La liberté est une question épineuse et pourtant c’est une question centrale pour l’homme. Les grandes problématiques du thème se concentrent sur la définition de la liberté, son statut, et ses implications. Comment définir la liberté ? Est-ce faire ce que l’on veut ? Mais alors que faire des passions et du déterminisme à l’oeuvre dans la nature ? Et qu’en est-il de la notion de responsabilité ? Cette dernière questionnant ainsi l’ordre politique et moral.
Il s’agit ici de vous donner dans cet article quelques références pour accompagner votre réflexion personnelle. Utilisez cette fiche pour retenir comprendre les distinctions importantes : entre la liberté entendue comme indépendance par exemple, comme licence ou encore comme autonomie.
Le stoïcisme romain ou impérial
Définition générale de la liberté
Le stoïcisme romain ou impérial est représenté essentiellement par trois figures éminentes: Sénèque qui fut notamment précepteur de Néron, Epictète qui fut esclave affranchi et Marc-Aurèle qui fut empereur.
De manière générale, le stoïcisme romain prône une liberté intérieure qui se concrétise en un pouvoir de détachement à l’égard des choses et des circonstances extérieures. Un pouvoir rendu possible par un exercice de notre jugement ou la maîtrise de nos représentations ou de notre pensée. Nous nous focaliserons ici sur les propos d’Épictète.
Commentaire d’une citation clé sur la liberté
“De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, et les autres n’en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos actions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions; en un mot tout ce qui est notre oeuvre propre. Celles qui ne dépendent point de nous, sont le corps, les biens, la réputation, les dignités; en un mot, tout ce qui est pas notre oeuvre propre”
Epictète, Manuel, I, 1
Ce premier paragraphe ouvre le célèbre Manuel de l’esclave affranchi Epictète. Le Manuel se présente avant tout comme un guide, un mémento ou aide-mémoire mettant en relief une caractéristique essentielle de la liberté: elle est l’objet ou le fruit d’un apprentissage, d’un exercice régulier de l’esprit. On utilise ainsi souvent le mot “ascèse” pour désigner cet apprentissage. Ce mot vient du grec askêsis et signifie au sens propre “entraînement” ou “pratique”. Il s’appliquait particulièrement aux athlètes qui s’exerçaient en vue des jeux du stades. Le terme est repris par les stoïciens pour désigner une discipline mentale. La liberté ne s’obtient donc qu’au prix d’une discipline mentale. C’est le sens de ce premier paragraphe qui débute le Manuel.
Distinction entre l’homme et l’ordre du monde
Epictète invite à faire une distinction fondamentale entre ce qui dépend de nous d’une part et ce qui ne dépend pas de nous. Une distinction qui invite à établir une ligne de démarcation entre l’homme et l’ordre du monde ou de l’univers dicté par une raison universelle divine et providentielle ou destin. En effet, les choses qui dépendent de nous sont nos oeuvres et en tant que telles, en tant qu’elles sont à notre portée nous disposons d’un pouvoir sur elles alors que les choses qui ne dépendent pas de nous ne sont pas nos oeuvres propres.
De sorte que nous n’avons pas de pouvoir sur ces dernières. Il s’agit pas là d’une résignation à l’égard des choses qui ne dépendent pas de nous mais bien d’une invitation à pratiquer une indifférence à l’égard de ces choses et de ces circonstances extérieures. Une indifférence qui consiste à voir ces choses ou ces circonstances extérieures comme ce qu’elles sont c’est-à-dire hors de notre portée.
La liberté humaine selon Epictète, un exercice de volonté
C’est dans cette compréhension que peut se déployer la liberté humaine. Car ces choses qui dépendent de nous, en tant qu’elles sont nos oeuvres propres, en tant qu’elles sont donc à notre portée, sont aussi par nature libres. Alors que les choses qui ne dépendent pas de nous, parce qu’elles sont pas notre oeuvre propre sont hors de portée. Epictète invite à faire ce partage et à s’exercer à ne vouloir que ce qui dépend de nous ( “ne désire que ce qui dépend de toi […] Que tout homme donc, qui veuille être libre, ne veuille et ne fuie rien de tout ce qui dépend des autres, sinon il sera esclave nécessairement”, Manuel, XIV)
La liberté ne s’obtient qu’au prix d’une fermeté de la volonté à ne vouloir que ce qui dépend de nous et sur la compréhension des choses extérieures comme ce qu’elles sont. Epictète fait ainsi remarquer: “Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu’ils en ont”. Il ne s’agit pas de lutter contre les choses mais contre les représentations, évaluations ou opinions que nous forgeons sur les choses. Ainsi il faut comprendre que l’ordre du monde n’est pas contre nous et qu’être libre c’est s’exercer à avoir cette compréhension du monde, à s’accorder avec cet ordre par le biais de nos représentations, à le vouloir.
Être libre c’est modifier sa manière d’être au monde pour vivre conformément à la nature par la maîtrise de notre volonté et de nos représentations. Être libre c’est vouloir ce qui dépend de nous mais aussi vouloir que les choses arrivent comme elles doivent arriver. Notre liberté est totale en tant qu’elle s’exerce sur nos représentations.
Limites de la thèse stoïcienne
Hegel, aussi bien dans Phénoménologie de l’Esprit que dans Leçons sur l’Histoire de la Philosophie, faisait remarquer qu’une telle liberté, bien qu’étant un moment nécessaire dans l’idée de la conscience absolue, est purement abstraite ou formelle (“pure universalité de la pensée”) et qu’elle laisse de côté le contenu de l’existence à savoir la vie. Dans ses Leçons sur la philosophie de l’Histoire, il fait remarquer que bien que l’épicurisme, le stoïcisme et le scepticisme aient quelques différences, tous ces systèmes aboutissent au même résultat : rendre l’esprit indifférent à l’égard de tout ce que représente la réalité;
Une telle liberté reste donc purement abstraite conduisant l’homme à se renfermer sur soi et à fuir le monde. Or l’homme est ancré dans la nature et vit avec ses semblables en société.
Une telle liberté fait l’économie du monde et de l’ordre politique en faisant de l’âme “une citadelle intérieure”.
Descartes: la liberté de la volonté ou liberté d’indifférence
Définition générale de la liberté
“Cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que d’un autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de la liberté.”
Descartes, Méditations Métaphysiques, IV
Pour Descartes, la liberté se donne dans une expérience très spécifique: le bon usage de la volonté ou de notre libre arbitre. Elle ne se connaît pas mais s’éprouve, se sent et tout simplement se vit dans l’action.
Descartes s’inscrit dans la tradition stoïcienne en faisant de la liberté liberté d’indifférence mais il invite à distinguer deux formes d’indifférence. Sa lettre à Mesland du 9 février 1645 est très claire à ce sujet :
- La première est le plus bas degré de liberté en tant qu’elle consiste dans un état d’hésitation de la volonté qui ne parvient pas à se prononcer faute d’incertitude. C’est un état d’hésitation, d’indécision dû à une ignorance. C’est le plus bas degré de liberté car il y a défaut dans la connaissance. ” […] je voudrais que l’on remarque à ce sujet que l’indifférence me semble signifier proprement cet état dans lequel se trouve la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté plutôt que l’autre par aucune perception du vrai ou du bien; et c’est en ce sens que je l’ai prise lorsque j’ai écrit que le plus bas degré de liberté est celui où nous nous déterminons aux choses auxquelles nous sommes indifférents”.
- La seconde forme d’indifférence n’est pas un état d’hésitation ou d’indécision mais un état dans lequel la volonté est éclairée par l’entendement qui donne ou suggère des raisons de choisir. La volonté peut alors les accepter ou les refuser mais elle fait un choix en connaissance de causes pourrait-on dire.
La liberté entre volonté et entendement
La liberté est donc à son plus faible niveau lorsque la volonté est indifférente au sens d’indécise et à son plus haut niveau lorsque la volonté est déterminée par l’entendement.
La liberté d’indifférence entendue comme pouvoir de faire ce que l’on veut ou plus précisément pouvoir de choisir quelque chose sans aucune raison est le plus bas degré de liberté alors que la liberté d’indifférence entendue comme pouvoir de vouloir librement en connaissance des raisons est le plus haut degré de liberté. La vraie liberté humaine est acceptation ou assentiment vers ce qui est vrai, de la nécessité qui vient d’une volonté divine, absolument créatrice et donc libre. La liberté est donc réelle et rationnelle.
La liberté et le doute
La liberté est objet d’expériences. À cet égard, le doute en est une manifestation métaphysique: le sujet éprouve son indépendance face au monde. ( relire Discours de la méthode ou les deux premières Méditations Métaphysiques). L’erreur est aussi une manifestation de notre liberté : la volonté infinie vient outrepasser les limites de l’entendement fini ( relire la quatrième méditation des Méditations Métaphysiques). C’est précisément parce qu’on est libre que l’on se trompe. Bref la liberté de se tromper ou de l’erreur vérifie ou signifie ou prouve plus largement la liberté.
Commentaire de citation sur la liberté
Descartes, dans les articles 152 et 153 de ses Passions de l’âme, appelle générosité cette volonté libre, cet usage libre de ma volonté. La générosité est une vertu consistant dans la connaissance de la libre disposition de soi-même et de la responsabilité qu’elle implique mais aussi et surtout cette vertu consiste dans le bon usage de ce libre arbitre c‘est-à-dire dans la résolution d’en bien user, de bien exercer son jugement. Cela ne signifie pas qu’il faille faire le bien mais cela signifie qu’il faut s’appliquer à déterminer dans toutes les actions ou les événements de la vie ce qui est le bien le plus probable.
Limites de la thèse cartésienne
Descartes fonde la réalité de la liberté sur un sentiment de liberté c’est-à-dire sur notre expérience affective. Mais faire une telle chose n’est-ce pas au contraire montrer que loin d’être libre, nous sommes sous l’emprise des passions et mettre en évidence la réalité de contraintes extérieures? N’est-ce pas montrer l’existence d’une causalité à la fois extérieure et intérieure?
La question de l’insertion de la liberté dans le mécanisme de la nature et pas seulement dans l’ordre des raisons reste incomplète. Spinoza permet de compléter et d’approfondir cette perspective.
Spinoza et l’illusion du libre-arbitre: la liberté est libre nécessité et obéissance à la droite raison
Définition générale de la liberté
“Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent”
Spinoza, Lettre 58 à Schuller
La lettre 58 à Schuller est une très bonne entrée à la compréhension de la conception de la liberté pour Spinoza. Pour ce dernier, la liberté entendue comme libre-arbitre est une illusion ( “un préjugé naturel, congénital parmi les hommes” dit Spinoza) dont il est difficile de se débarrasser.
L’homme se croit libre parce qu’il a conscience de ses actions ou de ses volitions mais ignore les causes par lesquelles il est déterminé à agir ou à vouloir. Le sentiment de liberté est donc une illusion qui provient de notre ignorance des causes qui nous détermine et de notre finitude.
Commentaire de citation sur la liberté
Tout est nécessité pour Spinoza, bien que cette nécessité comporte des degrés. Il y a Dieu qui est le seul être proprement libre si l’on suit la définition VII de la première partie de l’Éthique: “cette chose est dite libre qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir”. Dieu est cause de soi ( causa sui). Il agit par les seules lois de sa nature sans subir donc aucunes contraintes. Il y a là un déplacement important qu’opère Spinoza par rapport à Descartes puisque la liberté ne consiste pas dans un libre décret de la volonté mais dans une libre nécessité. Est contrainte une chose qui est déterminé par une autre à exister et agir d’une certaine façon déterminée. Tel est le cas des choses créées dont l’homme.
L’homme, tout comme la pierre, a sa cause en Dieu. Il est donc pas plus libre que la pierre. La seule différence entre l’homme et la pierre est que l’homme pense qu’il est libre. C’est une erreur qui provient de son ignorance et de sa finitude. Il pense être libre car il a conscience de ses actions mais est ignorant des causes par où il est déterminé comme l’énonce la proposition 35 de la partie II de l’Éthique. L’analyse de la nature et de l’origine de l’âme montre “qu’il n’y a dans l’âme aucune volonté absolue ou libre mais que l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, et ainsi à l’infini” ( proposition 68).
L’analyse de l’origine et de la nature des affections autrement dit des passions du livre III de l’Éthique montre que l’homme n’est pas dans la nature “comme un empire dans un empire”.
Il n’y a pas d’opposition entre liberté et nécessité: les deux se confondent comme on peut le voir en Dieu.
Parvenir à la liberté en reconnaissant les causes déterminantes
La dernière partie de l‘Éthique montre qu’il est possible pour l’homme de parvenir à une liberté : c’est en reconnaissant la nécessité que l’homme pourra se libérer.
Être libre pour l’homme consiste alors à augmenter sa puissance d’agir en connaissant les causes qui le déterminent pour sortir du “subir” et passer à “l’agir“. La liberté est libération et réside dans la capacité à reconfigurer le jeu des causes à l’oeuvre dans la nature. La liberté n’implique pas la disparition de la causalité.
Avec la conception de la liberté de Spinoza, on peut mieux penser la question de l’insertion de la liberté dans le mécanisme de la nature puisque tout est nécessité.
Cette conception a la particularité d’ouvrir naturellement sur le politique et de penser une liberté en société, une liberté dans l’ordre politique et donc de lier métaphysique et politique.
Etre libre selon la nécessité de la nature
Puisqu’en effet, être libre c’est agir selon la nécessité de sa nature, c’est donc s’exprimer et en tant que tel c’est “obéir à sa droite raison” comme le montre Spinoza dans le chapitre 16 du Traité théologico-politique. C’est la raison, en tant que pouvoir à connaître et à suivre la et ma nature qui permet de faire la jonction entre le plan métaphysique et le plan politique de la liberté. La raison sert de pivot pour articuler liberté individuelle et liberté collective. L’ordre politique permet l’expression de la liberté individuelle.
Le chapitre 20 du Traité théologico-politique est très clair à ce sujet. La fin de l’État n’est pas la domination mais la liberté. Dans l’ordre politique, l’homme renonce uniquement à son droit d’agir selon son propre décret mais non à sa liberté de penser. L’État en libérant l’homme des passions et notamment de la crainte de la mort, en visant la paix dispose les hommes à vivre sous l’égide de la raison et les dispose donc à entretenir leur liberté. Il ne peut y avoir de liberté individuelle sans liberté collective pourrait-on dire.
Limite de la thèse de Spinoza
L’essentiel de la thèse de Spinoza de la liberté accorde une place importante à la raison. Mais cette faculté et notamment ses prétentions ont fait l’objet de nombreuses critiques. Hume notamment met en doute sa capacité d’accéder à l’objectivité en montrant que cette dernière n’est qu’une fiction de l’esprit dans son Enquête sur l’entendement humain mais aussi en montrant qu’elle est la servante des passions dans son Traité de la nature humaine. Est-ce à dire alors qu’aucune liberté n’est possible?
Kant et la raison: la liberté comme autonomie
Définition générale de la liberté
“Si toute chose dans la nature agit d’après des lois, il n’y a qu’un être raisonnable qui ait la faculté d’agir d’après la représentation des lois, c’est-à-dire d’après les principes, en d’autres termes, qui ait une volonté.”
Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs
Kant opère alors un examen critique de la raison aussi bien dans son versant théorique (raison pure) ou spéculatif que dans son versant pratique (raison pratique). C’est un examen visant à définir l’étendue, l’usage et les limites de la raison humaine afin de la réhabiliter dans ses prétentions légitimes.
L’analyse critique de la raison dans son versant spéculatif dans Critique de la raison pure a permis de montrer que la connaissance n’est possible qu’à travers les formes pures de la sensibilité ( le temps et l’espace) et les catégories de l’entendement. De sorte que la connaissance est relative à la constitution subjective de l’esprit.
Connaître, c’est appréhender l’objet dans le temps et l’espace et par les catégories de l’entendement; c’est appréhender que ce qui m’apparaît. Je ne peux donc connaître que les phénomènes et non les choses en elles-mêmes c’est-à-dire telles qu’elles seraient en dehors du temps et de l’espace et des catégories de mon entendement.
Mieux encore, Kant montre que la raison dans son versant spéculatif, l’entendement, est un pouvoir de liaison, un pouvoir qui introduit de l’ordre et que ce pouvoir est légitime. L’entendement est législateur.
La nature, en tant que l’ensemble des phénomènes, est ordre et cet ordre est la causalité naturelle. Une telle causalité est en contradiction avec l’idée d’une liberté humaine. Comment concilier les deux thèses? Kant nous invite alors à distinguer le règne de la nature et l’intelligible qui recoupe dans une certaine mesure la distinction entre phénomène et chose en soi.
La liberté ne peut pas être un objet de connaissance
Conformément à ce résultat et à cette distinction de plan, je ne me connais qu’en tant que phénomène et en tant que tel je suis soumis comme les autres phénomènes de la nature à la causalité naturelle, à des lois nécessaires et universelles. Mais en tant que chose en soi, rien ne m’empêche de me penser libre puisque je n’ai aucune connaissance la chose en soi.Cette distinction met en lumière que la liberté ne peut pas être un objet de connaissance et qu’il ne peut y avoir de validité de la liberté dans le champ théorique.
Or pourtant la liberté est un postulat nécessaire pour l’action. Kant montre ainsi dans la Critique de la raison pratique que la liberté est un postulat de la raison pratique c’est-à-dire une “hypothèse dans un point de vue nécessairement pratique”.
Commentaire d’extrait sur la liberté
Même si nous ne pouvons pas connaître ce qu’est la liberté nous savons par la loi morale que nous sommes libres. La liberté est en entendue comme un pouvoir de causalité, pouvoir de commencer une série de causes et la loi morale est la manifestation de ce pouvoir. Puisque comme le montre Kant dans ses Fondements de la métaphysique des moeurs, “si toute chose dans la nature agit d’après des lois, il n’y a qu’un être raisonnable qui ait la faculté d’agir d’après la représentation des lois, c’est-à-dire d’après les principes, en d’autres termes, qui ait une volonté.”
La volonté est la raison dans sa manifestation pratique qui est elle-même pouvoir de causer, de s’autodéterminer, à se donner à soi-même ses propres lois. Et c’est exactement ce qui se passe dans l’action morale. Agir moralement et agir librement sont une seule et même chose : le devoir n’est pas une contrainte mais l’occasion d’exercer notre liberté. Dans la troisième section des Fondements de la métaphysique des moeurs, Kant est très clair: une volonté libre et une volonté soumises aux lois morales sont une seule et même chose. Ainsi donc la liberté doit être comprise comme autonomie c’est-à-dire comme puissance d’autodétermination. Autrement dit pouvoir de s’auto-déterminer, de se donner à soi-même sa loi. La liberté dans son versant négatif est la capacité à s’affranchir des déterminations sensibles mais dans son versant positif c’est la capacité à être un pouvoir de causalité, à se donner ses propres lois.
Limite de la thèse kantienne:
Bergson fait remarquer qu’ici encore la liberté est comprise sous le prisme du concept de la causalité puisque Kant définit la liberté comme une causalité intelligible, un pouvoir de causer sans être soi-même causé, une causalité libre. Or la causalité est une catégorie de l’entendement.
En cherchant à expliquer ou à prouver la liberté on commet une erreur on la rate en donnant raison au déterminisme. Puisque la liberté pour Bergson est indéterminable et ne peut donc être saisie par l’intelligence. L’intelligence ne peut ne tenir un discours sur la liberté. Elle définit encore la liberté sur le mode du déterminisme en la considérant comme un pouvoir de choix entre deux possibles. La liberté ne peut que s’éprouver en se replaçant dans la durée pure par l’intuition.
Sartre et la réalité humaine
Définition générale de la liberté
“Nous sommes condamnés à être libre”
Sartre, L’Être et le Néant, L’existentialisme est un humanisme
Sartre récuse, contrairement à ses prédécesseurs, l’idée d’une nature. Il faut abandonner l’idée d’une nature déterminante et déterminée ainsi que la conception d’une liberté comme “pouvoir d’obtenir ce que l’on a voulu”. La liberté est inconditionnée quoique dépendante du donnée mais pas contrainte par ce dernier.
Commentaire d’extrait sur la liberté
C’est la voie que Sartre nous invite à suivre dans la quatrième partie de l’Être et le néant, dans son chapitre sur la liberté. Pour Sartre, on ne peut pas affirmer à la fois que l’homme est tantôt libre et que tantôt il est déterminé. Soit il est entièrement déterminé. Soit il est entièrement libre et absolument libre.
C’est la deuxième proposition de cette alternative que Sartre défend. Quand il dit que “Nous sommes condamnés à être libre” ou que “l’existence précède l’essence”, il signifie une seule et même chose: la réalité humaine ne peut pas ne pas être libre et ne peut pas ne pas exister.
La réalité humaine parce que dotée d’une conscience visant des intentions a doublement un pouvoir de néantisation. Elle a cette capacité de transcendance, d’arrachement au donnée et à elle-même. Elle est capable de détachement et d’anticipation. La réalité humaine est “délaisée”. Elle a une liberté radicale et donc une grande responsabilité. Elle se choisit et en se choisissant, elle choisit le monde. Elle est perpétuellement “pro-jection”.
Les déterminismes (sociaux, naturels, psychologiques..) que la réalité humaine met en avant pour établir l’impuissance humaine sont des manifestations, des expressions de cette liberté comme autonomie du choix. L’angoisse de cette liberté radicale se traduit par notre tendance à la mauvaise foi, cette stratégie que nous utilisons pour ne pas assumer notre responsabilité, notre liberté. Faire cela, c’est encore choisir, c’est encore néantiser, c’est exercer notre liberté. La situation exprime la liberté. La liberté est projet et le projet de la réalité humaine révèle les diverses figures du monde. Dans la perspective de Sartre, le donnée n’est une limite que parce que la réalité humaine l’a posé comme telle dans son projet originel.
Exemple de sujet sur la liberté: être libre, est-ce ne rencontrer aucun obstacle?
Commentaire méthodologique
Attention ce n’est qu’une proposition d’axes et de références possibles ! Tout autre possibilité est permise tant qu’elle est justifiée!
Un tel sujet invite à s’interroger sur les conditions de possibilité et d’effectivité de la liberté. À quelle condition est-on libre ? Ne pas rencontrer d’obstacles est-ce remplir une ou la condition de possibilité et d’effectivité de la liberté?
Il faut définir ce qu’est un obstacle : c’est ce qui s’oppose à un passage ou un mouvement. Et par liberté on entend généralement le pouvoir de faire ce que l’on veut. On voit dès lors que l’obstacle est un problème pour la réalisation de la liberté .
Construire son argumentation
On pourrait débuter l’argumentation en étayant l’idée qu’être libre c’est ne rencontrer aucun obstacle en donnant des exemples qui permettront d’identifier et d’illustrer ce que l’on entend communément par obstacle ( les lois notamment) et pourquoi pas en s’appuyant également sur le modèle de vie que défend Calliclès dans le Gorgias de Platon mais il faut très vite mettre en évidence les limites.
Calliclès croit être libre dans le modèle de vie qu’il défend mais il est la proie du désir. Et le désir, en tant qu’il démesuré et polymorphe, ne saurait constituer le principe de la vie. Bien au contraire, il est un obstacle à la liberté qui est dans la maîtrise de soi, de ses désirs et représentations.
Et là on peut enchaîner sur la référence à Spinoza ou continuer avant sur cette idée de maîtrise de soi pour lever les obstacles en développant la référence stoïcienne : dans la perspective ouverte par Épictète, l’obstacle n’existerait pas en soi mais est l’oeuvre de notre jugement. L’obstacle n’est pas en dehors de nous mais en nous dans nos représentations. Lever l’obstacle consisterait alors à modifier nos représentations. Être libre consisterait dans cette discipline constante, cette exercice constant de la pensée sur ses représentations des choses extérieures. On peut alors souligner les limites d’une telle pensée qui nous amène à fuir le monde et autrui.
Commentaire sur cette première partie
On aurait pu dans la première partie notamment développer l’idée d’une liberté d’indifférence au premier sens du terme développée par Descartes dans la IV ème méditation des Méditations Métaphysiques : être libre, c’est avoir l’expérience de sentiment de n’être déterminé ou contraint par rien. Et noter cependant que c’est le plus bas degré de liberté et prendre pourquoi pas l’exemple de l’âne de Buridan. Parce qu’elle est sans raison, elle est degré le plus bas de liberté.
Comment utiliser la référence à Spinoza
La référence à Spinoza est ici fondamentale et permet de montrer qu’être libre ce n’est pas rencontrer aucun obstacle. Et qu’une telle pensée de la liberté est une illusion naturelle qui provient d’un manque de connaissance de la nature et de ma nature inhérent à ma finitude; on développe l’argumentation de Spinoza.
Ce que l’on prend pour des obstacles, des contraintes relève d’un ordre naturel nécessaire qui conditionne et rend possible notre agir, notre liberté. L’homme n’est pas dans la nature “comme un empire dans un empire” souligne Spinoza dans la préface à troisième partie de l’Éthique. La liberté n’est pas libre-arbitre mais libre-nécessité. Être libre c’est comprendre le déterminisme à l’oeuvre dans la nature pour reconfigurer le jeu des causes afin d’augmenter pour mon pouvoir d’agir.
On peut aussi utiliser la référence à Spinoza pour montrer que la loi n’est pas un obstacle mais ce qui rend possible ma liberté en développant son argumentation sur la fin de l’État.
Comment utiliser la référence à Kant
On peut finir soit sur la référence kantienne en montrant l’aspect positif de la liberté comme capacité d’autodétermination ( être libre c’est se donner à soi-même ses obstacles : loi morale, loi juridique etc..) soit sur la référence sartrienne de la liberté et de l’homme comme projet en montrant qu’il n’y a de liberté qu’en situation et que les obstacles sont la manifestation ou l’expression de la liberté ( concept de mauvaise foi etc..)
Pour continuer à réviser la philosophie, n’hésitez pas à lire nos autre fiches complètes. Voici par exemple la fiche qui résume toute l’histoire de la philosophie politique.