Si tu as cliqué sur cet article, c’est que tu es conscient que le baccalauréat de français approche à grands pas. Eh oui, dans quelques semaines maintenant, les élèves en classe de première plancheront sur une dissertation ou un commentaire de texte en lien avec l’un des objets d’études vus au cours de l’année. Dans ce nouvel article, nous revenons avec toi sur une œuvre emblématique de Montesquieu, Les Lettres persanes. Ce roman épistolaire est un classique de la littérature française et pourrait t’être d’une grande aide le jour de l’épreuve écrite du baccalauréat de français. Zoom sur l’analyse linéaire de la lettre CIII des Lettres persanes de Montesquieu, afin de te donner les clés pour briller le jour-j !
Les Lettres persanes en quelques mots
Paru en 1721, Les Lettres persanes est un roman épistolaire (ce qui signifie qu’il est composé de correspondances entre différents personnages) écrit par Montesquieu. Au moment de sa parution, Montesquieu ne se présente pas comme l’auteur de l’ouvrage et préfère l’anonymiser, ce qui lui permet notamment d’apporter une critique de la société française de l’époque sans risquer d’être censuré.
Qui était Montesquieu ? Montesquieu, de son vrai nom Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, est un philosophe, penseur politique et auteur français appartenant au mouvement des Lumières.
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Le résumé des Lettres persanes
L’œuvre raconte le voyage à Paris d’Usbek, un grand seigneur persan, et de son ami Rica. Dans les lettres qu’Usbek envoie aux épouses de son sérail restées à Ispahan (en Perse, actuel Iran), il prend le soin de décrire, d’un œil faussement naïf, les conditions et la vie de la société française du XVIIIe siècle.
Toutefois, plus les jours passent à Paris et plus la situation se complique dans le sérail. Une révolte entraîne la mort d’une grande partie des eunuques (les gardiens du sérail) et de ses épouses, dont Roxane, la favorite d’Usbek.
Tu l’auras donc compris, à travers cet ouvrage, Montesquieu dépeint la société française du XVIIIe siècle et ses dysfonctionnements. Il y emploie un ton satirique afin de rendre une critique déguisée et implicite du système monarchique et des mœurs des Français de l’époque. Pour ces raisons, l’auteur fait le choix de publier son roman de façon anonyme, afin de ne pas risquer la censure.
Les Lettres persanes : analyse linéaire de la lettre CIII
Pour cette analyse linéaire, nous avons choisi la lettre CIII du roman. Dans cet extrait, Usbek s’adresse à Ibben, un ami qu’il s’est fait lors de son séjour à Smyrne, sur sa route vers l’Europe.
Pour le petit contexte historique, au moment de cette lettre la France est sous la Régence de Philippe d’Orléans.
LETTRE CIII.
USBEK À IBBEN.
À Smyrne.
Ces premiers éléments nous indiquent qu’il s’agit bien d’un roman épistolaire. Les Lettres Persanes sont en effet une correspondance par lettre entre deux personnages dont on devine qu’ils ne sont pas Français (ce sont deux Persans).
Smyrne est une indication sur le contexte spatial : il s’agit d’une ville de Turquie.
Les plus puissants États de l’Europe sont ceux de l’empereur, des rois de France, d’Espagne et d’Angleterre. L’Italie et une grande partie de l’Allemagne sont partagées en un nombre infini de petits États, dont les princes sont, à proprement parler, les martyrs de la souveraineté. Nos glorieux sultans ont plus de femmes que la plupart de ces princes n’ont de sujets. Ceux d’Italie, qui ne sont pas si unis, sont plus à plaindre : leurs États sont ouverts comme des caravansérails, où ils sont obligés de loger les premiers qui viennent : il faut donc qu’ils s’attachent aux grands princes, et leur fassent part de leur frayeur, plutôt que de leur amitié.
Cette première partie est une description de la situation politique de plusieurs pays d’Europe, rédigée au présent de vérité générale.
Le superlatif « les plus puissants États » renforce l’opposition instaurée entre les États gouvernés par un empereur et les États fragmentés gouvernés par les princes.
L’idée de morcellement des États est renforcée par l’emploi de l’adjectif hyperbolique « infini » et du substantif hyperbolique « martyr ».
La comparaison entre le nombre de femmes, de sujets et l’usage du superlatif renforce la situation difficile des États fragmentés gouvernés par les princes.
La comparaison entre ces États et des caravansérails (lieu où s’arrêtent les caravanes en Iran) renforce de manière ironique, voire comique, le manque de sécurité de ces États et renvoie à l’origine étrangère de l’auteur de la lettre.
L’emploi de la conjonction de coordination « donc » révèle un discours construit, structuré et argumenté.
La plupart des gouvernements d’Europe sont monarchiques, ou plutôt sont ainsi appelés : car je ne sais pas s’il y en a jamais eu véritablement de tels (…). C’est un état violent, qui dégénère toujours en despotisme, ou en république : la puissance ne peut jamais être également partagée entre le peuple et le prince ; l’équilibre est trop difficile à garder : il faut que le pouvoir diminue d’un côté pendant qu’il augmente de l’autre ; mais l’avantage est ordinairement du côté du prince, qui est à la tête des armées.
On retrouve le présent de vérité générale et le ton neutre et objectif.
Mais s’opère une distanciation : l’auteur pointe la limite de son savoir et du mot de monarchie.
Les adverbes « toujours » et « jamais » et l’usage du présent de vérité générale universalisent le propos de l’auteur.
La conjonction de coordination « mais » nuance le propos.
L’auteur pointe les limites du système monarchique : on retrouve les thèmes de la pensée politique des Lumières.
Aussi le pouvoir des rois d’Europe est-il bien grand, et on peut dire qu’ils l’ont tel qu’ils le veulent : mais ils ne l’exercent point avec tant d’étendue que nos sultans ; premièrement, parce qu’ils ne veulent point choquer les mœurs et la religion des peuples ; secondement, parce qu’il n’est pas de leur intérêt de le porter si loin.
Rien ne rapproche plus nos princes de la condition de leurs sujets, que cet immense pouvoir qu’ils exercent sur eux ; rien ne les soumet plus aux revers, et aux caprices de la fortune. (…)
Les adverbes « aussi », « premièrement » et « secondement » indiquent un discours charpenté et construit : on est ici face à un argumentaire.
Le discours donne deux raisons pour lesquelles les princes européens n’exercent pas le pouvoir de la même manière que les sultans : on devine que la référence au sultan est un moyen de critiquer le système français par la bouche d’un étranger, donc en évitant la censure, il y a un phénomène de distanciation de l’auteur.
Un Persan qui, par imprudence ou par malheur, s’est attiré la disgrâce du prince, est sûr de mourir : la moindre faute ou le moindre caprice le met dans cette nécessité. Mais, s’il avoit attenté à la vie de son souverain, s’il avoit voulu livrer ses places aux ennemis, il en seroit quitte aussi pour perdre la vie : il ne court donc pas plus de risque dans ce dernier cas que dans le premier.
Aussi, dans la moindre disgrâce, voyant la mort certaine, et ne voyant rien de pis, il se porte naturellement à troubler l’État et à conspirer contre le souverain ; seule ressource qui lui reste.
Il n’en est pas de même des grands d’Europe, à qui la disgrâce n’ôte rien que la bienveillance et la faveur. Ils se retirent de la cour et ne songent qu’à jouir d’une vie tranquille et des avantages de leur naissance. Comme on ne les fait guère périr que pour le crime de lèse-majesté, ils craignent d’y tomber, par la considération de ce qu’ils ont à perdre et du peu qu’ils ont à gagner : ce qui fait qu’on voit peu de révoltes, et peu de princes morts d’une mort violente.
L’auteur poursuit sa comparaison implicite entre le régime des « sultans » et « les grands d’Europe », périphrase qui désigne les princes européens.
Dans le premier, on est puni de la même manière si l’on commet un crime de lèse-majesté que si l’on commet un acte majeur, ce qui incite à commettre un crime de lèse-majesté. Dans le second au contraire, seul les coupables de crimes de lèse-majesté sont punis de mort. Les individus seront donc peu enclins à se rendre coupables de tels crimes. Il s’agit d’une vision méliorative du gouvernement des rois européens.
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L’usage de la ponctuation (deux point indiquant la conséquence) contribue à l’organisation logique du discours.
Si, dans cette autorité illimitée qu’ont nos princes, ils n’apportoient pas tant de précautions pour mettre leur vie en sûreté, ils ne vivraient pas un jour ; et, s’ils n’avoient à leur solde un nombre innombrable de troupes pour tyranniser le reste de leurs sujets, leur empire ne subsisteroit pas un mois.
Il n’y a que quatre ou cinq siècles qu’un roi de France prit des gardes, contre l’usage de ces temps-là, pour se garantir des assassins qu’un petit prince d’Asie avoit envoyés pour le faire périr : jusque-là, les rois avoient vécu tranquilles au milieu de leurs sujets, comme des pères au milieu de leurs enfants.
L’usage du déterminant possessif « nos » renforce l’opposition entre les sultans d’Orient et les princes d’Europe.
L’emploi du conditionnel (« si (…) ils n’apportaient pas tant de précautions ») et le recours à des scénarios hypothétiques (« leur empire ne subsisterait pas un mois » – renvoient à la fragilité du régime des princes, qui ne repose que sur les moyens mis en place pour maintenir l’autorité du prince).
La comparaison entre le roi et le père des enfants étaye une vision positive du pouvoir monarchique.
Bien loin que les rois de France puissent de leur propre mouvement ôter la vie à un de leurs sujets, comme nos sultans, ils portent, au contraire, toujours avec eux la grâce de tous les criminels ; il suffit qu’un homme ait été assez heureux pour voir l’auguste visage de son prince, pour qu’il cesse d’être indigne de vivre. Ces monarques sont comme le soleil, qui porte partout la chaleur et la vie.
En utilisant l’adverbe d’opposition « au contraire », l’auteur pointe la différence entre le sultan et le prince : si tous deux peuvent condamner à mort un sujet, le sujet européen peut faire l’objet de la grâce du roi.
La comparaison des monarques et du soleil peut être une référence au roi Soleil. Le champ lexical utilisé pour décrire le monarque est mélioratif : « soleil, auguste visage » et renvoie à la puissance et à la divinité du prince.
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Proposition de plan pour analyser les Lettres Persanes
I – Une lettre d’un étranger
- L’opposition entre deux cultures (nos sultans / le prince ou un Persan / les grands d’Europe)
- Une description à première vue neutre et objective (La plupart des gouvernements d’Europe sont monarchiques / Les plus puissants États d’Europe sont (…) / Aussi le pouvoir des rois d’Europe est-il bien grand)
II – Un propos politique argumenté et illustré
- Un discours construit et argumenté (Alors, aussi le pouvoir des rois d’Europe est-il bien grand, au contraire, un Persan qui s’est attiré la disgrâce du prince)
- Le champ lexical du gouvernement et du pouvoir (prince, souverain, crime de lèse-majesté, sujets, tyranniser, autorité)
III – Une vision positive du principe européen?
- L’opposition entre sultans et monarques européens
- Une description méliorative du monarque européen
En guise de conclusion
On peut citer d’autres textes dans lesquels les éléments de style contribuent à former une critique déguisée du système politique. Par exemple, Les Aventures de Télémaque, roman dans lequel Fénelon critique l’absolutisme royal sous couvert de relater les voyages de Télémaque. Dans les deux cas, l’auteur adopte un procédé de distanciation.