Elevation, Baudelaire

Commentaire du poème “Elévation”, Les Fleurs du Mal, Baudelaire

À lire dans cet article :

« Élévation » est un poème incontournable, que tu rencontreras forcément au cours de ta scolarité, qui fait partie du recueil de Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal. De nombreux thèmes essentiels sont abordés, d’où cet article, qui te permettra de maîtriser à la perfection les enjeux de ce texte !

Pour en savoir plus sur le recueil, sa composition et les grands thèmes abordés, nous t’invitons à consulter cet article !

Présentation du recueil

Tout d’abord, lorsque le recueil des Fleurs du mal paraît en 1851, de nombreux poèmes sont censurés, et valent même un procès à Charles Baudelaire pour outrage aux bonnes mœurs (certains poèmes choquent la morale de l’époque, montrant des scènes crûes, c’est-à-dire brutes et empreintes de violence et parfois de sexe). En effet, de nombreux poèmes sont qualifiés d’érotiques, car mettant en scène la poétesse de la Grèce antique Sappho qui était homosexuelle (on parle d’ailleurs de « saphisme » pour désigner l’homosexualité féminine et de « lesbianisme » en référence à l’île de Lesbos sur laquelle elle a vécu).

L’objectif de Baudelaire dans ce recueil est de rendre beau les choses les plus laides (le meilleur exemple est le poèmes « Une Charogne »). Le poète souhaite en effet extraire du mal la beauté, transfigurer le mal, c’est-à-dire le transformer en révélant le beau. Pour réaliser ce dessein (cet objectif), Baudelaire réalise un travail poétique sur les mots et les phrases qu’il emploie, à travers sa propre expérience douloureuse. Il s’agit pour lui d’expérimenter les malheurs de l’existence qui touchent directement l’âme humaine.

Ainsi, le poète est constamment déchiré entre une aspiration au mal et une aspiration à l’idéal. On peut citer à cet effet une formule du poète, qui énonce qu’ « il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations : l’une vers Dieu, l’autre vers Satan ». Autrement dit, l’homme est pris en étau entre le bien et le mal, mais il s’agit en réalité d’un combat sans issue pour le poète.

Le poème

« Élévation » est le troisième de la section « Spleen et Idéal », placé après « L’Albatros » et « Correspondance ». Dans le poème, le désir d’ailleurs est un moyen d’échapper à la médiocrité du quotidien pour accéder à l’idéal par l’envol de la conscience, de l’esprit.

Le terme d’ « élévation » a dans un premier temps une connotation religieuse, spirituelle (c’est l’âme qui monte au ciel). En outre, il s’agit d’une action qui implique d’élever quelque chose ou quelqu’un pour aller vers le mieux, parvenir à un rang, un état, une situation supérieurs. Enfin, un troisième sens est lié à l’élévation, qui implique de se poser plus haut dans le domaine intellectuel, spirituel ou moral.

Analyse linéaire

I. Un mouvement d’élévation vers la recherche de l’idéal

1. Le mouvement d’élévation

En premier lieu, le titre du poème est développé sur les deux premiers quatrains qui forment une seule phrase. Le premier quintil n’est constitué que de compléments circonstanciels de lieu, précédés d’adverbes de lieu employés en anaphore (répétés) : « au-dessus », « par-delà ». Ce procédé permet de mimer de manière mélodique à la fois l’effet de mouvement et d’éloignement du monde, et renvoie à une forme d’incantation (formule à connotation souvent religieuse qui crée par répétition un envoûtement qui amène à dépasser le réel.

Cette organisation met en place une gradation qui traduit le passage du monde terrestre d’abord étouffant, stagnant, voire même glauque (qui rappelle un étang par exemple), vers le monde céleste. Cette transition s’opère par étapes : « montagnes, nuages, mers célestes », puis « éthers » (désigne l’air le plus pur) et enfin « confins des sphères étoilées », qui se déploie tout le vers 4.

Par ailleurs, on remarque que les rimes unissent les contraires : « vallées » / « étoilées » ou peuvent annoncer une comparaison (ou une correspondance), comme dans le deuxième quintil, avec « mers » et « éthers ».

La proposition principale de la phrase est rejetée au vers 5, « mon esprit, tu te meus », avec une mise en valeur du groupe nominal « mon esprit ». Ainsi, l’élément central du poème est déterminé : il s’agit de l’âme du poète à laquelle il s’adresse en la tutoyant : « tu te meus », « tu sillonnes », « envole-toi »…

Les verbes « mouvoir » et « sillonner » sont des verbes d’action conjugués au présent de l’indicatif, ce qui marque une action en cours de réalisation au moment de l’écriture du poème (présent d’énonciation). On peut dire à ce propos que l’esprit du poète est personnifié : comparé à « un bon nageur », il est associé en complément circonstanciel de manière « avec agilité », ce qui traduit toute l’intensité, le plaisir et l’aisance de l’esprit du poète à évoluer dans ce monde supérieur.

Baudelaire a également inclus une référence à l’univers liquide afin d’évoquer l’air pur ; cette correspondance permet de lier les éléments eau et air en suggérant au lecteur une impression de pesanteur originelle (rappelant le fœtus dans le liquide amniotique au sein du ventre de sa mère). L’emploi des sonorités dans le vers 6 souligne cette douceur : « on-n-ge-â-me-an-on », par l’idée de glissement.

Il y aurait donc un désir de revenir aux sources de la vie en s’élevant vers un ailleurs qui ne semble pas avoir de réalité matérielle, comme si cet ailleurs était purificateur.

2. Le « monde d’en haut »

Avant d’accéder à l’Idéal, l’esprit du poète doit donc « s’élever » et suivre une ascension progressive, comme un rite purificateur. En effet, l’utilisation des impératifs « envole-toi », « va » et  « bois », chacun placés en début de vers, renforce cette impression d’urgence du départ.

De ce fait, le monde d’en haut se caractérise en premier lieu par sa pureté et sa lumière, contrairement au monde terrestre, sale et remplie de « miasmes morbides ». Les miasmes désignent une émanation censée causer maladies et épidémies ou un gaz putride provenant de substances en décomposition (cadavres par exemple).

Par la suite, un véritable réseau de correspondances se tisse en vue de créer une harmonie, un équilibre de nature apollinienne (adjectif qui provient du dieu Apollon, caractérisant l’ordre, la mesure, la sérénité, et donc la beauté en harmonie).

Ce monde supérieur a trait aussi au Divin, comme le confirme l’adjectif antéposé « divine » dans « divine liqueur », qui produit un effet d’ivresse en lien avec l’envol suggéré.

Néanmoins, en dépit des tentatives du poète pour échapper au monde terrestre, et trouver la quintessence (le plus pur de quelque chose) du bonheur, le poète ne semble pas pouvoir y parvenir totalement. Sa nature l’oblige à errer sur terre au milieu des « miasmes », monde dans lequel « ses ailes de géant l’empêchent de marcher » (« L’Albatros »). Par conséquent, peut-on dire qu’il y ait une réelle libération pour le poète ?

II. La médiocrité du monde réel

1. Vision du monde réel et poids du spleen

Le monde terrestre est évoqué tout au long du poème, soit de manière explicite, soit plus subtilement. Quoi qu’il en soit, le poète est hanté par cet univers. Par exemple, celui-ci affirme l’idée de pesanteur ressentie sur terre, par la formule « chargent de leur poids » (v. 14). On remarquera à cet effet le jeu de sonorités qui mime la lourdeur.

Comme évoqué précédemment, ce monde est également impur ; le monde porte en lui le Mal, la maladie, et surtout, le pire aux yeux de Baudelaire, l’Ennui. « Ennuis » au pluriel porte ici un sens très fort, celui des souffrances. La formule « ennuis et vastes chagrins » au pluriel permet d’ailleurs d’intensifier et d’insister sur la douleur du poète.

Dès lors, le monde terrestre apparaît dans ce poème comme l’exact contraire du monde de l’Idéal. À la liberté, symbolisée par le « libre essor », correspond l’emprisonnement. L’extase affronte les « ennuis et vastes chagrins » ; la purification lutte contre les « miasmes » ; l’immensité profonde s’oppose à l’immensité des chagrins et enfin, les champs lumineux et sereins combattent l’ « existence brumeuse ».

2. Chute de l’esprit en proie au Spleen

La métaphore filée (suite de métaphores du le même thème) de l’oiseau dans les deux derniers quatrains évoque la liberté de l’esprit du poète : « envole-toi », « d’une aile vigoureuse », « comme des alouettes », « prennent un libre essor ».

Cette métaphore, à travers l’image, ou plus précisément le symbole de l’alouette (oiseau capable de monter très haut dans le ciel et de plonger ensuite très rapidement) fait transparaître la volonté du poète de se libérer du monde matériel afin d’aller vers un monde spirituel, un monde invisible et supérieur auquel on accède par le langage des correspondances (dont la formule célèbre est « les parfums, les couleurs et les sons se répondent »).

Toutefois, le jeu des pronoms durant le poème suggère l’échec du poète dans sa quête, dans la mesure où celui-ci évoque d’abord son esprit à la première personne : « Mon esprit », puis le tutoie : « tu te meus », « tu sillonnes », agrémenté des impératifs qui incluent une première mise à distance. À partir du troisième quintil, on note un passage à la troisième personne où il n’est plus question du poète mais plutôt d’un « Heureux » éventuel qui aurait la chance d’accéder à l’Idéal.

Ce finale semble donc matérialiser l’échec du poète à atteindre cet Idéal qui, à l’image du recueil, reste inaccessible.

Conclusion

Le poète, maudit, vit dans l’échec sans parvenir à s’y soustraire. Son désir de s’élever vers un monde supérieur n’est pas encore réalisable, mais seulement par l’écriture poétique. Baudelaire rêve en réalité de volupté (de plaisir) spirituelle, à laquelle il accèdera, comme le lecteur par la même occasion, que par la compréhension du système des correspondances, mis en poème dans le sonnet suivant des Fleurs du Mal.

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