“Life is alright in America… If you’re all white in America” chantent les Porto-ricaines de la comédie musicale “West Side Story”, qui illustre à elle seule les illusions et désillusions de ceux qui ont cherché à vivre “le rêve américain”. Dans cet article, nous revenons en profondeur sur la notion d’American Dream. Nous verrons que si cette notion a émergé il y a déjà plusieurs siècles, l’American Dream a profondément évolué au fil du temps et que sa signification est tout autre dans l’Amérique du début du XXIe siècle.
American Dream, une première définition
L’American Dream fait partie intégrante de la “mythologie” américaine. La notion désigne la capacité de chacun à réaliser ses rêves et à obtenir un niveau de vie confortable grâce à un travail acharné et beaucoup d’abnégation. Ainsi, elle encourage l’idée selon laquelle tout le monde, de l’immigré à l’ouvrier, a sa chance aux Etats-Unis et peut réussir. Une expression y est même consacrée, to “go from rags to riches”, qui désigne cette réussite sociale (rags peut se traduire par haillons).
Il est difficile de dater précisément la notion. Mais celle-ci serait née au temps de la colonisation anglaise de l’Amérique du Nord, dès le XVIIe siècle. En en donnant l’image d’une terre rêvée où tout est possible, les autorités britanniques espèrent accélérer l’émigration des colons britanniques aux Etats-Unis pour renforcer leur présence sur le continent. On trouve l’expression pour la première fois en 1931 dans The Epic of America , un livre de l’écrivain James Truslow Adams.
L’American Dream va être remis au goût du jour au moment de l’indépendance des Etats-Unis, à la fin du XVIIIe siècle. Le droit à la poursuite du bonheur (the pursuit of happiness dans le texte) est même inclus dans les droits fondamentaux de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis de 1776, aux cotés de la liberté et de l’égalité. Sous l’impulsion des idéaux des Lumières (the Enlightenment), les Etats-Unis deviennent le symbole de la réussite par le travail et de l’émancipation sociale. Le pays représente alors pour beaucoup de populations pauvres ou persécutées (les irlandais souffrant de la famine, les populations juives d’Europe de l’Est, les italiens) une terre d’asile à rejoindre pour réaliser leurs rêves.
L’idéal de l’American Dream était celui des colons, qui voyaient dans le recul de la ” Frontier ” une possibilité d’accéder à la propriété, mais aussi celui des chercheurs d’or, qui venaient aux États-Unis pour s’enrichir.
Ses représentations dans l’imagination collective
Le mythe de l’American Dream est omniprésent dans la culture américaine. L’exemple le plus frappant est bien sur celui de la statue de la Liberté. Sculptée par Bartholdi en 1886, elle représente une femme qui brandit une torche allumée, faisant office de phare, et tenant une tablette qui évoque le droit et la justice. La statue de la liberté est bâtie à proximité d’Ellis Island. Elle est pour les immigrés qui rejoignent les Etats-Unis la première vision du nouveau monde qu’ils veulent atteindre. A la base de la statue, on retrouve une inscription avec un extrait d’un poème d’Emma Lazarus, intitulé The New Colossus. Ce poème est très parlant :
Garde, Vieux Monde, tes fastes d’un autre âge, crie-t-elle
Donne-moi tes pauvres, tes exténués,
Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte
J’élève ma lumière et j’éclaire la porte d’or !
L’American Dream est également ancré dans les mémoires via des figures historiques, qui, partant de rien, ont fini par s’enrichir considérablement. Ces personnages sont souvent appelés des “self-made man “, car ils ont réussi financièrement sans aide extérieur et sans héritage. Abraham Lincoln, John Rockefeller ou plus récemment Steve Jobs en sont les parfaits exemples.
Enfin, il faut évidemment rappeler que l’American Dream était porté par des minorités qui se sont battues pour leurs droits. Le discours de Martin Luther King, “I have a Dream“, prononcé en 1963, reprend le thème de la réussite indépendamment du background social.
Aujourd’hui, l’American Dream repose sur le modèle des licornes américaines, ces startups valorisées à plus d’un milliard de dollars. Il laisse penser que n’importe quel entrepreneur peut réussir s’il fait assez d’efforts. Cette vision de la société crée également des habitudes différentes chez les Américains par rapport à leurs collègues européens. Le fait de parler de rémunération est beaucoup moins tabou qu’en France, et l’échec (notamment entrepreneurial) est plus facilement toléré.
L’American Dream, entre mythe et réalité
“That’s why they call it the American Dream, because you have to be asleep to believe it.” ― George Carlin
L’American Dream a-t-il été une réalité pour les Américains en manque de reconnaissance sociale et d’émancipation économique ? Si le système américain a pu représenter une réelle opportunité d’une vie meilleure pour certains immigrés, les chiffres nous obligent à nuancer l’idée d’une ascension sociale globale. À New-York en 1859 par exemple, 55% de toutes les personnes arrêtées étaient d’origine irlandaise. L’idéal de réussite a également été mis à mal par les nombreuses crises économiques qu’ont traversées les Etats-Unis. On peut par exemple penser à la grande dépression des années 1930 ou les conséquences des chocs pétroliers.
Il ne faut pas non plus occulter le fort impact de la crise économique de 2008. Elle a touché de plein fouet la classe moyenne des Etats-Unis qui vivait l‘American Way of Life grâce aux crédits à la consommation accordés à tour de bras à des populations insolvables par les banques américaines. Un nouvelle catégorie de population, les ” working poors “, s’est particulièrement accrue. Il s’agit de personnes qui travaillent mais dont le revenue n’est pas suffisant pour vivre décemment. Ils représentent environ 7% de la population active des Etats-Unis.
Ainsi, travailler n’est plus suffisant pour mener une vie prospère. Les attentats du 11 septembre ont également mis à mal le rêve américain. Ils ont mis fin à l’illusion d’invulnérabilité qui prédominait dans la population. Les inégalités sont aussi la preuve de l’échec du modèle américain. En effet, le coefficient de Gini du pays (un indice qui mesure les inégalités au sein d’un pays) est particulièrement élevé par rapport à celui des états ayant un PIB et un modèle économique similaires.
L’American Dream, une vision politique du monde
L’American Dream est aujourd’hui au cœur d’une rhétorique politique. Il est en effet repris par les différents courants politiques pour servir leur vision du monde. Barack Obama a longtemps représenté le nouveau visage de l’American Dream, par sa véritable success story. C’est le premier président noir des Etats-Unis (si on n’inclut pas John Hanson), fils d’un père Kenyan. Il a voulu transmettre sa vision et en faire une réalité politique, notamment en faisant de la question des ” dreamers ” un combat personnel.
Le DREAM Act, projet de loi de 2001, visait à accorder un droit de séjour permanent à des jeunes entrés illégalement sur le territoire américain mais ayant passé la majorité de leur vie la bas. Si le projet est refusé plusieurs fois par les chambres, notamment en 2010, Obama réussit à créer le programme DACA, qui a le même objectif que le DREAM Act. En septembre 2017, Donald Trump décide de mettre fin au programme, suscitant l’indignation des Démocrates et d’une partie de l’opinion publique. La Cour Suprême a néanmoins cassé la décision de Trump, permettant ainsi de reprendre la procédure.
Si aujourd’hui l’American Dream semble ne plus avoir la même portée qu’avant, c’est notamment à cause du durcissement des positions du gouvernement américain face à l’immigration. Face à une Amérique qui ” réussit moins “, le “marché des opportunités” semble quelque peu saturé. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’American Dream est d’abord une perception du monde, un état d’esprit, qui se sont peu à peu érodés avec les bouleversements du début du XXIe siècle. Le pessimisme latent et l’idée d’un déclin américain sont utilisés par certains partis de droites pour trouver de nouveaux adhérents.
De plus, il faut garder en mémoire que beaucoup d’éléments internes au fonctionnement du système social aux Etats-Unis rendent difficile l’accès à l’American Dream. Le premier est peut-être le coût de l’éducation supérieure, qui est réputé pour être très chère : une année dans une université américaine coute environ 60 000 dollars pour un étudiant étranger (en comptant le coût de la vie sur place et les frais de scolarité). Ensuite, la faiblesse du système de santé est également un frein à la possibilité de réussite dans le pays : avoir une couverture sociale est très coûteux, et beaucoup de gens n’y ont pas accès.
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