Dans ce nouvel article, nous faisons le point avec toi sur la notion de marchandise chez Karl Marx, élément important de ton programme de philosophie de terminale.
Nous vivons dans des sociétés capitalistes, qui apparaissent comme de “gigantesques collections de marchandises”. Cependant, à bien y regarder, ce concept de marchandise est bien mystérieux. En particulier, le concept auquel il se rattache, celui de valeur, apparaît toujours de façon biface : à la fois comme valeur d’usage, dans la manière dont nous consommons la marchandise, et comme valeur d’échange, dans la manière dont nous l’échangeons contre de l’argent.
C’est ainsi que Karl Marx ouvre son ouvrage intitulé le Capital : l’étude de la marchandise est en effet rendu nécessaire par son statut d’élément primordial pour les sociétés capitalistes.
Le double statut de la marchandise
La marchandise se présente à première vue comme une chose capable de satisfaire un besoin humain. Par exemple, la nourriture achetée sert à se nourrir. C’est le côté de son utilité, de sa valeur d’usage, de sa qualité. Mais aussi, la marchandise a une certaine valeur quantitative. C’est cette valeur quantitative qui entre en jeu dans l’échange de marchandises, par exemple lorsque l’on échange 20 aunes de toile contre un habit. La marchandise est donc biface : elle présente à la fois une valeur d’usage et une valeur d’échange.
On remarque la valeur d’usage concerne la marchandise comme prise individuellement, ou dans son rapport avec l’homme qui la consomme. La valeur d’échange, elle, concerne la marchandise en tant qu’elle est en rapport avec d’autres marchandises, au sein d’un marché, où elles sont évaluées les unes par rapport aux autres.
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Le mystère de la valeur d’échange
Toutefois, l’existence de la valeur d’échange est problématique : comment comprendre qu’il existe, par exemple entre un morceau de fer et un morceau de pain, une homogénéité, ou quelque chose de commun, tel que l’on puisse dire “tel nombre de morceau de fer = tel nombre de morceaux de pain” ? Marx cherche ainsi où réside cette homogénéité :
Ce quelque chose de commun ne peut être une propriété naturelle des marchandises, géométrique, physique, chimique ou autre. Leurs propriétés naturelles n’entrent en ligne de compte que dans la mesure où ce sont elles qui les rendent utilisables, qui en font donc des valeurs d’usage. Mais d’un autre côté c’est précisément le fait qu’on fasse abstraction de leurs valeurs d’usage qui caractérise manifestement le rapport d’échange des marchandises : en lui toutes les valeurs d’usage se valent, quelles qu’elles soient, pourvu qu’elles soient présentes en proportion adéquate.
En effet, les marchandises, du point de vue de leur valeur d’usage, n’ont rien de commun : leur mode de consommation diffère, de même que le travail qui permet de les produire (on ne produit pas de la même manière du pain et du fer : les deux travaux diffèrent qualitativement). Que reste-t-il donc de commun entre les marchandises ? Justement le fait pur qu’elles sont le résultat d’un travail, peu importe de quel travail il s’agit :
Si l’on fait abstraction de la valeur d’usage du corps des marchandises, il ne leur reste plus qu’une seule propriété : celle d’être des produits du travail.
Ce travail commun à toutes les marchandises est appelé travail abstrait, car il est abstrait de tous les types de travaux différents. Il est opposé au travail concret, qui est tel ou tel travail qualitativement différent : celui du boulanger, celui du menuisier, etc.
Cette conception du travail comme conférant objectivement à la marchandise sa valeur est déjà présente chez l’économiste libéral Adam Smith, et s’oppose à celle des libéraux modernes, qui considèrent que la valeur est subjective, et repose sur le rapport entre la rareté des biens et le besoin qu’on en a.
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La mesure du travail abstrait
Ainsi s’éclaire la manière dont l’on peut comparer la valeur d’échange de deux marchandises, par exemple le fer par rapport au pain. Cependant, cette comparaison repose sur une mesure commune, c’est-à-dire sur une unité commune. Il faut que le travail abstrait qui soit enfermé dans chaque marchandise puisse être mesurée selon un étalon commun. On mesure la grandeur de sa valeur :
Par le quantum de “substance constitutive de valeur” qu’elle contient, par le quantum de travail. La quantité de travail elle-même se mesure à sa durée dans le temps […]
Ainsi, plus une marchandise demande de temps pour être produite, et plus sa valeur d’échange croît. Il faut souligner ici que sa valeur d’échange ne correspond pas à son prix, car le prix nécessite d’introduire le concept de monnaie, et fluctue plus librement que la valeur d’échange, qui, elle, est objective. Dans tous les cas, le prix repose sur la valeur d’échange de la marchandise, et doit finir par s’y conformer.
Il ne faut pas non plus croire que, plus un ouvrier est fainéant et malhabile, et plus sa marchandise contient de valeur d’échange, car la valeur d’échange est mesurée à partir du temps de travail moyen qui a cours dans la société : c’est toujours le même travail abstrait qui est mesuré dans la valeur d’échange d’une marchandise, et non pas un travail différent d’un individu à l’autre.
On comprend ainsi le double statut de la marchandise : du point de vue de sa consommation, elle présente une valeur d’usage, et, du point de vue de son commerce, elle présente une valeur d’échange. Le lien entre les deux se fait par le travail, qui, concret, donne sa valeur d’usage à la marchandise, et, abstrait, lui donne sa valeur d’échange.
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