Mondialisation, inégalités, intégration

HGGSP : les modulations de la redistribution de richesses

À lire dans cet article :

Depuis 1945 avec la mise en place des institutions multilatérales toujours en vigueur aujourd’hui (Organisation des Nations Unies, Fonds Monétaire International, Banque Mondiale, GATT puis Organisation Mondiale du Commerce, construction européenne à partir de 1950…), la plupart des pays du monde ont pris part à la mondialisation, ce processus historique, pluriséculaire, de mise en relation des sociétés du monde entier, devenu un lieu commun à toute l’humanité. À partir des années 1990, on distingue une nouvelle phase de la mondialisation, accélérée par l’essor du secteur financier et des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui permettent aux capitaux et aux informations de parcourir le monde. Mais cette intégration à la mondialisation bouleverse l’organisation des pays, avec des acteurs et des territoires vus comme « gagnants » et d’autres « perdants » de la mondialisation, accentuant les inégalités. Dès lors, pourquoi les pays s’intègrent-ils à la mondialisation ? Les gains de richesse valent-ils le coût social ? La réponse à cette question se fait en deux articles complémentaires : le premier article traite de l’enrichissement du monde depuis les années 1990 à l’échelle globale, et le second ci-dessous aborde les modulations de la redistribution de richesses, et notamment l’accroissement des inégalités internes aux pays.

Les échelles de l’inégalité

Les inégalités entre pays diminuent (bien que les écarts de PIB augmentent)

Il est important de noter que la mondialisation contemporaine (ou « seconde » mondialisation, depuis 1990) a débuté au maximum des inégalités de richesse entre continents. Après une progression séculaire, le PIB par habitant (PIB/hab) de l’Europe et de l’Amérique est passé de 225% à 250% de la moyenne mondiale entre 1970 et 1990 (ce qui signifie qu’en moyenne, les habitants d’Europe et d’Amérique sont 2,5 fois plus riches qu’un habitant « moyen » du monde). Puis l’Europe et l’Amérique sont redescendus à 225% de la moyenne mondiale en 2012, alors que l’Afrique et l’Asie sont passées de 50% à 61%, selon une progression qui continue. Ainsi, la mondialisation offre une opportunité de réduction des inégalités entre pays. C’est d’autant plus le cas aujourd’hui pour les pays les moins avancés (PMA) qui connaissent une forte croissance (en plus de l’essor des pays émergents, moins pauvres) : la constitution d’une classe moyenne en Afrique noire est une tendance lourde (même si la pauvreté y augmente toujours en chiffres absolus).

Cependant, F.Bourguignon rappelle que s’il a diminué, l’écart entre les 20 pays les plus riches et les 20 pays les plus pauvres reste très important, avec un rapport d’1 à 60 (60 fois plus riches en moyenne).

Les inégalités internes aux pays

Les inégalités internes aux pays sont souvent mesurées par l’indice de Gini de chaque pays et par l’écart de richesse entre les déciles extrêmes de la population. En France, l’indice de Gini est de 0,28 et les 10% les plus riches sont en moyenne six fois plus riches que les 10% les plus pauvres. Pour les USA (pays le plus inégalitaire de l’OCDE), l’indice de Gini est à 0,41 et l’écart interdécile de 1 à 15. Le Brésil, pays très inégalitaire, a un coefficient de Gini de 0,58 et un écart interdécile de 1 à 40. C’est à ce niveau, interne, que pèsent les dynamiques inégalitaires de la mondialisation, qui entraîne une augmentation des inégalités internes depuis les années 1980 après une stagnation (les inégalités ayant été limitées par l’État providence dans les pays développés à économie de marché, par le communisme dans le bloc soviétique). La mondialisation entraîne un processus d’intériorisation des inégalités. Pour Thomas Piketty et Emmanuel Saez, les USA sont emblématiques de cette intériorisation des inégalités : en 1980 le salaire d’un président-directeur général (PDG) était en moyenne 40 fois le salaire moyen de son entreprise, contre 411 fois aujourd’hui. Sur le total de l’augmentation des revenus entre 1979 et 2006 aux USA, les 2/3 ont été captés par les 10% les plus riches, et c’est encore pire après la crise de 2008, 95% de la richesse supplémentaire a été captée par les 1% les plus riches, alors que 90% de la population s’est appauvrie (bien que les USA se soient en moyenne enrichis donc).  Même dans les pays scandinaves, traditionnellement plus égalitaires, les 1% les plus riches représentaient 8% des revenus en 1980, contre 20% aujourd’hui. En revanche, en France, aux Pays-Bas ou en Espagne, la part du revenu national des 1% les plus riches est restée stable à 8,5% (par le maintien d’une politique redistributive qui passe par l’impôt et la redistribution par l’État notamment).

Les inégalités intergénérationnelles

Les jeunes sont de plus en plus victimes de ces inégalités : après la crise de 2008, le chômage des jeunes a atteint 18% en France, 20% au Royaume-Uni, 50% en Espagne et en Grèce, 28% au Moyen-Orient et 24% en Afrique noire en moyenne (contre « seulement » 10% en Asie de l’Est et 9% en Asie du Sud). Ces inégalités intergénérationnelles amplifient des segmentations sociales existantes : 7% des enfants sont en écoles privées au Royaume-Uni, alors que ces écoles forment la moitié des dirigeants politiques, des grandes entreprises et des médecins. Et cette exclusion des jeunes passe par des tendances issues de la mondialisation : hausse des prix de l’immobilier due à un alignement mondial, moindre rémunération des emplois peu qualifiés par la mise en concurrence et les possibilités de délocalisations.

Lire aussi : HGGSP : le rôle de l’ONU

Les moteurs des inégalités

Les facteurs de création d’inégalités

Partout les revenus du capital[1] s’accroissent plus rapidement que ceux du travail (salaire) : la diffusion de la richesse (revenus du capital plus revenus du travail) par la mondialisation est donc aussi un facteur d’aggravation des inégalités. Et ce d’autant plus que les plus hautes rémunérations (qui concernent ceux qui possèdent déjà la grande majorité du capital) s’alignent à la hausse alors que la demande en main-d’œuvre peu qualifiée dans les pays riches entraîne une baisse de leur rémunération relative. Autrement dit, une classe supérieure de revenus internationalisés se développe (par exemple, le nombre de milliardaires dans le monde était de 1645 en 2014, suivant une augmentation de 15% par an, avec une croissance dans les pays du sud). D’où le fait que 26 personnes soient aussi riches que la moitié de la population mondiale, soit quatre milliards de personnes…

Les politiques de réduction des inégalités

Face à la crise de 2008, des pays comme la France ont maintenu des politiques redistributives coûteuses, en amont par l’impôt, et en aval par les services sociaux permis par ces impôts. Cela a permis de limiter le creusement des inégalités dans ces pays. À l’inverse, l’Allemagne s’en est bien mieux sortie sur le plan macroéconomique (diminution plus rapide du chômage notamment), mais en contrepartie, la précarité a augmenté (les emplois remplaçant le chômage étant souvent des emplois précaires, peu rémunérés et non stables, d’où l’apparition d’une nouvelle classe : les travailleurs pauvres). Ainsi, si le taux de pauvreté (personnes au revenu inférieur à 60% du revenu médian du pays, à distinguer du seuil de pauvreté absolu utilisé à l’échelle mondiale) a été maintenu à 14% en France (ce qui est très élevé), il est passé de 8% à 16% en Allemagne : il y a plus de pauvres en Allemagne aujourd’hui qu’en 1985 (bien que la plupart restent dans une situation de pauvreté moins de trois ans aujourd’hui).

Dans les pays émergents que sont la Chine et l’Inde notamment, la pauvreté a été réduite par une croissance forte de long terme. Mais ces pays n’ont pas profité de cette forte croissance durable pour mettre en place une politique redistributive (impôts et aides sociales, par un État providence), l’impôt restant alors toujours peu performant. Et une redistribution mal appliquée favorise les tensions sociales, d’où le fait que ces gouvernements se saisissent des problèmes de redistribution aujourd’hui.

En Amérique latine, les taux d’inégalités sont historiquement forts. Mais au début du XXIe siècle, des politiques de rupture spectaculaires sont mises en place (programmes « bolsa familia » et « faim zéro » lors de la première présidence de Lula au Brésil, revenu au pouvoir en novembre 2022, Angel Manuel Lopez Obrador élu en 2018 au Mexique sur un programme de renforcement de l’efficacité de l’impôt notamment).

Ainsi, si la mondialisation contemporaine depuis les années 1990 a permis une réduction de la proportion de la population vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde et une diminution des inégalités de richesse entre pays à l’échelle globale, les inégalités entre pays restent fortes et se doublent d’inégalités internes aux pays elles exacerbées par la mondialisation qui met en concurrence les territoires à l’échelle mondiale. L’intériorisation des inégalités est caractéristique de la « deuxième mondialisation », en cours depuis les années 1990.

[1] Revenus tirés de ce que chacun possède : dividendes pour ceux qui détiennent des parts dans une entreprise, loyer pour ceux qui louent une maison ou un appartement, revente d’un bien immobilier après augmentation de son prix.

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