Introduction
La Chine n’est plus une puissance émergente : elle est désormais une puissance installée, incontournable. Deuxième économie mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire, acteur spatial, diplomatique et commercial, la Chine développe depuis vingt ans une politique étrangère à la fois stratégique, multiforme et résolument centrée sur ses intérêts. Mais quels sont les logiques, les instruments et les ambitions de cette diplomatie chinoise ? Et comment se positionne-t-elle face aux autres grandes puissances ?
Ce qu’il faut retenir
Objectifs principaux : préserver la souveraineté, sécuriser les routes commerciales, renforcer le rayonnement mondial, défier l’hégémonie américaine.
Principes affichés : non-ingérence, coopération mutuellement bénéfique, multilatéralisme.
Instruments : diplomatie économique (Nouvelles routes de la soie), investissements, cybersécurité, alliances régionales, guerre informationnelle.
Exemples clés : Taïwan, mer de Chine, Afrique, Asie centrale, partenariat avec la Russie.
Ambiguïtés : discours pacifique mais actions coercitives, volonté d’influence sans leadership assumé.
La Chine se rêve en puissance respectée et incontournable, sans vouloir (pour l’instant) remplacer l’Occident, mais bien l’équilibrer.
Une diplomatie fondée sur la stabilité intérieure
Depuis Mao Zedong, la diplomatie chinoise est toujours au service d’un objectif premier : maintenir la stabilité interne du pays. Ce principe fondateur s’exprime encore aujourd’hui sous la présidence de Xi Jinping : la politique étrangère chinoise est d’abord une politique de puissance au service du Parti communiste.
Les principales menaces perçues par Pékin viennent de l’extérieur : pressions américaines, ingérences sur le Tibet ou le Xinjiang, soutien international à Taïwan. Pour contrer cela, la Chine développe une diplomatie de souveraineté, très rigide sur les questions de frontières, d’autonomie régionale ou de modèles politiques.

Une montée en puissance discrète… puis affirmée
Pendant longtemps, la Chine a suivi la maxime de Deng Xiaoping : « cacher ses capacités, attendre son heure ». Ainsi, dans les années 1980–1990, elle adopte une posture discrète, visant à attirer les investissements, intégrer les institutions internationales (OMC en 2001), et renforcer son économie.
Mais à partir des années 2010, un tournant s’opère. La Chine devient plus ambitieuse, plus visible. Elle lance les Nouvelles routes de la soie (2013), multiplie les projets d’infrastructure, rachète des ports, des terres, des entreprises. Elle s’implante économiquement en Afrique, en Asie, en Europe de l’Est, en Amérique latine.
La diplomatie devient un outil au service de la puissance économique. Pékin parle désormais de « civilisation harmonieuse », de « multipolarité », de « coopération gagnant-gagnant » — tout en consolidant une stratégie de long terme.

Le modèle chinois : autoritaire mais séduisant ?
La Chine ne cherche pas (encore) à imposer un modèle politique comme l’ont fait les États-Unis avec la démocratie libérale. En revanche, elle promeut une vision alternative de l’ordre mondial : un monde post-occidental, centré sur le respect de la souveraineté, le refus des ingérences, la stabilité économique.
De nombreux pays – surtout dans le Sud global – trouvent ce discours séduisant : pas de conditionnalités politiques, des financements rapides, une puissance à la fois rassurante et non coloniale.
Mais derrière cette façade, des critiques émergent : projets peu durables, dépendance financière, main-d’œuvre importée, opacité des accords. La Chine exporte moins un modèle qu’une méthode d’influence économique.

Taïwan et la mer de Chine : lignes rouges absolues
Deux dossiers cristallisent la politique étrangère agressive de Pékin :
- Taïwan : considéré comme une province rebelle, dont la réunification est une priorité nationale. La Chine rejette toute reconnaissance diplomatique de l’île. Les États-Unis, tout en soutenant une politique d’ambiguïté stratégique, arment Taïwan et créent des tensions croissantes.
- Mer de Chine méridionale : Pékin revendique plus de 80 % de cette mer stratégique, au détriment des Philippines, du Vietnam, de la Malaisie, etc. Des bases artificielles sont construites, des navires patrouillent, et les tensions montent régulièrement avec les puissances occidentales.
Dans ces deux cas, la Chine affiche une diplomatie coercitive, mêlant pressions économiques, sanctions diplomatiques et démonstrations de force.

L’Afrique et l’Asie centrale : les nouveaux terrains d’influence
Sur le continent africain, la Chine est devenue, en vingt ans, le premier partenaire commercial de plus de 30 pays. Routes, barrages, stades, universités, mines : elle finance massivement les infrastructures, souvent via des prêts d’État à État. Cela peut créer une relation de dépendance de la part des pays endettés.
En Asie centrale, ancienne sphère d’influence russe, la Chine gagne du terrain, avec notamment l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), la Belt & Road Initiative, ou encore des partenariats sécuritaires.
Mais cette influence croissante s’accompagne de critiques : surendettement des pays hôtes, absence de règles sociales ou écologiques, peu de retombées locales. La Chine cherche plus des accès logistiques et stratégiques qu’un développement mutuel.

Une relation stratégique mais ambivalente avec la Russie
La Russie et la Chine partagent une hostilité envers l’Occident, un rejet du modèle libéral et un désir d’un ordre mondial multipolaire. Depuis 2014, et plus encore depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, leurs relations se renforcent : sommets bilatéraux, manœuvres militaires communes, coopération énergétique.
Mais cette alliance reste asymétrique : la Russie, affaiblie, dépend de la Chine. Et Pékin, prudent, n’a jamais reconnu l’annexion de la Crimée ni celle du Donbass. La Chine veut exploiter les faiblesses russes, sans s’aligner pleinement.
C’est une alliance de circonstance, pas une alliance idéologique.

Vers un leadership mondial ?
Pékin multiplie les initiatives pour remodeler les règles du jeu mondial :
- Création d’organismes alternatifs (Banque asiatique d’investissement, New Development Bank des BRICS)
- Forum des Routes de la Soie
- Discours réguliers sur la réforme de la gouvernance mondiale
Mais la Chine reste ambivalente. Elle veut plus de place dans les institutions existantes (ONU, FMI), sans les quitter. Le pays veut affirmer sa puissance, mais sans effrayer ses partenaires. Elle est encore loin de proposer un récit global mobilisateur, comme l’ont fait les États-Unis après 1945.
Conclusion
La politique étrangère chinoise est à la fois ambitieuse et prudente. Elle repose sur un dosage complexe : projection de puissance, défense des intérêts vitaux, expansion économique, mais sans rupture frontale avec l’ordre mondial.
À la différence de l’interventionnisme américain, la Chine privilégie les leviers indirects : infrastructures, normes, commerce, alliances régionales. Mais derrière le discours pacifique, une fermeté sans compromis se manifeste dès qu’il s’agit de souveraineté.
La Chine ne veut pas dominer, mais devenir incontournable. Elle construit pas à pas un monde à son image — stable, hiérarchisé, pragmatique — où sa parole aura le dernier mot. Reste à savoir si ce monde séduira… ou inquiétera.







