justice Aristote

Philosophie : Justice distributive et commutative chez Aristote

À lire dans cet article :

La justice est un bien, mais comment la comprendre et la définir ? Il est évident que la  justice est un concept équivoque, qui renvoie à la fois à l’ordre politique, à l’attitude envers autrui, et à la répartition des biens. Aristote consacre ainsi le livre V de L’Éthique à Nicomaque à élucider cette notion difficile.

 

Contexte

L’Éthique à Nicomaque est le grand ouvrage de morale d’Aristote. Chez lui, la morale se comprend avant tout comme recherche du bonheur et de la vie bonne (c’est un eudémonisme), seulement atteignable, pour l’homme, dans une cité organisée. Le bonheur n’est cependant pas identique au plaisir : il est avant tout une “activité de l’âme conforme à la vertu”. Dès lors, l’étude du bonheur requiert l’étude de la vertu, réalisée dans le livre II de l’ouvrage. La vertu morale y est définie en II, 6 comme :

Une disposition à agir d’une façon délibérée, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme le déterminerait l’homme prudent. Mais c’est une médiété entre deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut ; et < c’est encore une médiété > en ce que certains vices sont au-dessous, et d’autres au-dessus du « ce qu’il faut » dans le domaine des affections aussi bien que des actions, tandis que la vertu, elle, découvre et choisit la position moyenne.

Par “médiété”, il faut entendre un juste milieu entre deux vices. Ce juste milieu est, par exemple, le courage, qui est également éloigné de la témérité, qui est un excès, et de la lâcheté, qui est un manque. Ce juste milieu peut être évalué différemment selon les personnes, de même qu’un individu grand aura besoin de plus de nourriture qu’un individu petit (sa “médiété alimentaire” sera évaluée différemment de celle de l’individu petit).

En outre, la vertu repose sur des possibilités inscrites dans la nature humaine, mais elle ne s’enracine dans l’individu que par l’habitude et la répétition. C’est ainsi que celui qui veut devenir courageux se mettra face au danger pour apprendre à y réagir convenablement, et que, l’habitude du courage s’enracinant en lui, il deviendra apte à réagir courageusement : c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Ou, en termes aristotéliciens, c’est par l’habitude que ce qui était en puissance dans l’individu devient une vertu en acte.

Enfin, celui qui fait preuve de vertu y prend du plaisir, ce qui participe de son bonheur. Cela permet de distinguer l’intempérant de celui qui est vraiment modéré : celui qui prend du plaisir à la modération en a la vertu, il possède la disposition (hexis) de modération, tandis que celui qui continue à éprouver de la peine à être modéré n’a pas cette disposition et est, au fond, toujours intempérant.

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L’étude de la justice

Le livre V est tout entier consacré à la question de la justice. Elle est d’emblée considérée comme une disposition à accomplir les actions justes, mais présente une équivocité, qu’il faudra articuler :

Le juste, donc, est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l’égalité, et l’injuste ce qui est contraire à la loi et ce qui manque à l’égalité.

Cette acception ne va pas de soi : on pourrait en effet arguer que tout ce qui est légal n’est pas légitime, c’est-à-dire juste, et que l’égalité peut être injuste.

 

La justice universelle ou légale

Dans le cas de la justice légale, Aristote fait remarquer qu’il s’agit d’une vertu totale, car elle embrasse en elle les autres vertus :

La loi nous commande aussi d’accomplir les actes de l’homme courageux (par exemple, ne pas abandonner son poste, ne pas prendre la fuite, ne pas jeter ses armes), ceux de l’homme tempérant (par exemple, ne pas commettre d’adultère, ne pas être insolent), et ceux de l’homme de caractère agréable (comme de ne pas porter des coups et de ne pas médire des autres), et ainsi de suite.

Il s’agit aussi d’un “bien étranger”, car la loi commande des actions et des attitudes à l’égard d’autrui, et est avantageuse pour lui, puisque la loi concerne tous les hommes.

 

La justice particulière ou égale

Celle-ci n’est pas toute la vertu, mais une partie d’elle. Elle est définie précisément en V9 :

Et la justice est une disposition d’après laquelle l’homme juste se définit comme celui qui est apte à accomplir, par choix délibéré, ce qui est juste ; celui qui, dans une répartition à effectuer soit entre lui-même et un autre, soit entre deux autres personnes, n’est pas homme à s’attribuer à lui-même, dans le bien désiré, une part trop forte, et à son voisin une part trop faible (ou l’inverse, s’il s’agit d’un dommage à partager), mais donne à chacun la part proportionnellement égale qui lui revient, et qui agit de la même façon quand la répartition se fait entre des tiers.

Le juste est donc celui qui attribue à chacun son dû, et ne s’arroge pas davantage ou moins que ce à quoi il a droit. L’égalité en question porte sur les personnes et sur les objets à partager. Il y a par conséquent litige si deux personnes égales reçoivent des choses inégales, ou bien si des personnes inégales reçoivent des choses égales. Par conséquent, la justice n’est pas seulement arithmétique (il s’agit de la justice où chacun reçoit les mêmes gains et les mêmes dommages ; elle est aussi appelée commutative), mais peut aussi être géométrique, lorsque les personnes en question ne sont pas égales. Dans ce cas-là, chacun doit recevoir en fonction de son honneur, ou de son mérite. On parle aussi de justice distributive.

Tous les hommes reconnaissent, en effet, que la justice dans la distribution doit se baser sur un mérite de quelque sorte, bien que tous ne désignent pas le même mérite, les démocrates le faisant consister dans une condition libre, les partisans de l’oligarchie, soit dans la richesse, soit dans la noblesse de race, et les défenseurs de l’aristocratie dans la vertu.

 

Le cas de la justice corrective

La justice corrective, étudiée en V7, relève d’un cas différent, car elle requiert une proportion non pas géométrique, mais bien arithmétique. En effet, là où, dans les gains à recevoir, chacun doit recevoir selon son mérite, dans le cas d’un délit ou d’un crime, il faut avant tout réparer le dommage subi.

En effet, quand l’un a reçu une blessure et que l’autre est l’auteur de la blessure, ou quand l’un a commis un meurtre et que l’autre a été tué, la passion et l’action ont été divisées en parties inégales ; mais le juge s’efforce, au moyen du châtiment, d’établir l’égalité, en enlevant le gain obtenu.

On peut visualiser le crime ou la perte comme une soustraction, et la justice comme l’addition permettant de revenir à l’égalité initiale. À l’inverse, la justice géométrique se comprend selon les opérations de la multiplication et de la division : celui qui mérite deux fois plus y reçoit deux fois plus.

C’est cette même justice qui intervient dans les transactions privées comme le commerce : chaque acteur y est considéré comme égal à l’autre, et la transaction juste est celle qui maintient cette égalité. Dans le commerce, c’est la monnaie qui sert de support à cette égalité arithmétique :

Toutes les choses faisant objet de transaction doivent être d’une façon quelconque commensurables entre elles. C’est à cette fin que la monnaie a été introduite, devenant une sorte de moyen terme, car elle mesure toutes choses et par suite l’excès et le défaut, par exemple combien de chaussures équivalent à une maison ou à telle quantité de nourriture.

Ainsi, la monnaie se présente comme une institution politique permettant de mesurer la valeur de chaque marchandise et de les comparer les unes aux autres, ce qui permet ensuite de les échanger sur un pied d’égalité arithmétique.

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Voilà pour la justice au sens d’Aristote. On espère t’avoir aidé !

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