Quand on pense à la fondation mythique de Rome, l’image qui surgit immédiatement est celle de Romulus et Rémus allaités par une louve, dans une grotte au pied du mont Palatin. Mais derrière cette scène légendaire, que s’est-il réellement passé ? Entre les mythes des auteurs antiques et les découvertes archéologiques modernes, comment démêler la fiction de l’Histoire avec un grand H ?
Dans cet article, on t’emmène au cœur d’un des récits les plus célèbres de l’Antiquité. Tu verras comment les Romains ont construit leur identité autour de cette légende, pourquoi elle continue de nourrir l’imaginaire collectif, et ce que les historiens et archéologues en disent aujourd’hui.
La fondation mythique de Rome : Romulus, Rémus et la louve
Tout commence à Albe la Longue, une ville du Latium fondée selon la tradition par Ascagne, le fils d’Enée, héros troyen rescapé de la guerre de Troie. Si c’est d’abord Numitor, descendant d’Enée, qui règne, il est rapidement évincé par son frère, Amulius. Ce dernier, pour empêcher tout retour de la lignée légitime, force la fille de Numitor, Rhéa Silvia, à devenir vestale, une prêtresse de Vesta vouée à la chasteté.
Seulement, comme souvent dans les mythes, les dieux s’en mêlent. Mars, séduit par Rhéa Silvia, s’unit à elle. De cette union divine naissent des jumeaux, Romulus et Rémus. Amulius ordonne aussitôt qu’on les jette dans le Tibre. Mais le fleuve, en crue, les abandonne sur une rive marécageuse au pied du mont Palatin.
Selon la légende, c’est une louve (animal sacré associé à Mars, mais aussi figure maternelle) qui recueille les deux nourrissons dans une grotte appelée la Lupercale. Elle les allaite, jusqu’à ce que le berger Faustulus les découvre et les élève avec sa femme.
Devenus adultes, Romulus et Rémus découvrent leur origine royale, renversent Amulius, rétablissent Numitor, et décident de fonder une nouvelle ville sur les rives du Tibre. Seulement, les deux frères sont en désaccord pour savoir qui aura l’honneur de fonder, et donc de diriger, la nouvelle cité. Pour se départager, ils consultent les auspices, signes envoyés par les dieux à travers le vol des oiseaux.
Rémus, placé sur l’Aventin, voit six vautours. Romulus, placé sur le Palatin en voit douze. Les versions diffèrent sur la raison, mais la querelle dégénère, et Romulus tue ton frère. Il fonde la nouvelle cité en 753 av. J.-C. et lui donne son nom, Rome.
La fondation mythique de Rome face aux preuves archéologiques
Pendant longtemps, les spécialistes considéraient la fondation de Rome comme purement légendaire. Mais depuis la fin du XXe siècle, plusieurs fouilles archéologiques ont changé la donne.
Les archéologues ont mis au jour sur le mont Palatin des traces d’occupation humaine remontant au VIIIe siècle av. J.-C., soit la période où le mythe situe la fondation de Rome. On y a découvert des tombes, des huttes, des murailles primitives, et même un mur identifié par certains chercheurs comme correspondant au mur de Romulus (murus Romuli).
Autre point marquant : le fossé du Comitium, au Forum, pourrait aussi témoigner d’un espace occupé dès la fin du VIIIe siècle. Cela renforce l’idée qu’un véritable processus d’urbanisation était déjà en cours à cette époque.
Évidemment, rien ne permet de prouver l’existence réelle de Romulus, ni celle de Rémus. Les premières sources écrites sur le sujet (comme celles de Tite-Live ou Denys d’Halicarnasse) apparaissent des siècles plus tard, à une époque où Rome est déjà une puissance majeure. Ces auteurs rapportent des versions divergentes du mythe, souvent influencées par des objectifs politiques ou moraux.
Les historiens modernes parlent d’un noyau de vérité historique dans le mythe de fondation. Ce qu’on peut affirmer :
- La ville de Rome s’est bien constituée vers le milieu du VIIIe siècle av. J.-C.
- Elle a été fondée par le regroupement de plusieurs villages sur les collines du Palatin, de l’Esquilin et du Quirinal
- Il existait un pouvoir centralisé (peut-être un chef local ou un roi), mais son nom ne nous est pas connu
En revanche, toute la partie divine (Mars, la louve, les auspices, le duel fratricide) appartient au domaine de la fiction religieuse et symbolique.
Pourquoi ce mythe ? Rôles et fonctions d’un récit fondateur
Si la légende de Romulus et Rémus a tant marqué l’imaginaire romain, c’est parce qu’elle n’est pas qu’un récit merveilleux. Elle répond à des besoins politiques, culturels et identitaires.
D’abord, cette fondation miraculeuse donne à Rome une origine sacrée. Les jumeaux descendent de Mars, et Enée est le fils de Vénus : les Romains se placent automatiquement sous la protection directe des dieux. Dans un monde antique où la religion et la politique sont indissociables, cela renforce la légitimité de Rome comme puissance élue par les dieux.
Ensuite, en reliant Rome à Troie via Enée, les auteurs romains inscrivent leur cité dans une grande lignée héroïque. Il s’agit ici d’insistait sur un passé guerrier glorieux dans lequel Rome s’inscrirait à son tour.
Le récit met aussi en scène les tensions fondatrices : conflits entre frères, choix d’un lieu, premier meurtre… Ce sont des symboles des luttes internes et de la complexité du pouvoir à Rome. Romulus incarne le chef qui impose l’unité, parfois dans la violence, pour faire émerger une vraie cité.
Enfin, l’histoire de Romulus est récupérée comme un outil de propagande et d’union. Auguste, comme beaucoup d’empereurs, se compare à Romulus, chargé de restaurer l’ordre et la grandeur de Rome. Les nombreuses versions qui nous sont parvenues ainsi que le flou autour des faits laissent penser que les Romains ont adapté leur récit selon les époques, pour construire une mémoire partagée. Le mythe devient un outil politique, adapté à chaque époque.
Un héritage encore bien vivant
Aujourd’hui encore, la louve allaitant les jumeaux orne les monuments de Rome et les manuels d’histoire. Ce mythe fondateur continue d’alimenter films, BD, séries ou jeux vidéo. Il pose surtout une question toujours actuelle : pourquoi les civilisations ont-elles besoin de récits d’origine ?
À travers Romulus et Rémus, on comprend que les mythes forgent l’identité collective, relient passé et présent, et servent parfois à justifier le pouvoir ou les choix politiques. Comprendre la fondation mythique de Rome, c’est surtout réfléchir à la manière dont les sociétés s’unissent et se justifient aux yeux du monde en réécrivant leur propre histoire.
