Sur un marché, dans la rue, ou même en ligne : beaucoup d’activités économiques se font sans contrat, sans facture, sans enregistrement officiel. C’est ce qu’on appelle l’économie informelle. Loin d’être marginale, elle représente une part énorme de l’emploi, surtout dans les pays en développement.
Souvent considérée comme un « mal nécessaire », l’économie informelle permet à des millions de personnes de survivre. Mais elle échappe à toute régulation, ce qui pose de nombreuses questions économiques et sociales.
Alors, comment comprendre le phénomène d’économie informelle ? Est-il bénéfique parce qu’il crée de l’activité, ou problématique parce qu’il échappe à la loi ? Et surtout : quelles conséquences cela implique-t-il pour l’État et la société dans son ensemble ?
Pour y voir plus clair, on va d’abord cerner ce qu’est réellement l’économie informelle, avant d’analyser ses effets, positifs comme négatifs.
Comprendre l’économie informelle : ampleur et acteurs
L’économie informelle regroupe toutes les activités économiques non déclarées ou non régulées par l’État. Cela inclut les travailleurs non déclarés, les commerçants sans licence, ou les artisans qui n’émettent pas de facture. Attention : il ne s’agit pas d’activités illégales en soi (comme la contrebande), mais d’activités non comptabilisées officiellement.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), en 2018, 60 % de la population active mondiale travaille dans l’informel, dont 90 % en Afrique subsaharienne et plus de 70 % en Asie du Sud.
Les secteurs les plus concernés : le petit commerce, l’artisanat, les services à la personne, l’agriculture vivrière, le transport urbain, et de plus en plus, certaines plateformes numériques.
Ce sont souvent des populations vulnérables qui y ont recours : personnes sans diplôme, femmes, migrants, jeunes sans emploi, ruraux… Ils entrent dans l’informalité parce que le secteur formel est inaccessible : formalités trop complexes, coût élevé des cotisations, absence de soutien à l’entrepreneuriat.
En résumé : l’informalité est massive, diverse, et touche surtout ceux qu’aucun autre système n’intègre.
Les effets positifs de l’économie informelle
Même si elle échappe aux règles classiques, l’économie informelle joue souvent un rôle social majeur, surtout dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Pour beaucoup, elle représente le seul accès possible à l’activité économique.
En permettant à des personnes peu qualifiées ou marginalisées de travailler sans diplôme, sans réseau, ni capital, l’informel agit comme un filet de sécurité. Il permet de générer un revenu, même modeste, et d’éviter le chômage total. Dans certaines régions, il absorbe une grande partie de la population active : en Afrique, près de 85,8 % de l’emploi est informel.
L’économie informelle alimente aussi des formes de micro-entrepreneuriat local, souvent féminisé (vente de rue, artisanat, cuisine, couture…). Ces petites activités assurent la survie quotidienne, dynamisent les marchés de proximité, et assurent des services là où l’offre publique est absente (transport, nettoyage, garde d’enfants…).
Enfin, elle permet une forme de résilience économique : en période de crise (sanitaire, politique, inflation), le secteur informel continue souvent de tourner, car il s’adapte vite et repose sur des réseaux locaux.
Le coût pour l’État et les limites sociales
Mais cette souplesse a un prix. Car si l’économie informelle permet de travailler, elle ne protège pas.
Pour l’État, les pertes sont colossales : les travailleurs informels ne paient pas d’impôts sur le revenu, n’alimentent pas la Sécurité sociale, et n’ont souvent aucune déclaration d’activité. Résultat : un manque à gagner énorme en termes de financement public. Selon une étude de la Commission européenne, l’économie informelle représente environ 14 % du PIB en France et jusqu’à 20 % dans certains pays de l’Union (Source : CE, 2020).
Pour les travailleurs eux-mêmes, la situation est fragile. Pas de retraite, pas d’assurance santé, pas de droit du travail… En cas d’accident ou de baisse d’activité, aucune protection. Cela pousse à la précarité, et parfois à des cercles de pauvreté durables. De plus, les enfants de travailleurs informels sont souvent déscolarisés pour aider, ce qui entretient les inégalités de génération en génération.
Autre effet pervers : la concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises formelles, qui, elles, payent leurs charges. Résultat : le secteur officiel peut perdre en compétitivité, ce qui fragilise l’économie globale.
Les politiques pour réguler l’économie informelle sans la tuer
L’économie informelle pose un paradoxe : trop réprimer, c’est priver des millions de personnes de leur seul moyen de subsistance. Mais ne rien faire, c’est laisser s’installer un système injuste et inefficace à long terme. Il faut donc chercher un équilibre.
Certaines politiques publiques visent une formalisation progressive. Cela passe par la simplification administrative : réduire les démarches pour créer une microentreprise, alléger les charges sociales, offrir des statuts hybrides. En France, le régime de micro-entrepreneur a permis à de nombreux travailleurs informels de régulariser leur activité en toute simplicité.
D’autres mesures consistent à étendre la protection sociale, même aux non-salariés. Des pays comme le Brésil ou le Mexique ont mis en place des programmes de couverture santé universelle pour les travailleurs du secteur informel, souvent via des caisses communautaires ou des systèmes incitatifs.
La microfinance, les formations à la gestion, ou encore les outils de paiement numérique (comme M-Pesa au Kenya) peuvent aussi favoriser la transition vers des modèles plus stables, tout en respectant les réalités locales.
L’enjeu est donc de reconnaître l’utilité sociale de l’informel, tout en créant un chemin vers plus de sécurité et de légalité.
À retenir sur l’économie informelle
L’économie informelle est souvent vue comme un problème, mais elle est aussi une réponse à l’exclusion économique. Elle montre les limites des systèmes trop rigides, trop lents ou inaccessibles. Mais elle révèle aussi de graves lacunes sociales : absence de protection, inégalités, pertes fiscales.
L’État a donc un défi : ne pas supprimer cette économie, mais l’accompagner vers la régularisation, en protégeant sans punir, et en incluant sans étouffer.
Dans un monde où le travail se transforme vite, avec l’essor des plateformes, de l’auto-entrepreneuriat ou des métiers numériques, la frontière entre formel et informel devient floue. Peut-être faut-il repenser non pas seulement l’économie informelle… mais la façon même dont on définit aujourd’hui le travail.
FAQ : tout savoir sur l’économie informelle
Qu’est-ce que l’économie informelle ?
C’est l’ensemble des activités économiques non déclarées ou non régulées par l’État : petits commerces sans licence, travail non déclaré, services de rue… Elles ne sont pas forcément illégales, mais elles échappent aux statistiques et aux cotisations sociales.
Qui travaille le plus dans l’informel ?
Ce sont souvent les personnes vulnérables : travailleurs sans diplôme, migrants, femmes, jeunes sans emploi, habitants de zones rurales. Dans les pays en développement, il peut concerner plus de 70 à 90 % de l’emploi.
Quels sont les avantages de l’économie informelle ?
Elle offre un revenu à ceux qui n’ont pas accès à l’emploi formel, favorise le micro-entrepreneuriat et soutient l’économie locale. Elle sert souvent de filet de sécurité en période de crise.
Quels sont ses inconvénients pour les travailleurs et l’État ?
Les travailleurs informels n’ont aucune protection sociale (retraite, assurance, droit du travail). L’État perd des recettes fiscales importantes, et les entreprises formelles subissent une concurrence déloyale.
Comment réguler l’économie informelle sans la supprimer ?
Les États peuvent simplifier la création d’entreprise (statut micro-entrepreneur), élargir la protection sociale, soutenir la microfinance et la formation. L’objectif : aider les travailleurs informels à se formaliser progressivement sans les pénaliser brutalement.







