Un barrage contre le Pacifique, Duras – Commentaire rédigé

À lire dans cet article :

Pour bien vous préparer au BAC, voici un commentaire composé rédigé d’un extrait de Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique. Vous y trouverez de nombreux conseils méthodologiques pour vous aider dans vos révisions.

Ce texte est tombé au BAC en France métropolitaine en 2017.

Texte de l’extrait

Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, Deuxième partie, extrait (1951)

L’action se situe en Indochine, péninsule d’Asie du Sud-Est, dans les années 1920. La famille de Suzanne, l’héroïne du roman, mène une existence misérable. Désœuvrée et livrée à elle-même, Suzanne erre dans les quartiers de la ville à la recherche de son frère Joseph.

[…] Elle ne trouva pas Joseph, mais tout à coup une entrée de cinéma, un cinéma pour s’y cacher. La séance n’était pas commencée. Joseph n’était pas au cinéma. Personne n’y était, même pas M. Jo .

Le piano commença à jouer. La lumière s’éteignit. Suzanne se sentit désormais invisible, invincible et se mit à pleurer de bonheur. C’était l’oasis, la salle noire de l’après-midi, la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la vraie nuit, plus ravissante, plus consolante que toutes les vraies nuits, la nuit choisie, ouverte à tous, offerte à tous, plus généreuse, plus dispensatrice de bienfaits que toutes les institutions de charité et que toutes les églises, la nuit où se consolent toutes les hontes, où vont se perdre tous les désespoirs, et où se lave toute la jeunesse de l’affreuse crasse d’adolescence.

C’est une femme jeune et belle. Elle est en costume de cour. On ne saurait lui en imaginer un autre, on ne saurait rien lui imaginer d’autre que ce qu’elle a déjà, que ce qu’on voit. Les hommes se perdent pour elle, ils tombent sur son sillage comme des quilles et elle avance au milieu de ses victimes, lesquelles lui matérialisent son sillage, au premier plan, tandis qu’elle est déjà loin, libre comme un navire, et de plus en plus indifférente, et toujours plus accablée par l’appareil immaculé de sa beauté.

Et voilà qu’un jour de l’amertume lui vient de n’aimer personne. Elle a naturellement beaucoup d’argent. Elle voyage. C’est au carnaval de Venise que l’amour l’attend. Il est très beau l’autre. Il a des yeux sombres, des cheveux noirs, une perruque blonde, il est très noble. Avant même qu’ils se soient fait quoi que ce soit on sait que ça y est, c’est lui. C’est ça qui est formidable, on le sait avant elle, on a envie de la prévenir. Il arrive tel l’orage et tout le ciel s’assombrit. Après bien des retards, entre deux colonnes de marbre, leurs ombres reflétées par le canal qu’il faut, à la lueur d’une lanterne qui a, évidemment, d’éclairer ces choses-là, une certaine habitude, ils s’enlacent. Il dit je vous aime. Elle dit je vous aime moi aussi. Le ciel sombre de l’attente s’éclaire d’un coup. Foudre d’un tel baiser. Gigantesque communion de la salle et de l’écran. On voudrait bien être à leur place. Ah ! comme on le voudrait. […]


Eléments méthodologiques pour réussir le commentaire de texte

Plusieurs lectures

Toujours avoir une première lecture basique, puis une deuxième/troisième plus analytique où vous notez dans la marge / sur votre texte les éléments, figures de style ou informations que vous repérez.

La place de l’extrait dans l’oeuvre

Repérer la place de l’extrait dans l’oeuvre. Selon sa place, il aura différentes fonctions.

Ici, l’extrait se situe dans la deuxième partie donc on peut supposer qu’on connaît déjà la protagoniste. Les informations nécessaires à la compréhension du texte sont dans le paratexte.

  • repérer, mettre en évidence la structure du texte
  • voir comment il évolue et avance

Dans le texte étudié :

  • trois paragraphes d’une longueur et d’un rythme croissants
  • la focalisation passe de Suzanne au film qu’elle regarde.

Trois parties peuvent donc être mises en lumière.

ATTENTION: pour ne pas donner l’impression de découper artificiellement le texte, montrer les évolutions d’une partie à l’autre pour justifier le découpage.

Exemple: le passage d’un narrateur omniscient à un narrateur personnage, un changement de temps verbal, un changement de focalisation etc.

La narration

Pour un texte romanesque : le type de narrateur, la structure narrative (qui parle ? À qui ? De quoi ?), les relations entre les personnages, le.s ton.s et registre.s du texte et les figures de style majeures.

Dans le texte étudié :

Dans la première partie du texte, le narrateur est ici omniscient, il surplombe Suzanne. Il raconte au lecteur l’existence de Suzanne par le biais de la description de ses activités, sentiments et émotions. Mais peu à peu on observe un passage vers la focalisation interne de Suzanne. En ce qui concerne les tons et les registres, ils sont à la fois familiaux et poétiques. Les figures de style majeures sont l’énumération, la gradation, la métaphore, l’hyperbole et la mise en abyme.

La problématisation

Pour trouver la problématique du texte, il faut saisir la spécificité du texte. Qu’est ce qui le rend intéressant et exceptionnel (trouver la raison pour laquelle les jurés l’ont choisi) ? Plusieurs axes sont possibles:

  • le texte est-il particulièrement représentatif d’un genre ou d’un mouvement ?
  • se distingue-t-il au contraire des autres dans un genre ?
  • quels outils littéraires sont utilisés et dans quel but ?

L’important est de trouver un ou plusieurs axes (ne pas s’éparpiller non plus ! un ou deux suffisent) qui concernent le texte dans sa totalité. Elle ne doit donc pas être trop réduite ou ne concerner qu’une partie de l’extrait.

Dans le cas présent, une des possibilités de problématique est:

Comment l’auteur parvient à retranscrire une expérience à la fois individuelle et collective ?

Construire le développement

Dans le développement, toujours partir d’observations basiques pour aboutir à quelque chose de plus subtil, pointu et réfléchi. Le premier niveau d’analyse est important pour permettre à celui qui lira votre travail de saisir la nature du texte, ce qu’il contient… et pour montrer que vous l’avez bien compris.

Ne jamais faire de catalogue

Il faut construire son analyse de manière linéaire, c’est-à-dire en étudiant toutes les phrases une par une.

ATTENTION : ne pas donner l’impression d’un catalogue, utilisez des mots de liaison. Par exemple : Tout d’abord, ensuite, enfin, toutefois, cependant, en revanche, de plus, de même…) et alterner entre des observations concernant une phrase en particulier et le paragraphe/texte.

Autres remarques

Faites attention au rythme du texte, à la place du narrateur et de l’auteur dans le texte, bien citer le texte pour prouver ce que l’on déclare.

Commentaire de l’extrait

Bien utiliser le paratexte

Paratexte : “L’action se situe en Indochine, péninsule d’Asie du Sud-Est, dans les années 1920. La famille de Suzanne, l’héroïne du roman, mène une existence misérable. Désœuvrée et livrée à elle-même, Suzanne erre dans les quartiers de la ville à la recherche de son frère Joseph.”

Il est utile de lire le paratexte afin d’aborder le texte en ayant toutes les informations nécessaires.

Les informations importantes ici sont :

  • le cadre spatial de la narration, qui fait écho au titre de l’oeuvre
  • la dimension temporelle
  • les informations concernant la protagoniste Suzanne.

Sa famille est pauvre, elle est plutôt seule au quotidien et recherche son frère Joseph qui, à ce que l’on peut supposer, compte pour Suzanne.

Faire une bonne introduction

Il faut absolument que les premières observations générales y apparaissent :

  • le titre et la date de publication de l’oeuvre dont est extrait le texte, sa nature
  • ce qu’il raconte, le type de narrateur, le registre, les figures de style majeures
  • la structure du texte(trois parties ici)
  • la problématique.

Premier paragraphe d’un Barrage contre le Pacifique

Méthode: mettre en lumière les points les plus importants en alternant entre des remarques générales et des analyses plus poussées.

Les points à développer:

Les temps verbaux : le passé simple et l’imparfait montrent un passage de narration où le rythme est plutôt lent, c’est souvent des descriptions ou des flux de conscience.

Le motif du cinéma : un divertissement, une fiction. Ce motif nous donne plus d’indications sur le protagoniste. Il est important d’étudier ici les verbes (exemple “se cacher”) qui montrent les valeurs de refuge et d’échappatoire du cinéma pour Suzanne.

La solitude de Suzanne, qui explique et annonce l’importance du cinéma. Le texte commence par l’évocation de l’absence du frère de Suzanne, Joseph, et donc de la solitude du protagoniste. Il y a des étapes dans la solitude de Suzanne car elle devient positive dès lors qu’elle entre dans le cinéma, lieu d’évasion et de satisfaction de désirs inassouvis par l’intermédiaire des personnages à l’écran.

Deuxième paragraphe d’un Barrage contre le pacifique

Méthode : repérer les évolutions par rapport au paragraphe antérieur, alterner entre des analyses générales au sujet du paragraphe et des analyses pointues. Mettre en évidence et analyser les points les plus importants en les démontrant concrètement par des phénomènes stylistiques et des citations.

Les points à développer:

Les temps verbaux : passage du présent simple au passé simple, un temps caractéristique de l’action.

Le rythme de la narration : les premières phrases, très courtes, contrastent avec le paragraphe précédent.

Puis il y a une description énumérative de la parenthèse nocturne permise par le cinéma où les gradations et hyperboles sont nombreuses. Ce rythme matérialise le moment dans le texte et donne un caractère poétique à l’extrait.

La description qui est faite de la nuit du cinéma: les termes choisis révèlent l’importance qu’elle revêt aux yeux de Suzanne.  

Exemple de rédaction :

Il est important de signaler le passage au passé simple qui signale une scène d’action, à mettre en relation avec le cinéma. Les deux premières phrases, très courtes, créent une rupture avec le paragraphe antérieur. Nous passons du cadre spatial de la rue à celui du cinéma, où l’action a lieu en musique et dans le noir et la transition est très rapide. Puis le narrateur évoque les sentiments de Suzanne dans des phrases ayant un rythme croissant dans le cadre d’une gradation. Il y a une gradation sentimentale au sein même de la première phrase: “invisible, invincible et se mit à pleurer de bonheur.”

L’intensité du bonheur senti signale la force du mal-être de Suzanne et sa honte. Puis vient une évocation énumérative, croissante et poétique du cinéma. Le caractère exceptionnel de la nuit temporaire du cinéma est soulignée par la gradation des propositions, l’usage d’un déterminant singulier “la”, les formules comparatives “plus … que” et les hyperboles (“ouverte à tous, offerte à tous (…) la nuit où se consolent toutes les hontes, où vont se perdre tous les désespoirs, et où se lave toute la jeunesse de l’affreuse crasse d’adolescence.”).

Il faut aussi souligner le choix des qualificatifs de la nuit: “l’oasis”, “la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la vraie nuit, (..) la nuit choisie”. Ces qualificatifs insistent sur les vertus apaisante et égalitaire du cinéma, qui résoudrait pour un temps les inégalités sociales et le mal-être des miséreux.

Les verbes utilisés par la suite vont dans ce même sens: “se consolent”, “se perdent”, “se lave” qui est associé à “la crasse” .

Le cinéma est ici présenté comme une catharsis pour les jeunes miséreux comme Suzanne, un moment d’évasion et de thérapie. Cette description cinématographique du cinéma matérialise l’atmosphère de la narration dans le texte, et la poésie naît du rythme croissant et de l’association de termes forts et variés.

Troisième paragraphe d’un Barrage contre le pacifique

Méthode: repérer les évolutions par rapport au paragraphe antérieur, alterner entre des analyses générales au sujet du paragraphe et des analyses pointues. Mettre en évidence et analyser les points les plus importants en les démontrant concrètement par des phénomènes stylistiques et des citations. Partir d’une lecture basique puis aller evrs l’interprétation.

Les points à développer:

Les temps verbaux : le passage du passé simple au présent simple signale une évolution de la narration, nous allons vers un passage de description dans le temps présent de la narration. Exemple : “c’est”.

L’ambiguïté très intéressante du passage quant au niveau de narration permise par le flou de la description à son démarrage : qui est le personnage décrit ? Suzanne ou un personnage féminin du film qu’elle regarde ? Cette confusion possible des deux fictions montre qu’il y a ici un processus de mise en abyme du récit. Elle annonce aussi la projection de Suzanne dans l’espace, le temps et les personnages du film. Exemple:  “C’est une femme jeune et belle.”

La beauté exceptionnelle du personnage décrit, l’attraction qu’elle exerce sur les hommes : il faut mettre en évidence l’aspect mélioratif du portrait qui en est fait. Exemple : “C’est une femme jeune et belle (..) en costume de cour. (..) Les hommes se perdent pour elle, ils tombent sur son sillage comme des quilles et elle avance au milieu de ses victimes, lesquelles lui matérialisent son sillage, au premier plan, tandis qu’elle est déjà loin, libre comme un navire, et de plus en plus indifférente, et toujours plus accablée par l’appareil immaculé de sa beauté .”

Les détails intéressants dans ce portrait, hormis la beauté du personnage, sont l’impression d’évidence et d’inaccessibilité du personnage : “Elle est en costume de cour. On ne saurait lui en imaginer un autre, on ne saurait rien lui imaginer d’autre que ce qu’elle a déjà, que ce qu’on voit. Les hommes se perdent pour elle, (…) elle avance au milieu de ses victimes, lesquelles lui matérialisent son sillage, au premier plan, tandis qu’elle est déjà loin, libre comme un navire, et de plus en plus indifférente, et toujours plus accablée par l’appareil immaculé de sa beauté. (…) Elle a naturellement beaucoup d’argent.”

Idem pour le personnage masculin décrit par la suite : Suzanne a recours à des hyperboles dans un portrait mélioratif et topique de l’homme parfait.

L’importance du regard du spectateur, donc de Suzanne : ce qui peut apparaître de prime abord comme un portrait habituel et universel de la femme fatale du film romantique est en réalité une description subjective faite par Suzanne.

C’est ce qui explique le nombre important de comparaisons, métaphores et images utilisées pour le portrait du personnage féminin. Il faut aussi montrer que le ton et le discours sont mélioratifs, admiratifs, d’où les éléments évoqués antérieurement.

Un exemple de cette subjectivité: “On ne saurait lui en imaginer un autre, on ne saurait rien lui imaginer d’autre que ce qu’elle a déjà, que ce qu’on voit.”, or le pronom “on” désigne Suzanne en filigrane. Le niveau de discours est aussi un signe: “Il est très beau l’autre.”

La thématique topique (thème récurrent dans l’extrait) de l’amour au cinéma : c’est un lieu commun du cinéma, qui ici revêt une importance capitale puisque Suzanne rêve de vivre une telle histoire d’amour.

Ici, ce qui est intéressant est l’importance du mythe de l’histoire d’amour parfaite dans l’esprit d’une jeune fille misérable en mal d’amour.

Exemple : “C’est au carnaval de Venise que l’amour l’attend. Il est très beau l’autre. Il a des yeux sombres, des cheveux noirs, une perruque blonde, il est très noble. Avant même qu’ils se soient fait quoi que ce soit on sait que ça y est, c’est lui. C’est ça qui est formidable, on le sait avant elle, on a envie de la prévenir. (..) ils s’enlacent. Il dit je vous aime. Elle dit je vous aime moi aussi. (…) Foudre d’un tel baiser.”

Tant le lieu que le moment (la nuit) et la manière correspondent aux codes du topique de la rencontre amoureuse. Ici, c’est valorisé par le regard de Suzanne.

L’identification de Suzanne au personnage féminin du film et son désir de fuite de la réalité :

  • la presque confusion des deux espaces fictifs (de la narration et du cinéma),
  • l’impression de perfection qui se dégage de la description faite par Suzanne
  • les dernières exclamations du texte

Tout souligne un fort désir de projection et de fuite de la part de la protagoniste.

Exemple : “On voudrait bien être à leur place. Ah ! comme on le voudrait.” Il est important d’insister sur l’évolution émotionnelle de Suzanne lors de ce paragraphe. Il faut aussi montrer l’échec final : “Ah ! comme on le voudrait.” Le cinéma n’est qu’un échappatoire éphémère de la réalité.

Conclusion

En conclusion : synthétiser les grandes idées du commentaire de manière chronologique et logique.

Les points à aborder ici :

  • la solitude et la pauvreté de la protagoniste dès le premier paragraphe, ce qui la conduit à une tentative de fuite de son existence par le biais du cinéma
  • la mise en abyme
  • le changement de narrateur dans les deux derniers paragraphes

Afin de montrer une gradation dans la tentative d’évasion de Suzanne.

Puis, veillez à élargir le propos en évoquant la portée universelle des émotions de Suzanne, elle devient ici l’archétype de la jeune femme pauvre et frustrée qui trouve consolation dans les films romantiques.

Pour poursuivre vos révisions n’hésitez pas à regarder d’autres commentaires rédigés publiés sur le site.

Tu veux plus d’informations et de conseils pour réussir tes examens et trouver ton orientation ? Rejoins-nous sur Instagram et TikTok !

À la une