Leibniz

Philosophie : Le principe de raison suffisante chez Leibniz

À lire dans cet article :

L’homme est un animal rationnel : il raisonne. Mais sur quels principes raisonne-t-il ? Et quelle est leur justification ? La raison décortique les choses pour les comprendre : peut-on à notre tour décortiquer notre propre raison pour en découvrir les principes directeurs ?

 

Dans la Monadologie, publiée en 1714, le philosophe Gottfried Wilhelm Leibniz propose ainsi de distinguer deux principes aux raisonnements de l’être humain : le principe de la contradiction, et le principe de raison suffisante.

 

L’homme et les autres animaux

La Monadologie est un court essai, qui fait la synthèse du système de Leibniz, et ce à partir des briques les plus élémentaires de son systèmes, les monades, qui sont pour ainsi dire des atomes d’âme, simples et indivisibles. Elles sont indestructibles, et les âmes de tous les êtres vivants sont de telles monades, dotées de perception, qui représente la multitude des autres monades dans l’unité de celle-ci. Le principe qui fait passer d’une perception à l’autre est l’appétition. Chez les animaux les plus complexes, la perception se prolonge dans la mémoire. L’homme lui-même agit la plupart du temps empiriquement, c’est-à-dire selon l’habitude forgée par la mémoire, comme les autres animaux.

Cependant, l’homme se distingue des autres animaux en ce qu’il est doué de raison :

29. Mais la connaissance des vérités nécessaires et éternelles est ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la Raison et les sciences ; en nous élevant à la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. Et c’est ce qu’on appelle en nous Âme raisonnable, ou Esprit.

La raison se comprend ainsi comme la connaissance des vérités nécessaires, là où l’habitude nous donne uniquement accès à la contingence. Par là, la raison nous donne accès aux sciences, qui reposent en dernière instance sur les monades et leurs relations réciproques. Or, les monades sont immatérielles. Par conséquent, et puisque l’âme humaine est immatérielle, la raison peut devenir réflexive, et s’examiner elle-même comme un Moi immatériel. L’âme humaine n’est cependant pas la seule entité immatérielle. Se connaissant comme bornée, elle prend conscience de l’existence d’une entité sans borne, infinie. Ainsi, transcendant au monde, il existe un Dieu, qui est cause de toute chose et est la source du bonheur des hommes. La raison, en quittant la perception matérielle pour la connaissance immatérielle, donne ainsi accès à trois nouveaux domaines : les vérités nécessaires, l’introspection, et la contemplation de Dieu.

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Les deux grands principes

Le principe de contradiction

La raison nous donne accès aux vérités nécessaires, mais cet accès est toujours médiatisé : il requiert de manier deux grands principes, qui sont les règles à partir desquelles la raison peut construire des raisonnements valides et parvenir à des vérités nécessaires. Le premier principe est le suivant :

31. Nos raisonnements sont fondés sur deux grands principes, celui de la contradiction en vertu duquel nous jugeons faux ce qui est en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contradictoire au faux.

Aussi appelé principe de non-contradiction, ce principe pose que ce qui n’est pas faux est vrai, et que ce qui n’est pas vrai est faux. En outre, il implique que, d’une même chose, on ne peut pas prédiquer à la fois une propriété et sa négation : par exemple, une table ne peut pas être à la fois noire et non-noire. Il est rapproché par Leibniz du principe d’identité, qui veut que ce qui est vrai soit vrai, et que ce qui est faux soit faux : autrement dit, une chose, considérée sous un même rapport, est toujours identique à elle-même. Il est enfin rapproché du principe du tiers exclu, qui veut que si quelque chose n’est pas vrai, il est faux, et vice-versa : il n’y a pas de troisième option.

La vérité qui correspond au principe de non-contradiction est la vérité de Raisonnement, qui est “nécessaire[s], et [son] opposé est impossible“. Par exemple, il est nécessaire que 2 + 2 = 4, et impossible que 2 + 2 = 5. Dans ce cas, l’analyse logique suffit à montrer que le résultat est nécessaire et que tout autre résultat est impossible : “on en peut trouver la raison par l’analyse, la résolvant en idées et en vérités plus simples, jusqu’à ce qu’on vienne aux primitives“. C’est donc une vérité analytique.

 

Le principe de raison suffisante

Le second principe est le suivant :

32. Et celui de la raison suffisante, en vertu duquel nous considérons qu’aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement. Quoique ces raisons le plus souvent ne puissent point nous être connues.

Ce principe implique que, pour toute chose, l’on puisse trouver une justification ou quelque chose qui rende compte de son existence, de sa non-existence, ou de ses propriétés. La raison peut aussi être une cause : par exemple, faire naître un enfant, c’est à la fois causer son existence, et être une raison suffisante de son existence. C’est un principe très fort, qui oblige à trouver une justification à toute chose, y compris à l’existence du mal, et oblige à lire une finalité dans tout ce qui advient dans la nature.

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Le statut des vérités de Fait

La vérité qui correspond au principe de raison suffisante est la vérité de Fait, qui est contingente, c’est-à-dire qu’elle pourrait être autre. Par exemple, le fait que Jules César a passé le Rubicon est contingent : il aurait pu en être autrement. L’analyse ne suffit pas à déduire que Jules César devait passer le Rubicon. Il faudrait, pour savoir de toute éternité que Jules César allait passer le Rubicon, avoir la connaissance de l’infinité de toutes les raisons particulières qui allaient l’incliner à une telle action, et ce depuis le début de l’univers. Cette connaissance est inaccessible à l’être humain, qui ne peut que régresser de raison en raison à l’infini, sans jamais pouvoir embrasser le détail des raisons suffisantes, détail qui seul pourrait lui permettre de prédire que Jules César passerait le Rubicon.

 

Preuve de l’existence de Dieu

Cependant, il doit y avoir une raison suffisante dernière, en vertu du principe de raison suffisante : l’infinité des raisons particulières, chacune renvoyant à une infinité d’autres raisons, ne peut suffire, car la série de toutes ces raisons est contingente et doit trouver sa propre raison suffisante. Par conséquent, il faut qu’il y ait un terme qui soit au-delà de cette série, qui lui soit transcendant :

38. Et c’est ainsi que la dernière raison des choses doit être dans une substance nécessaire, dans laquelle le détail des changements ne soit qu’éminemment, comme dans la source : et c’est ce que nous appelons Dieu.

Dieu joue ainsi le rôle de raison suffisante de la série entière des raisons contingentes. Il est la raison pour laquelle l’univers est tel qu’il est : il a choisi que l’univers se déploierait de cette manière, et ce de toute éternité, selon le principe du meilleur. Ayant contemplé tous les mondes possibles, Dieu a choisi de faire exister celui où les événements compossibles (c’est-à-dire pouvant advenir ensemble, sans contradiction et sans s’empêcher les uns les autres) seraient les meilleurs possibles. Ce monde n’est donc pas le meilleur, mais le meilleur possible : la quantité de mal y est minimale et sert à la beauté de l’ensemble.

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Conclusion

Dieu est ainsi capable d’une analyse de chaque monade et de toutes les vérités de fait qui la concernent, ce qui, pour lui, fait tendre asymptotiquement les vérités de Fait vers le statut des vérités de Raisonnement. L’entendement de l’homme étant limité, il est incapable d’un tel calcul, qui s’apparente au calcul infinitésimal qu’avait découvert Leibniz.

La raison, chez l’homme, n’est capable que d’admettre l’existence de Dieu comme raison suffisante de toute chose, et de construire des chaînes de raisons suffisantes limitées. Malgré cette limite, l’homme peut comprendre les finalités que Dieu met dans la nature, et son entendement obéit au même principe de raison suffisante que celui de Dieu.

 

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