Le principe du temps chez Augustin, ça te dit quelque chose ? Dans ce nouvel article, nous faisons le point avec toi sur ce concept, au programme de philosophie en terminale.
Qu’est-ce que le temps ? La difficulté de cette question éclaire en même temps le statut de ce qui est questionné : s’il est si difficile de comprendre ce qu’est le temps, c’est justement que le temps est la toile de fond de toute notre vie, un cadre évident duquel l’esprit semble ne pas pouvoir s’échapper. N’est-ce pas le signe que le temps et l’esprit sont particulièrement intriqués ?
Dans le livre XI des Confessions, Augustin d’Hippone s’interroge ainsi sur la nature du temps, dans une longue méditation dont nous étudierons les sections 17 et 26.
Apories sur le temps
La section 17 explore les différentes difficultés liées à la question de la nature du temps, dans autant de paradoxes et de contradictions conceptuelles, c’est-à-dire d’apories. Augustin demande ainsi :
Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore.
La première difficulté liée au temps a trait à l’incapacité dans laquelle on est de le définir. Or, celle-ci est problématique, car le temps est en même temps parfaitement évident : nul n’a besoin d’une définition pour comprendre parfaitement ce que l’on veut dire lorsque l’on parle du temps. La première aporie concernant le temps correspond donc à notre capacité et en même temps à notre incapacité de le connaître.
Méditant sur le passé et l’avenir, Augustin découvre une autre aporie :
Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ?
En effet, à première vue, le passé et l’avenir sont : on peut dire de quelque chose qu’il est passé, ou qu’il est futur. On peut parler du Noël à venir, et des vacances passées, en leur attribuant un certain être : l’être passé, et l’être à venir. Pourtant, le passé et le futur correspondent aussi à une négation d’être, qui correspondent aux négations “ne plus” et “ne pas encore” en français. Dès lors, le Noël à venir n’est pas, puisqu’il n’est pas encore, et les vacances passées ne sont pas, puisqu’elles ne sont plus. Il y a donc là encore une aporie : le passé et l’avenir à la fois sont, et ne sont pas. Comment le comprendre ?
La difficulté est redoublée dans le cas du présent. En effet, l’on pourrait croire que le présent, lui, est pleinement, puisque ni il n’est pas encore, ni il n’est plus. Cependant, il semble lui aussi tendre au néant. Augustin le montre en comparant le présent à l’éternité :
Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité.
De fait, ce qui est toujours présent, c’est l’éternel, ou, du moins, le sempiternel. La différence entre l’éternel et le présent, c’est donc que le présent n’est pas toujours. Dès lors, il est lui aussi grevé de néant, puisqu’il n’est pas toujours :
Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?
On voit par là que le présent n’a pas plus d’être que le passé ou l’avenir, car il n’est qu’en tant qu’il se jette dans le néant du passé, après être sorti du néant du futur. Cela signifie que, pour être présente, une chose doit en même temps admettre de devenir passée, c’est-à-dire de ne plus être. Alors même qu’elle est, la chose est promise au néant. Que lui reste-t-il de l’être, dans ce cas ? Seul l’éternité est, car elle ne tend pas au passé. Le présent, lui, est déjà passé, car avoir lieu, pour lui, c’est déjà ne plus être. En ce sens, le présent est insaisissable, toujours déjà passé ou encore futur. En cela, il appartient au néant.
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Solution des apories
Plusieurs des apories trouvent leurs solutions dans la section 26 du même livre : Augustin y montre que, si l’on conçoit le temps en fonction de l’esprit, qui en est la mesure et la condition, alors il est possible de comprendre le passé et le futur comme relevant cependant de l’être, en les intégrant à une forme de présent contenu dans l’esprit. Comme il l’écrit :
Mais peut-être dira-t-on avec vérité : il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit ; je ne le vois pas ailleurs.
En effet, le présent, le passé et le futur sont, comme on l’a vu, grevés de néant. Mais, si l’on considère que le temps n’existe que dans l’esprit, selon une approche psychologisante, l’on peut considérer que ce que l’on appelle passé et futur ne sont en fait que des modes du présent de l’esprit. L’esprit est toujours une consciente présente, mais cette conscience organise le temps selon un ordre temporel. Le passé, pour elle, n’est rien d’autre que le présent du passé, c’est-à-dire un présent qui retient le passé et y puise le nécessaire. Pour cette raison, Augustin écrit :
Le présent du passé, c’est la mémoire
Et de même pour les autres temps :
Le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente.
Autrement dit, il n’y a pas de présent, de passé ou de futur purs hors de l’esprit, mais l’esprit organise les choses et les événements temporellement, en fonction de son propre présent continu. Pour l’esprit, le passé est encore, puisqu’il est retenu dans la mémoire et le souvenir. De même, le futur est déjà, puisqu’il est anticipé dans l’attente, comme possibilités. Enfin, le présent n’est plus un néant, car, même s’il s’accumule dans la mémoire, il continue d’être, puisque la mémoire n’est pas un néant, contrairement au passé pur. Le temps se comprend ainsi : il est mesuré par l’esprit, qui subsiste toujours au présent et organise les choses selon la mémoire, qui est le présent du passé, l’attention, qui est le présent du présent, et l’attente, qui est le présent du futur.
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