L’épreuve de philosophie est généralement l’une des plus redoutée par le élèves de terminale, elle demande beaucoup de rigueur et de préparation. Tu n’es pas encore certain(e) d’être prêt(e) ? Pas de panique, nous t’accompagnons dans tes révisions jusqu’au dernier jour.
Dans cet article, nous te proposons quelques éléments de corrigé sur le sujet « Suis-je ce que mon passé a fait de moi ? » (sujet tombé au baccalauréat session 2015).
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Introduction
Eugène-François Vidocq est resté célèbre comme chef de la « brigade de sûreté » de Paris, après avoir passé les premières années de sa vie comme brigand et délinquant. Un tel retournement peut nous conduire à nous interroger : il semble que Vidocq a fait table rase de son passé pour devenir un tout autre homme et se ranger du côté de la justice. On peut dès lors se poser la question : suis-je ce que mon passé a fait de moi ? Une telle question interroge notre identité dans le temps, en articulant trois itérations de la première personne du singulier, d’abord, comme « je », sujet de cette identité, puis comme « mon passé » – ici, l’adjectif possessif semble indiquer que je dispose du « passé » -, enfin comme « moi », c’est-à-dire comme patient et matière de l’action du passé. Ainsi, le sujet présuppose que mon passé, loin d’être quelque chose dont je dispose, me relègue en fait à un rang passif et déterminé.
Cette question met ainsi en cause le rapport entre le temps et ma liberté : d’un premier point de vue, il est bien évident que je suis ce que mon passé a fait de moi, puisque ce que je suis repose tout entier dans ce que j’ai été jusqu’ici ; mais, inversement, l’on pourrait arguer que mon passé est justement, par définition, passé, derrière moi, et que, pour ma part, je suis au présent, détaché et différent de mon passé. Si mon passé est vraiment mien, alors je dois pouvoir en disposer, au présent, et m’en affranchir librement, comme bon me semble, de façon à être un « je » sujet et non plus un « moi » objet. Mais alors, l’on pourrait se demander ce qu’il reste de ce « moi » affranchi de tout passé, qui pourrait n’être dès lors qu’une coquille vide, une abstraction. Ainsi, nous tâcherons de résoudre le problème suivant : comment le moi peut-il être à la fois le produit déterminé de son passé et un agent libre capable de s’en affranchir ?
Nous montrerons d’abord que le moi est bien, avant tout, le produit de son passé : son passé détermine son présent de façon continue, sans qu’il puisse y avoir de cassure entre le présent et le passé. Cependant, une telle conception fragilise la distinction entre le passé et le futur, ce qui nous portera à défendre que le moi est au contraire d’autant plus lui-même qu’il s’affranchit librement de son passé, qui n’est passé justement qu’en tant que relégué par le moi. Toutefois, cette position fragilise cette fois le moi lui-même, qui risque de voir son identité réduite ; aussi, nous avancerons que le moi est libre justement en tant qu’il embrasse activement tout son passé pour créer quelque chose de nouveau dans le présent.
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Éléments de première partie
Le moi se comprend avant tout comme son passé, et il n’est en effet rien d’autre que le déploiement de ce passé dans le présent. Cette conception du moi conduit à décrire son développement comme continu, sans saut ou brisure entre le passé et le présent. Nous verrons cependant que cette position est limitée, en ce qu’elle amoindrit la distinction entre le passé et le présent.
Passé et identité
Si l’on nous demande « qui êtes-vous ? », l’on répondra par notre nom, notre profession, notre nationalité, voire nos goûts et expériences. Dans tous les cas, ces réponses reposent sur des événements passés : mon nom a été donné à ma naissance, et tout ce qui me définit et identifie semble ainsi puiser dans ma mémoire et mon passé. Ce que je suis semble donc consister en l’ensemble de mon passé, depuis ma naissance jusqu’à aujourd’hui. De la sorte, mon identité ne consiste pas seulement en ma mémoire, mais aussi en mon passé inconscient : je ne suis pas seulement tout ce dont je me rappelle, mais ce que je suis aujourd’hui, comme mon caractère par exemple, est produit par ce que j’étais dans ma toute petite enfance, dont je n’ai aucun souvenir. En outre, mon identité est quelque chose de simple : je ne suis qu’un seul « moi-même », malgré toute la longueur de mon passé et la pluralité de mes expériences. L’on peut ainsi affirmer que mon identité, à travers mon passé, témoigne d’une essence toujours en développement. Cette essence est l’essence d’une substance, que j’étais et que je suis. Cette position est celle que défend Leibniz dans La Monadologie : chaque substance, y compris celle que je suis, est un être simple qui recouvre une multiplicité qualitative et temporelle qui la différencie des autres substances. D’après le philosophe, la perception n’est rien d’autre que la synthèse de cette multiplicité à chaque instant du présent. Mon passé n’est ainsi rien d’autre que l’ensemble de mes perceptions précédentes. En outre, étant donné que chaque substance a l’ensemble de son identité comprise dans une essence qui se déploie dans le temps, et que cette essence est la même une fois pour toutes, il faut admettre que mon essence est déterminée de toute éternité, et que mon présent procède de mon passé de façon nécessaire, sans que j’aie le choix de transformer cette essence. Ainsi, si je suis ce que mon passé a fait de moi, ma liberté est extrêmement réduite, et mon présent tout entier est produit par mon passé, sans que le présent apporte quelque chose de nouveau. Ainsi, comme l’écrit Leibniz, §22, « tout présent état d’une substance simple est naturellement une suite de son état précédent, tellement que le présent y est gros de l’avenir ». Ainsi, la substance simple que je suis, ou monade, peut se comprendre comme déploiement immanquable et déterminé de son essence dans le temps, de sorte que le présent n’est rien d’autre que le déploiement nécessaire du passé.
La continuité du passé au présent
Cette position implique que la production de mon présent par mon passé soit parfaitement continue, sans rupture, puisque tous les événements de mon présent sont le déploiement prévu d’avance de mon passé : si je suis libre, ma liberté ne me permet pas d’interrompre ce déploiement nécessaire, elle ne me permet pas d’introduire une discontinuité. Pour Leibniz, ma liberté est maintenue dans la mesure où le contenu de ma substance, mon essence, est contingente, et qu’elle eût pu être toute autre, si le choix de Dieu avait été différent. Ma volonté est inclinée selon les motifs charriés par mon passé, mais n’est pas déterminée nécessairement : comme mon présent et mon passé sont contingents, ils ne sont pas nécessaires, ce qui maintient un espace pour une forme de liberté. Ainsi, Vidocq lui-même aurait un destin continu, sans rupture, et il est vrai que celui qui connaît bien le milieu de la délinquance et du brigandage a tout pour devenir un bon indicateur, puis un bon policier.
Limites de la thèse
Toutefois, cette conception du passé et de la liberté est limitée, dans la mesure où cette liberté n’est jamais exercée en réalité : certes, mes choix présents sont contingents, et pourraient être autres. En cela, je suis ce que l’on pourrait appeler un automate spirituel, dont le passé se déploie de lui-même dans le présent. Nonobstant, l’on peut arguer que cela n’est pas suffisant pour se considérer comme libre, c’est-à-dire comme détaché de la chaîne des causes déterminées, capable de s’en abstraire pour être soi-même le commencement absolu d’une nouvelle chaîne d’effets. C’est ainsi que Kant critique la position de Leibniz dans la Critique de la Raison pratique : pour lui, la liberté selon Leibniz « ne serait au fond pas meilleure que la liberté d’un tournebroche qui, lui aussi, une fois qu’il a été remonté, accomplit son mouvement de lui-même ». Ce déploiement automatique du passé vers le présent rend ainsi problématique l’attribution à l’homme d’une forme authentique de liberté.
Plus grave, cette position compromet la distinction entre le passé et le présent : si mon présent n’est rien d’autre que le déploiement de mon passé, quelle différence reste-t-il entre le passé et le présent ? Ne devrait-il pas plutôt y avoir un seul temps continu, sans distinction entre le passé, le présent et le futur ? L’existence même du présent simple indiquer qu’il existe une rupture, une cassure réelle entre le passé et le présent.
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Éléments de deuxième partie
Ainsi, si nous concevons strictement le moi comme ce que mon passé produit nécessairement, sans écart et sans nouveauté introduite par le présent, non seulement le concept de liberté est fragilisé, mais c’est la distinction même entre le passé et le présent qui doit être remise en question. Or, cette distinction est parmi les choses les plus évidentes de notre expérience. Il semble donc qu’il nous faille dépasser notre première position, en envisageant que je puisse ne pas être ce que mon passé a fait de moi.
La rupture entre le passé et le présent
Le manque de distinction entre les éléments du temps nous conduit ainsi à avancer que la liberté puisse être ce qui, justement, introduit une coupure, une limite entre le présent et le passé, et constitue une condition de leur différence. Ainsi, il faudrait dire que je ne suis pas ce que mon passé a fait de moi, sans quoi le mot même de passé n’aurait aucun sens : c’est la rupture que j’introduis entre le présent et le passé qui crée leur écart. Cette thèse est défendue par Jean-Paul Sartre dans L’Être et le Néant.
Dans cet ouvrage, le philosophe mobilise le concept de liberté pour comprendre la différence entre le présent le passé. Son analyse se fonde sur une conception de la liberté comme néant, c’est-à-dire comme vide ou indépendance que le sujet qui dit je introduit dans les objets qu’il appréhende. Parce que le moi est conscient, parce qu’il est pour lui-même, Sartre appelle son mode d’être le pour-soi. Les objets qu’il appréhende, eux, parce qu’ils ne sont pas conscients et restent immuablement ce qu’ils sont, relèvent de l’en-soi. Comme la conscience introduit un néant dans ce qu’elle est elle-même, elle n’est pas ce qu’elle est (alors que la chaise, elle, qui est sans conscience, est ce qu’elle est, sans décalage ni écart). Ce néant est manifeste dans le rapport du passé au présent : je suis, au présent, mon passé (par exemple, je suis un ancien bébé) ; toutefois, je le suis sur le mode de l’avoir-été, c’est-à-dire sur le mode du passé, qui est séparé de moi par un néant. Autrement dit, je suis mon passé dans la mesure où je ne le suis pas, où il est relégué derrière moi. Comme l’écrit Sartre : « La liberté c’est l’être humain mettant son passé hors de jeu en sécrétant son propre néant. » Mon passé est ce que je suis sur le mode de l’en-soi, c’est-à-dire sur le mode de l’être définitif, immuable ; mais mon présent, lui, je le suis sur le mode du pour-soi, libre et ouvert sur tous les possibles. La distinction même entre le passé et le présent nous permet ainsi de répondre par la négative : je ne suis pas ce que mon passé a fait de moi, et même, je ne suis moi-même que dans la mesure où je traite mon passé comme passé, c’est-à-dire comme quelque chose d’anéanti, que je peux reléguer et dont je peux m’affranchir.
La liberté en situation
Cependant, notre première thèse n’est pas pour autant entièrement invalidée : certes, je ne suis que dans la mesure où je suis libre de mon passé, mais, en même temps, je suis mon passé. Ce fait que je suis mon passé, Sartre le nomme “situation”. La situation est le socle, la matière de ma liberté. Je suis absolument libre, mais cette liberté s’applique à de l’en-soi, à des objets qui m’opposent une résistance. Mon passé est lui-même un objet résistant : je le traîne derrière moi, il est quelque chose dans lequel je suis situé, que je le veuille ou non. Cependant, du fait de ma liberté, je peux décider de m’affranchir de mon passé, d’être une autre personne que celle que mon passé m’assigne. In fine, ma liberté, mon être-pour-soi, n’est liberté que si elle est appliquée à de l’en-soi, tel que mon passé. Admettre ma liberté vis-à-vis de mon passé, ce n’est donc pas pour autant nier toute influence de mon passé sur ce que je suis. Simplement, c’est juger que cette influence peut être modifiée, voire niée par ma liberté.
Limites de la thèse
Cependant, cette position est limitée par le statut même de ma liberté vis-à-vis de mon passé. En effet, si je suis libre de faire n’importe quoi de mon passé, qu’est-ce qui motivera mon choix de réaliser tel ou tel possible ? Comment un choix peut-il être absolument libre, détaché de toutes les inclinations trouvables dans mon passé ? Car, si je fais un choix, il y a bien un mobile, même inconscient ou infinitésimal, qui m’a fait pencher pour un côté plutôt que l’autre. Ici, la difficulté n’est pas dans la distinction entre le présent et le passé, mais dans la teneur du moi lui-même. Autrement dit, ce n’est plus la différence entre le présent et le passé qui paraît vide, mais le moi lui-même, dénué de tout motif qui l’incline dans sa liberté. Quelle est mon identité, si, en raison de ma liberté, je suis toujours séparé de tout mon passé ? Mon identité passée est riche, mais passée. Dès lors, que reste-t-il dans mon présent, si ce n’est ce néant qu’est ma liberté ? Certes, je ne suis pas ce que mon passé a fait de moi, mais alors, qui suis-je ?
Par conséquent, il semble bien que notre deuxième position ne soit pas tenable non plus, en l’état. Certes, je ne suis pas ce que mon passé a fait de moi, mais il faut bien qu’il y ait une certaine continuité entre mon passé et mon présent, sans quoi je ne serais rien ni personne.
Éléments de troisième partie
Face à l’impossibilité d’être entièrement ce que mon passé a fait de moi, et l’impossibilité égale de ne pas être ce que mon passé a fait de moi, il nous faut réintroduire une forme de continuité entre le passé et le présent, tout en maintenant une forme de liberté vis-à-vis de ce passé.
Durée et présent
Ce qui manquait à notre première thèse, dans son traitement de la liberté du moi, c’était la position selon laquelle rien dans le présent n’introduit de nouveauté par rapport à ce qui est prévu de toute éternité et inscrit dans notre passé. Chez Leibniz, le présent ne fait que développer ce qui est déjà gravé dans le passé, et le présent n’est en rien le lieu d’une floraison de nouveauté. Pourtant, lorsque nous éprouvons le moment présent, nous ressentons qu’il n’est pas une simple redite du passé, mais qu’il offre toujours quelque chose de nouveau et d’inouï : rien de ce qui est présent, au sens strict et rigoureux, n’est encore arrivé, et chaque configuration du monde est toujours nouvelle, ne serait-ce que par un détail. Ainsi, le temps n’est pas simplement développement nécessité de toute éternité, ni coupure toujours renouvelée vis-à-vis du passé, mais création continuelle de nouveauté. Autrement dit, il est durée. C’est ce terme que mobilise Bergson dans L’Essai sur les données immédiates de la conscience pour rendre compte du temps tel qu’il est éprouvé par l’homme. « La durée toute pure, écrit-il, est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre, quand il s’abstient d’établir une séparation entre l’état présent et les états antérieurs. » Elle est donc avant tout le temps vécu comme continu, ininterrompu et sans coupure nette entre les événements. De ce point de vue, notre présent est bien la continuation du passé, mais cette continuation est un accroissement libre d’imprévisible nouveauté.
Embrasser son passé dans l’acte libre
Dans cette conception du rapport entre notre présent et notre passé, une authentique liberté a toute sa place. En effet, la durée est toujours continue, ce qui signifie qu’elle charrie avec elle tout ce qu’elle était. Être libre, de ce point de vue, c’est agir en embrassant tout notre passé, y compris notre passé inconscient, dans un acte de nouveauté qui transfigure ce passé en un présent imprévisible, mais en continuité avec lui. Cependant, la majorité de nos actions ne sont pas libres, mais déterminées ou mécaniques : l’action quotidienne suit la pente de l’habitude, qui ne mobilise pas tout notre passé, mais seulement les routines propres à insérer nos actes efficacement dans le monde. Les actions libres, elles, sont celles qui nous conduisent à apporter quelque chose de nouveau dans le monde, et cette nouveauté est produite par la synthèse de notre passé tout entier. La liberté n’est donc pas affranchissement vis-à-vis du passé, mais bien reprise de ce passé tout entier pour le transfigurer en quelque chose de nouveau. L’on peut ainsi affirmer que je suis ce que mon passé a fait de moi, puisque mon identité profonde, mon « moi fondamental » est avant tout la synthèse de ce passé. Et, en même temps, l’on peut dire que je ne suis pas ce que mon passé a fait de moi, puisque je ne suis pas déterminé par mon passé, mais au contraire par un présent ossifié, mécanique, qui correspond à l’aspect routinier de ma vie.
Ainsi, il serait plus juste de dire que je me fais dans la mesure où j’embrasse l’ensemble de mon existence passée : ce n’est pas mon passé qui me détermine, mais moi-même qui m’identifie à mon passé et y puise ma liberté.
Conclusion
Notre parcours nous a conduit à opposer deux conceptions antithétiques du temps : la première nous faisait voir que l’identité du moi n’était rien d’autre que le développement prévu d’une essence immuable, au risque de rendre diffuse la distinction entre le passé et le présent ; la seconde nous montrait que l’identité était justement coupure vis-à-vis de toute essence prédéfinie dans mon passé, au risque de vider le moi de tout contenu colorant cette liberté retrouvée. Nous avançons donc que c’est moins mon passé qui fait de moi ce que je suis, que moi qui suis d’autant plus moi-même que je laisse affluer l’ensemble de mon passé, dans toute sa richesse. C’est seulement l’infinie richesse de ces expériences passées qui peut accoucher d’une liberté et d’une identité authentique pour le moi. De ce point de vue, la liberté s’oppose moins au déterminisme qu’à la routine sédimentée.
Voilà pour cette proposition de corrigé, qui devrait t’aider à voir à quoi pourrait ressembler une copie de philosophie. J’ai un peu enrichi les arguments tirés d’auteurs, pour cela puisse resservir pour d’autres dissertations aux sujets proches. Un tel niveau d’érudition et de technicité n’est évidemment pas attendu en terminale, mais c’est un idéal que l’on peut garder en tête.