En complément de notre article portant sur l’œuvre des Fausses confidences de Marivaux, en lien avec le thème imposé par le programme, nous te proposons aujourd’hui d’étudier plus en détail une scène en particulier. Il s’agit de la scène 2 de l’Acte II. En détaillant avec toi cet exemple, tu auras la possibilité de réutiliser ce dernier dans tes dissertations et ainsi enrichir tes références ! Nous avons délibérément rédigé cet article sous forme de commentaire rédigé, afin de te montrer un exemple de ce que tu peux faire toi-même dans tes copies.
Introduction
L’extrait étudié provient de la pièce de théâtre écrite par Marivaux (1688-1763) en 1737. Celui-ci est issu des Fausses confidences, à la scène 2 de l’Acte II. Ce passage met en scène Monsieur Rémy, procureur (officier de justice qui représente quelqu’un dans le système de justice) et oncle de Dorante, qui souhaite séduire Araminte. Le premier vient proposer à son neveu un mariage très avantageux.
Cependant, Dorante refuse catégoriquement au motif que son cœur est déjà pris. M. Rémy raille le sentimentalisme de ce dernier : il se moque de sa sensibilité exacerbée, qu’il trouve caricaturale. En effet, Dorante est ruiné ; son oncle demande l’arbitrage d’Araminte, qui est en réalité secrètement séduite par la noblesse (au sens de la grandeur de ses qualités morales, son comportement et non de son rang social) et le désintéressement de son employé Dorante. Ainsi, Dorante se réjouit à part de l’aide involontaire que lui apporte son oncle dans cette affaire, qui lui permet d’approcher de plus près sa bien-aimée.
Dans cette perspective, il semble intéressant de nous demander de quelle manière cet extrait permet de mettre en lumière un croisement des sentiments amoureux et d’une intrigue cette fois-ci non prémédités (prévus, préparés à l’avance) par Dorante pour séduire Araminte.
Nous verrons donc dans un premier temps que le long discours de Monsieur Rémy est dicté par l’impératif, la nécessité de recouvrement de son statut social par Dorante, puis dans un deuxième temps, que l’attente d’une réponse de la part de Dorante, le principal intéressé, engendre tout à la fois impatience chez son oncle et curiosité chez Araminte. Dans un dernier moment, nous étudierons la manière dont se manifeste l’apparition du refus et son explication : la raison de cœur reste plus forte que l’intérêt pécunier (l’argent) et social.
I. Le discours empressé de Monsieur Rémy, reflet de sa hâte de recouvrement d’un statut social honorable par son neveu
Tout d’abord, la première phrase de cet extrait est remarquable par sa longueur. Ses onze lignes permettent de développer une description physique détaillée de la prétendante de Dorante, désignée par l’expression « jolie femme » (2ème ligne). Ses qualités physiques se voit également renforcées par l’éloge de son attitude qui est dressé en parallèle. Cette attitude magnifiée est rendue possible par une mise en lumière de ses qualités sociales : sa réputation fait d’elle une personne respectable, « estimable » (ligne 3), la faisant apparaître comme une femme aussi digne que distinguée. On lui attribue par ailleurs la vertu de discrétion : elle « ne déclare pas son nom ». En restant en quelque sorte anonyme, il s’agit d’entretenir le mystère sur sa personne, et l’attirance originelle. Le fait de ne pas tout dévoiler est par ailleurs un moyen de susciter une certaine curiosité, voire de désir.
Cette première dissimulation volontaire dépeint parfaitement l’atmosphère empreinte de cachotteries de la pièce, que celles-ci soient volontaires ou non. On parvient néanmoins à la poursuite de la lecture du texte à obtenir certains indices sur son identité potentielle. La prétendante fait valoir le fait qu’elle connaît Monsieur Rémy. Ceci implique qu’elle peut en retour être connue d’Araminte, qui fait partie de son entourage. De ce fait, Araminte peut donc découvrir de qui il s’agit et être victime d’une forme de jalousie à cette idée.
Dès lors, on remarque une utilisation importante de pronoms qui désignent le parti de Dorante : « elle » est utilisé à deux reprises ; de la même manière, figure une anaphore de « qui », apparaissant à sept reprises, qui renforce cette idée. Ce recours prononcé aux pronoms tel que fait ici permet de ne pas révéler l’identité de la personne concernée, tout en évitant de la désigner précisément au risque de la trahir. L’habileté ce procédé marque, voire renforce l’omniprésence de la prétendante, qui accapare l’espace textuel. Déjà au cœur du discours dans la mesure où c’est elle le sujet de ce dernier, elle l’est également par sa position dans le texte. En ce sens, c’est véritablement le centre du début de cet extrait : tout semble tourner autour de cette mystérieuse personne. Le discours, du fait de l’emploi de la figure de style qu’est l’anaphore, permet de dynamiser le texte, en lui conférant un rythme rapide. Les périphrases sont également utilisées pour qualifier la prétendante, afin de diversifier les pronoms qui la caractérisent. On parle alors d’ « une dame de trente-cinq ans », ou encore d’une « jolie femme ». Ce n’est que par ces descriptions succinctes et par définition lacunaires, incomplètes que l’on entraperçoit le profil de la jeune femme.
Comme esquissé plus haut, l’impression que le texte s’enchaîne rapidement repose non seulement sur l’anaphore, mais également sur la ponctuation rapprochée et l’enchaînement rapide des informations. Les adverbes de temps quant à eux soulignent l’urgence de la situation, qui doit être considérée « sans délai » (ligne 8) selon Monsieur Rémy. « Tout de suite » (ligne 11), « tantôt » (ligne 10) ainsi que les l’indication temporelle « dans deux heures » (ligne 12) dans l’avant-dernière phrase de la réplique sont autant d’éléments qui indiquent de Dorante (et Araminte) sont mis devant le fait accompli. Dorante est soumis à l’obligation d’une prise de décision rapide car il n’a que peu de temps pour réfléchir ni réagir. Son interlocuteur est dans l’attente d’une réponse brute, spontanée car non préparée. Toutefois l’habileté de Dorante va lui permettre de profiter de cette occasion en usant de sa force de manipulation et d’improvisation, en plus de sa capacité à anticiper et tourner les intrigues à son avantage.
En outre, la phrase interrogative courte, lapidaire « cela est-il net ? » (ligne 11) vient ponctuer le discours après un longue énonciation mais rapide, seulement entrecoupée de points-virgules. Celle-ci met fin à l’inventaire des principaux traits physiques de la jeune femme « qu’on dit jolie » (ligne 2), des qualités morales et de la réputation de la protagoniste. Surtout, un élément central dans tous les sens du terme nécessite d’être soulevé. Il s’agit de l’étendue de son patrimoine, de « 15 000 livres de rente » (ligne 5), indication qui se trouve typographiquement au centre de cette première partie. Cette somme représente une fortune importante, qui était une information, un critère primordial à évoquer dans le cas d’une union à cette époque.
Enfin, la phrase interrogative, qui fait plutôt office d’une question rhétorique « Y a-t-il à consulter là-dessus ? » implique que pour Monsieur Rémy, à la seule énonciation de l’étendue de la fortune de la prétendante, l’affaire est obligatoirement conclue. Il presse donc son neveu à émettre une réponse positive, réponse qui lui paraît évidente. Dans cette perspective, afin d’appuyer son avis, il demande à Araminte : « Ai-je tort, Madame ? », en la prenant à parti directement pour la première fois depuis le début de l’extrait. Alors reléguée à un rang neutre, et même passif, Monsieur Rémy des met à désormais à l’impliquer directement dans ce mariage impromptu. Elle endosse le rôle d’arbitre devant prendre parti et trancher l’affaire ; les sentiments qu’elle pourrait avoir envers Dorante ne sont à aucun moment suggérés.
II. Entre calme de Dorante et impatience de Monsieur Rémy
La onzième réplique de l’extrait étudié est attribuée à Araminte. Il s’agit de sa seule intervention, contrairement à Monsieur Rémy qui comptabilise quatre répliques (les plus longues) et Dorante qui en prononce trois. Il est intéressant de noter que ce dernier est le dernier à s’exprimer face aux deux autres personnages, alors qu’il est le principal concerné par cette affaire.
La didascalie accompagnée de l’adverbe « froidement » montre que Araminte n’apprécie pas cette situation. Elle semble vexée, et même quelque peu agacée qu’un mariage si rapide puisse être accepté par Dorante. Elle pense qu’il n’accepterait cette union que pour l’argent, puisqu’il ne sait rien d’autre sur la prétendante que son patrimoine. Elle laisse par conséquent poindre une certaine crainte à propos de la réponse qu’il pourrait donner ; elle est impatiente de connaître la valeur morale de celui dont elle est éprise. Elle le met donc à l’épreuve en s’effaçant devant la réponse de Dorante : « C’est à lui de répondre » déclare-t-elle. Cette phrase courte montre qu’elle ne souhaite pas s’impliquer et prendre le risque de se compromettre en laissant échapper le moindre élément qui pourrait trahir ses sentiments envers Dorante. Elle ne veut sans doute pas non plus influencer son choix et décide conserver la neutralité originelle de sa position.
Ensuite, la douzième réplique est marquée par un signe d’impatience de la part de Monsieur Rémy qui s’exclame : « Eh bien ! ». Il manifeste sa surprise : comment Dorante peut-il avoir la moindre hésitation ? S’ensuivent alors deux questions ; la première signifie son incompréhension face à la lenteur de la réponse de Dorante, et la seconde s’adresse directement à ce dernier, pour la première fois, comme s’il perdait réellement patience.
C’est dans la treizième réplique que Dorante va enfin, pour la première fois, prendre la parole. Son intervention marque un refus net, souligné par le mot « Non ». Malgré tout, cette réponse directe et sans détour est nuancée par la suite par son hésitation : « je ne sais pas », répond-il. Il laisse envisager à la place une autre situation qui lui conviendrait davantage, à laquelle il aspirerait plus. Cette introduction d’une alternative s’effectue par l’emploi du terme « là » dans la locution « cette disposition-là ». Il suggère donc qu’il aurait un autre avis dans une autre situation, peut-être dans le cas où la prétendante serait différente… La réponse de Monsieur Rémy ne se fait pas attendre : l’onomatopée « Hum » qu’il prononce traduit sa réaction outrée, puis son indignation par la question : « Quoi ? ». Finalement, la répétition de la formule interrogative « Entendez-vous ? » dans la même phrase insiste sur la volonté de bien faire comprendre à Dorante les enjeux d’un tel refus.
III. La raison du cœur invoquée par Dorante, fruit des critiques acerbes de son oncle
Dans un premier temps, la quinzième réplique met en avant le respect que Dorante porte à son oncle. Il répond à ses questions dont l’intensité semble aller crescendo par « Oui, Monsieur », comme s’il avait tout à coup conscience de la gravité de la situation. Cependant, il ajoute un « mais » (ligne 22) dans la suite de son propos, marquant par là un dépassement par rapport aux avantages qu’impliquent ce mariage. Ceci est renforcé par le superlatif « vingt fois supérieur » qui s’applique à la fortune de la prétendante : si celle-ci avait été plus importante, il n’aurait pas non plus souhaité se marier avec elle.
Il signifie alors sa volonté non pas de devenir riche, mais une situation plus noble moralement, celle du bonheur partagé avec celle qu’il aime. Il conclut par la déclaration, un refus catégorique et définitif, « Je ne l’épouserais pas » (ligne 23). Il se prononce donc en toute connaissance de cause, en respectant sa prétendante, à qui il ne veut pas faire de peine. Il pense donc à son propre bonheur ainsi qu’à celui des autres, attitude noble et altruiste qui correspond à ce qu’Araminte apprécie.
Il explique ensuite que son « cœur [est] pris », qu’il « aime ailleurs ». C’est l’amour et la fidélité à ce dernier qui le pousse à prendre cette décision, en dépit de l’excellente situation qui lui est proposée. Le nom de son amour n’est pas révélé, ce qui contribue à maintenir le mystère, en ne fermant pas l’éventualité que celui-ci soit dirigé vers Araminte.
La seizième réplique est caractérisée par la didascalie qui indique l’état d’esprit moqueur de son oncle. Il reprend même la phrase de Dorante « J’ai le cœur pris » pour le tourner en dérision et se jouer de son sentimentalisme. Il fait preuve d’ironie avec la formule « Voilà qui est fâcheux », et perd patience. La raison invoquée par Dorante lui paraît insuffisante, il la trouve idiote, puérile et faible car il est victime de ses sentiments. Il n’est même pas capable de voir ses intérêts, tout aveuglé par l’amour qu’il est. Il le traite ainsi de « berger fidèle » en se moquant de sa loyauté pour le ridiculiser encore davantage. Son choix, qui est de faire passer l’amour avant l’argent, est inconcevable pour son oncle.
Pour finir, la réplique finale de l’extrait est prononcée par Dorante. Il assure : « je ne saurais changer de sentiment » (ligne 32). Cette décision est définitive, malgré les protestations et l’incompréhension de Monsieur Rémy. En dépit des récriminations de ce dernier, il reste humble, calme et respectueux envers son oncle. Il conserve l’emploi du mot « Monsieur » pour s’adresser à lui, comme dans ses précédentes interventions (répliques 13 et 15). Cependant, malgré tout son respect, il ne peut se résoudre à cette union. Il se soumet donc à ce que lui dicte son cœur, et non à ce que la raison voudrait qu’il fasse. Sa véritable richesse pour lui est son amour.
Conclusion
Cet extrait insiste sur le choix à première vue irraisonné de Dorante face au mariage, qui présente une garantie inespérée, celle de la richesse de la prétendante, qui lui permettrait de retrouver sa position dans la société. D’abord empressé, Monsieur Rémy ne peut et n’accepte pas de comprendre la raison invoquée par son neveu : celle de son amour pour une autre qu’il ne peut trahir. Cette autre, jamais nommée, représente le mystère constant des véritables identités et fins des personnages.
Tous ces éléments entretiennent une atmosphère, un décor empreints de cachotteries, de mensonges et de dissimulations. Ceux-ci sont possibles grâce au langage et à son maniement habile. La mise en avant des qualités morales de Dorante au détriment de l’appât du gain et la richesse matérielle est en réalité un argument destiné à Araminte, à laquelle il s’adresse indirectement pendant toute la scène. Dorante construit en ce sens un discours orienté en fonction des idéaux romantiques d’Araminte. En clair, il dit ce qu’il pense qu’elle souhaite entendre pour mieux la séduire. Ce stratagème est à l’image du reste de la pièce : Dorante s’efforce à tout prix de séduire par le biais de manigances, de combinaisons, pour finalement obtenir celle qu’il aime.