elle doit compenser l’intégralité des besoins qui reposent aujourd’hui sur les énergies fossiles. Il faut avant toute chose penser à la réduction drastique de notre demande énergétique (sobriété énergétique) et je n’ai que trop peu entendu ce message dans le cadre de ma formation », affirmait alors le jeune homme.

Par ailleurs, plus récemment, Anne-Fleur Goll, étudiante à HEC Paris, a elle aussi tenu un discours poignant lors de sa remise de diplôme. Si la jeune femme apparaissait plus modérée que ses camarades ingénieurs, elle n’en demeure pas moins engagée. « Nous avons, dans ces décennies de vie professionnelle, l’opportunité de marquer l’histoire […] HEC nous ouvre beaucoup de portes. C’est maintenant notre responsabilité d’utiliser ces portes ouvertes pour changer les règles », expliquait-elle.

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Le bien-être au travail, une priorité pour les jeunes

Parmi les étudiants d’AgroParisTech, Lola Keraron, figure de proue du collectif « les ingénieurs qui bifurquent », déclarait : « Nous avons décidé de chercher d’autres voies, de refuser de servir ce système et de construire nos propres chemins ». « De quelle vie voulons-nous ?, renchérit un autre. Un patron cynique, un salaire qui permet de prendre l’avion, un emprunt sur 30 ans pour un pavillon, tout juste cinq semaines par an pour souffler dans un gîte insolite, un SUV électrique, un fairphone et une carte de fidélité à la Biocoop? Et puis… un burn-out à quarante ans ? »

Selon une étude réalisée par BVA Opinion, plus de 40% des jeunes placent le bien-être au travail comme critère premier dans leurs recherches. Ce baromètre interrogeait 1 102 jeunes, de 18 à 24 ans, avec des niveaux d’études très divers (avec ou sans bac et jusqu’à bac+5). La quasi-totalité des personnes interrogées estiment que le bien-être des salariés devrait être un passage obligé pour les entreprises. 85% des jeunes pensent même que c’est impératif pour être plus performant.

Ainsi, le salaire ne semblerait plus être le premier critère de décision des étudiants, futurs professionnels, le bien-être prenant une place de plus en plus importante.

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Un discours « fataliste », « agressif » et « injuste »

Interrogé au sujet de la « désertion » de ses étudiants, Laurent Buisson, directeur de l’école AgroParisTech, juge le discours des « ingénieurs qui bifurquent » trop radical. « Ce qui m’a surpris, c’est le côté excessif et radical du discours. Je crains que durant la formation qu’ils ont suivie, ils aient davantage retenu la partie purement analytique du métier d’ingénieur que sa dimension relevant de la conception, de la co-construction et de l’imagination de solutions. Le fait que cette promotion ait connu le confinement n’a sans doute pas aidé à s’approprier cette dimension. Par conséquent, cela donne un discours un peu fataliste, qui apparaît vite agressif et qui est également injuste », confie Laurent Buisson aux Échos Start.

Si ce discours en effraie certains, une chose est sûre, il s’agit là d’un appel bien plus puissant qu’il n’y paraît. Avec une prise de parole de la sorte, les diplômés 2022 d’AgroParisTech redistribuent les cartes du monde de demain. Les étudiants ne sont plus à la recherche des plus gros salaires, mais d’un mode de vie bien plus éthique. Grande École ou non, il semblerait que les valeurs aient changées, et les mentalités avec. Cependant, la désertion est-elle l’unique moyen d’accéder à une vie durable ? Ne faut-il pas « être dans l’avion » pour mieux pouvoir le détourner ?

Le discours des « ingénieurs qui bifurquent », applaudi par l’Assemblée nationale, a été vu plus de 900 000 fois sur YouTube. Un chiffre qui parle sans doute de lui-même…

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