Incipit de “La Bête humaine” de Zola – Commentaire linéaire

À lire dans cet article :

L’incipit de “La Bête humaine” de Zola fait partie de la fresque politique et sociale des Rougeon-Macquart. Il s’agit d’un incipit naturaliste à analyser en employant les bons mots, et avec la bonne méthode!

En guise d’introduction

Quelques éléments à rappeler, sans oublier les mots-clés : 

  • Zola : le chef de file du mouvement naturaliste 
  • le texte : mentionner le terme d’incipit in medias res 
  • l’oeuvre : évoquer l’intrigue et les enjeux du roman en une phrase courte : le 10ème livre de la fresque politique et sociale des Rougon-Macquart, il s’agit d’un roman naturaliste sur le monde industriel et ferroviaire et les moeurs du Second Empire

Analyse linéaire

En entrant dans la chambre, Roubaud posa sur la table le pain d’une livre, le pâté et la bouteille de vin blanc. Mais, le matin, avant de descendre à son poste, la mère Victoire avait dû couvrir le feu de son poêle, d’un tel poussier, que la chaleur était suffocante. Et le sous-chef de gare, ayant ouvert une fenêtre, s’y accouda.

Le participe présent ” en entrant ” indique que l’action n’est pas terminée. Zola emploie le passé simple (temps de l’action dans le passé par opposition à l’imparfait, temps de la description)

Il s’agit d’un incipit in medias res, qui plonge le lecteur au coeur de l’action.

L’énumération de denrées alimentaires (pain, pâté, bouteille de vin blanc) inscrit le texte dans une veine naturaliste : prêter attention aux détails pour donner une image fidèle de la réalité, de manière quasi scientifique (Zola comparait le romancier au savant). 

L’incipit nous donne des indications sur le cadre spatio-temporel

  • le temps de l’action : la référence à un ” poêle” laisse supposer que nous sommes en hiver 
  • l’espace : champ lexical qui renvoie à un intérieur modeste (poêle, pâté) 

Le groupe nominal ” et le sous-chef de gare ” renseigne le lecteur sur le métier du personnage principal. 

L’imparfait (la chaleur était étouffante) est le temps de la description : il s’agit de décrire l’ambiance de la pièce de manière réaliste

C’était impasse d’Amsterdam, dans la dernière maison de droite, une haute maison où la Compagnie de l’Ouest logeait certains de ses employés. La fenêtre, au cinquième, à l’angle du toit mansardé qui faisait retour, donnait sur la gare, cette tranchée large trouant le quartier de l’Europe, tout un déroulement brusque de l’horizon, que semblait agrandir encore, cet après-midi-là, un ciel gris du milieu de février, d’un gris humide et tiède, traversé de soleil.

L’imparfait ” c’était ” annonce un passage descriptif

L’auteur nous livre des indications sur : 

1) le lieu où se déroule l’action, par une juxtaposition de compléments circonstanciels de lieu

L’énumération qui localise la fenêtre prouve une attention naturaliste aux détails et à l’architecture (” au cinquième, toit mansardé “). 

Zola recourt à la métaphore (” trouer ” et ” agrandir “) pour désigner la place de la gare dans la ville et l’horizon. 

La répétition du terme gris permet de préciser la description. 

2) le contexte temporel : mois et moment de la journée. 

La juxtaposition du nom ” gris ” et des adjectifs ” humide et tiède ” qui renvoient davantage la météo qu’à une couleur, est étonnante. La grisaille pourrait annoncer l’ambiance du roman (qui se passe dans un espace industriel) ou ses ressorts tragiques). 

En face, sous ce poudroiement de rayons, les maisons de la rue de Rome se brouillaient, s’effaçaient, légères. À gauche, les marquises des halles couvertes ouvraient leurs porches géants, aux vitrages enfumés, celle des grandes lignes, immense, où l’œil plongeait, et que les bâtiments de la poste et de la bouillotterie séparaient des autres, plus petites, celles d’Argenteuil, de Versailles et de la Ceinture ; tandis que le pont de l’Europe, à droite, coupait de son étoile de fer la tranchée, que l’on voyait reparaître et filer au- delà, jusqu’au tunnel des Batignolles. 

Les compléments circonstanciels de lieu ” en face “, ” à gauche ” et les noms propres ” Argenteuil, Versailles ” permettent au lecteur de se repérer par rapport à la fenêtre et à la ville de Paris. 

La métaphore du ” poudroiement de rayons ” pour désigner le temps montre que la description naturaliste n’est pas purement scientifique : elle comporte aussi une dimension littéraire et poétique

Les maisons sont presque personnifiées lorsque Zola leur associe l’adjectif ” légère “.  

Le pont est également personnifié, décrit comme ” coupant ” la tranchée. 

Recours à l’hyperbole avec les ” porches géants “, les ” lignes immenses ” : il s’agit de faire ressentir l’immensité du quartier industriel. 

L’adverbe de lieu ” au-delà “ prolonge la description et met l’accent sur la taille de la capitale. 

Le ” on ” inclusif ” on voyait ” permet d’inclure le lecteur dans la scène décrite et de rendre plus vivante la description. 

Le champ lexical est celui de l’urbain

Et, en bas de la fenêtre même, occupant tout le vaste champ, les trois doubles voies qui sortaient du pont, se ramifiaient, s’écartaient en un éventail dont les branches de métal, multipliées, innombrables, allaient se perdre sous les marquises. Les trois postes d’aiguilleur, en avant des arches, montraient leurs petits jardins nus. Dans l’effacement confus des wagons et des machines encombrant les rails, un grand signal rouge tachait le jour pâle.

La conjonction de coordination ” et ” est une surenchère dans la description : comme si l’espace était si immense qu’il était impossible d’en livrer une description brève et concise. 

Les participes présents ” occupant “, ” montraient ” donnent l’impression au lecteur de se trouver devant le paysage. La description est neutre et objective

Le verbe ” se ramifier ” pourrait faire référence aux trajets des personnage de l’oeuvre, changeant fréquemment de voie. 

Zola compare implicitement les voies de chemin de fer à un éventail ” marquises, éventail ” : il y a une opposition entre le monde de l’industrie et des machines et celui de la mode et de l’élégance. 

L’énumération ” multiples ” et ” innombrables ” avec l’usage du préfixe privatif ” in ” insistent sur la multiplicité des voies. 

Les postes sont personnifiés, l’adjectif ” nu ” renvoie à l’absence de monde végétal et au caractère industriel du paysage décrit. 

Le champ sémantique de l’industrie est d’ailleurs très présent : ” wagon, machine, rail, métal, voie, pont “. 

Les adverbes ” en avant “, ” en bas”, indiquent que la description progresse de manière logique

Proposition de plan

I – Un incipit in medias res 

  • L’action immédiate (participe présent, inclusion du lecteur) (“en entrant dans la chambre”)
  • Des indications spatio-temporelles réalistes et précises (“en bas de la fenêtre même”, “à gauche”, Argenteuil et Versailles”, “jusqu’au tunnel des Batignolles”)

II – Un monde industriel 

  • Une description naturaliste d’un Paris industriel (“les porches géants aux vitrages enfumés”, “les grandes lignes immenses”)
  • Le paysage industriel décrit de manière exhaustive (“le bâtiment de la poste et de la bouillotterie”, “branches de métal innombrables”, “dans l’effacement confus des wagons”)

III – L’annonce des thèmes majeurs de l’oeuvre 

  • Un déclin annoncé? (temps gris, industrie) (“un grand signal rouge tachait le jour pâle”, “ciel gris traversé de soleil”)
  • Des indices sur la trajectoire des personnages (“la chaleur était suffocante”, “s’écartaient en un éventail de branches en métal”)

En guise d’ouverture

En guise d’ouverture, on peut mentionner une citation de Zola : ” la description est ” une nécessité de savant et non un exercice de peintre “.

Attention : on ne cite cette phrase que parce qu’ils permettent d’éclairer l’extrait l’étudié, dans lequel la description rigoureuse a une place centrale. 

On peut également citer l‘incipit de La Curée, dans lequel tous les jalons de l’oeuvre et même le dénouement, sont annoncés. Autre point commun : l’auteur livre également une description naturaliste et introduit le cadre spatio-temporel en accordant une attention particulière aux détails.  

Un texte que vous devriez pouvoir commenter sans problème si vous maîtrisez les fonctions de l’incipit, les caractéristiques du naturalisme et la méthode (justification par des exemples, pas de paraphrase, bien “coller au texte” et répondre à la problématique choisie)!

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